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Culture

Beyrouth, mon amour

Quand Nadia Tuéni, Feyrouz, Maroun Baghdadi, Nizar Kabbani, Jocelyne Saab, Hassan Jouni, Rabih Alameddine et Lamia Ziadé déclarent leur flamme pour la ville meurtrie mille et une fois, des chefs-d’œuvre intemporels naissent, nous inspirent et nous émeuvent...

Beyrouth, mon amour

L’œuvre de Hassan Jouni.

Feyrouz : « Li Beirut », un salut de paix

Li Beirut (écrite par le poète Joseph Harb sur la musique de Joaquin Rodrigo) a été réorchestrée par les Rahbani et enregistrée par Feyrouz au plus fort de la guerre à Beyrouth, en 1984. Les paroles nostalgiques se réfèrent à une attaque contre sa ville bien-aimée, et par extension contre le Liban. Elles résonnent aujourd’hui dans les cœurs comme un gong, avec la sensibilité et la voix cristalline de la diva libanaise.

« À Beyrouth, de mon cœur un salut de paix à Beyrouth ; Et des baisers à la mer et aux maisons (…) Un goût de feu et de fumée ? À Beyrouth, d’un sang à un enfant qui a été porté sur sa main (…) Ma ville a éteint ses lumières ; Elle a fermé sa porte, elle est restée, le soir, toute seule. » Sur une musique copiée note pour note du deuxième mouvement du Concierto de Aranjuez, la diva a offert à sa ville sans doute l’une des plus belles et des plus poignantes déclarations d’amour.

Nizar Kabbani : « Beyrouth, sitt el-dounya »

Il a fallu trois artistes grandement inspirés pour sertir ce joyau musical. Poème lyrique de Nizar Kabbani, mis en musique par Jamal Salameh et chanté par Majida el-Roumi, Ya sitt el-dounya ya Beyrouth est une des plus nobles et authentiques déclarations d’amour jamais faites à la capitale libanaise. Le poète s’adresse à la ville comme à son amante et il lui demande pardon de ne pas l’avoir comprise, de ne pas avoir été juste avec elle, de lui avoir offert un couteau au lieu d’une rose, de l’avoir brûlée et de l’avoir fait pleurer. « Relève-toi de tes décombres, relève-toi pour l’amour des forêts, des rivières et de l’homme. La révolution naît des entrailles de la tristesse », chante el-Roumi dans cet hymne qui passe en boucle à la télévision et sur les ondes depuis le 4 août 2020 et charrie avec lui un flot de larmes et de gorges serrées.

Nadia Tuéni : Beyrouth, mille fois revécue

En 1979, la poétesse libanaise publie un recueil, Liban : vingt poèmes pour un amour, auxquels correspondent vingt illustrations du peintre Amine el-Bacha. Il fera partie des autres volumes formant les Œuvres poétiques complètes aux éditions Dar an-Nahar. L’auteure définit ce livre comme une « géographie poétique », puisque Byblos, Baalbeck, Saïda… y figurent. Tuéni dédie cet ouvrage « à Nayla » – sa fille partie très tôt –, « à ceux qui furent ses amis et aux enfants de mon pays ». Nous nous inclinons aujourd’hui devant ce poème d’amour de Nadia Tuéni adressé à Beyrouth aujourd’hui lacérée et meurtrie : « Qu’elle soit courtisane, érudite ou dévote, péninsule des bruits, des couleurs et de l’or, ville marchande et rose, voguant comme une flotte, qui cherche à l’horizon la tendresse d’un port, elle est mille fois morte, mille fois revécue. »

Maroun Baghdadi : « Beyrouth ya Beyrouth »

C’est le premier long-métrage que le jeune cinéaste libanais tourne en mars 1975, à son retour au Liban après des études à l’IDHEC. Un scénario prémonitoire sur un amour impossible entre deux Libanais de communautés différentes qui dévoile la fissure profonde de la ville malgré un pluralisme affiché par beaucoup.

Un mois après la présentation du film, la guerre éclate au Liban, venant rompre tous les consensus. Avec candeur, le cinéaste parcourt de son œil amoureux la ville qui semblait jusqu’à présent être une ville de lumière et qui cache en elle beaucoup de noirceur.

La critique occidentale parle du metteur en scène comme d’un « grand poète de la caméra » et le public ovationne « un film prémonitoire, un poème d’amour à Beyrouth, une introduction à la guerre libanaise ».

Hassan Jouni : « Beyrouth, mon inspiration »

Cette toile n’est peut-être pas la plus belle qui ait été réalisée en hommage à Beyrouth. Mais elle représente, en cette période postexplosion du port, une sorte de pressentiment funeste quant au destin de la ville. Les maisons traditionnelles formant comme une tornade qui s’enfonce dans la mer d’un bleu insolent transmettent une charge tragique qui correspond bien aux images que l’on voit aujourd’hui de la ville détruite et meurtrie.

Hassan Jouni, né en 1942 à Zokak el-Blat, originaire du Liban-Sud, n’a eu de cesse de peindre sa nostalgie du vieux Beyrouth, de son architecture typique, de ses cafés grouillants, de l’élégance de ses habitants. L’artiste pense avoir pressenti la guerre dans ses tableaux des débuts des années 70 où il aurait vu les « bâtiments par terre et les vitres dans le ciel ».

Peindre lui permet alors de « ne pas devenir fou ». Et sa peinture nous permet aujourd’hui de nous attacher de plus en plus à nos racines.

Lamia Ziadé : « Bye Bye Babylone »

À 7 ans, elle était particulièrement friande des bazookas, ces bubble gums vendus chez Spinneys, à Ramlet el-Baïda. Entre l’imaginaire de l’enfance et la violence de la guerre, Lamia Ziadé tisse dans Bye Bye Babylone – une édition augmentée de la première partie en 2010, avec 100 pages de plus, est sortie en octobre 2019 chez P.O.L. – les récits de la vie quotidienne entre 1975 et 1979. « Dans ce livre, il y a Beyrouth, en feu, en flammes, en étincelles, en explosions, dans le noir absolu, il y a Beyrouth qui brille.

Il y a moi et mon petit frère, il y a des miliciens et des miliciennes... Il y a des cinémas en feu, le Roxy, le Radio City, le Dunia, l’Empire, le Rivoli, et des hôtels en flammes, le Palm Beach, le Vendôme, le St-Georges, le Phoenicia, l’Alcazar... », dit l’auteure illustratrice. Si ce n’est pas de l’amour…

Jocelyne Saab : « Beyrouth, ma ville »

En 1982, la maison familiale de Jocelyne Saab, vieille de 150 ans, brûle. En tandem avec le dramaturge libanais Roger Assaf, Jocelyne Saab décide de parcourir sa ville assiégée par les Israéliens et de rendre compte de la situation à Beyrouth.

C’est une déclaration d’amour et de courage qu’elle rend à cette ville qui la retient fortement dans ses bras. Cinématographe, documentariste et reporter, Saab a réalisé plus de trente documentaires dans sa vie mais aussi des fictions. Elle considérait Beyrouth ma ville comme le plus important de ses films. C’est le dernier documentaire d’une trilogie consacrée à cette ville durant la guerre du Liban, après Beyrouth, jamais plus (sorti en 1976) et Lettres de Beyrouth (sorti en 1979).

Elle a décidé de rester à Beyrouth durant le siège, alors que la plupart tentaient de quitter le pays. Un engagement « pour ceux qui restent en vie, pour ceux qui luttent ».

Rabih Alameddine : Beyrouth, c’est Elizabeth

« Beyrouth est l’Elizabeth Taylor des villes : démente, magnifique, vulgaire, croulante, vieillissante et toujours en plein drame », écrit Rabih Alameddine dans son magnifique roman Les vies de papier (prix Femina du roman étranger en 2016). « Mon père m’a nommée Aaliya, l’élevée, celle au-dessus », dit la Beyrouthine de soixante-douze ans. Elle aurait aussi bien pu s’appeler Beyrouth, cette femme solitaire dans son grand appartement délabré qui réinvente au fil des pages, entre les escapades, dans les rues tortueuses et torturées de sa ville, la définition d’être arabe, libanaise, répudiée, libraire, athée, drôle, râleuse, amoureuse folle de la littérature.


Feyrouz : « Li Beirut », un salut de paixLi Beirut (écrite par le poète Joseph Harb sur la musique de Joaquin Rodrigo) a été réorchestrée par les Rahbani et enregistrée par Feyrouz au plus fort de la guerre à Beyrouth, en 1984. Les paroles nostalgiques se réfèrent à une attaque contre sa ville bien-aimée, et par extension contre le Liban. Elles résonnent...

commentaires (2)

Bravo Hassan Jouni, il y a de la joie dans l'écroulement, il y a les couleurs du ciel méditerranéen, une flèche lancée dans le ciel pour rejaillir et se retrouver sur cette terre, ces maisons typiques existeront encore..Chaque spectateur a des yeux différents et l'espoir d'un meilleur à travers les arts visuels.

MIRAPRA

19 h 35, le 18 août 2020

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Commentaires (2)

  • Bravo Hassan Jouni, il y a de la joie dans l'écroulement, il y a les couleurs du ciel méditerranéen, une flèche lancée dans le ciel pour rejaillir et se retrouver sur cette terre, ces maisons typiques existeront encore..Chaque spectateur a des yeux différents et l'espoir d'un meilleur à travers les arts visuels.

    MIRAPRA

    19 h 35, le 18 août 2020

  • l'artiste ,celui qui touche les consciences !J.P

    Petmezakis Jacqueline

    07 h 16, le 15 août 2020

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