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Pénurie de lait : la galère des familles et des ONG

L’importation de ce produit est soumise à deux régimes selon qu’il relève du ministère de la Santé ou de celui de l’Économie. Comme c’est un aliment initialement cher, les fournisseurs décident d’en importer en moindre quantité.

Pénurie de lait : la galère des familles et des ONG

Les fournisseurs ont livré aux pharmacies des quantités de lait supérieures à la même période l’an dernier. Comme ils en importent moins, ce produit est difficile à trouver puisque leurs stocks commencent à être épuisés. Photo d’illustration Mohammad Yassine

Une galère. C’est ainsi que des mères de famille et des responsables d’ONG qui assurent des colis alimentaires aux plus démunis qualifient leurs quêtes difficiles, et parfois vaines, à la recherche d’une boîte de lait pour nourrissons, d’un sachet de lait pour tout âge, mais aussi d’autres produits de base. Cet aliment, vital pour de nombreux foyers, est devenu une denrée très rare.

« J’ai une grande difficulté à trouver du lait pour mon fils de huit mois », confie Rana. « Chaque mois, j’ai droit au même périple, se plaint-elle. J’essaie dans la mesure du possible de me faire un stock, mais ce n’est pas toujours facile. » Pour pourvoir aux besoins de son enfant, Rana fait littéralement le tour du Liban. « Je demande à mes amis qui habitent au Nord ou au Sud de m’en acheter dès qu’ils en trouvent, lance-t-elle. La dernière fois, j’ai pu me procurer vingt boîtes. »

Maintenant qu’elle a commencé à introduire des aliments solides aux repas de son fils, Rana souligne qu’elle a besoin en moyenne d’une boîte de lait de 400 g par semaine. « J’ai du mal à trouver du lait deuxième âge, regrette-t-elle. Souvent, je lui redonne du lait premier âge. Le pédiatre m’a dit qu’il n’y a aucun problème à le faire. J’arrive à me débrouiller, même si c’est parfois difficile. Ceux qui en souffrent le plus sont les parents dont les enfants ont des intolérances digestives ou d’autres maladies. Trouver du lait hypoallergénique devient alors problématique. »

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Des propos corroborés par Bernard Gerbaka, pédiatre. Il explique ainsi que la boîte de 400 g de lait hypoallergénique coûte plus de 150 000 livres. « Ce lait n’est pas subventionné et il était assuré gratuitement par le ministère de la Santé, avance-t-il. Mais on ne le trouve plus. Ce qui pose un problème notamment pour les enfants qui ont des problèmes de santé et qui ont besoin d’un lait qui ne contient pas des protéines de lait de vache. On n’arrive pas à suppléer à ce produit, alors que la question est moins problématique pour les autres enfants, notamment ceux âgés de plus d’un an, qui ont besoin uniquement de deux repas lactés par jour. Il est possible de leur donner du lait demi-écrémé qu’on trouve dans les supermarchés. De plus, ils peuvent manger des dérivés laitiers, comme la labné, le yaourt, le fromage… »

Saluant « le bon sens » des mères, le Dr Gerbaka fait remarquer que parmi ses patients, il y a des mères « qui ont prolongé la période d’allaitement, d’autres qui sont passées à une autre marque dans la même catégorie – un lait antireflux à titre d’exemple ». « Certaines ont réussi à faire un petit stock, alors que d’autres ont commencé à intégrer les dérivés lactés dans l’alimentation de leur enfant s’il est âgé de plus de six mois, dit-il. Il faut être plus tolérant avec les mamans et ne pas les pousser à culpabiliser pour avoir changé leurs habitudes. Au contraire, il faut les encourager parce qu’elles réussissent à se débrouiller avec le peu de moyens dont elles disposent. »

Rationnement

Le tableau est tout aussi sombre du côté des associations caritatives qui assurent des colis alimentaires mensuels à des milliers de familles. Le lait, tout comme l’huile, en constituent des aliments de base. Mais ils sont devenus hors de prix. « Le ministère de l’Économie ne fournit pas aux associations du lait pour enfants », explique le père Jean-Marie Chami, président de l’Écoute, une ONG qui vise à promouvoir l’intégration sociale des personnes sourdes, handicapées ou démunies, tout en sensibilisant à l’environnement. Elle a lancé en octobre 2019 le Marché du cœur, une initiative à travers laquelle elle distribue des aides alimentaires et sanitaires à près de 1 500 familles dans différentes régions. « L’ONG doit se procurer le lait auprès des pharmacies, déplore le père Chami. Or chaque officine a droit à un quota spécifique, ce qui rend la tâche encore plus difficile. Pour ce qui est du lait ordinaire, le subventionné n’est vendu qu’aux supermarchés, où l’on ne peut acheter qu’un ou deux sachets, parce que la vente de ces produits est réglementée. Nous comptons sur l’aide des bienfaiteurs. »

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Le père Chami fait remarquer que même s’il le voulait, il ne peut pas acheter le lait aux fournisseurs, puisque le sac de 50 kilos – qui suffit en moyenne à 50 familles à raison d’un kilo par mois – coûte 120 dollars à payer en espèces ou au taux du jour. Vu les difficultés auxquelles il fait face, il s’est vu dans l’obligation de faire du « rationnement ». « Souvent, je ne donne plus du lait aux familles qui n’ont pas d’enfants, regrette-t-il. Je suis obligé de le faire pour pouvoir assurer les manques. La priorité est aux enfants. »

Aide étrangère

Marie-Joëlle Naïm-Zraick, fondatrice de Secret Heart, une association créée en décembre 2019 qui assure des colis alimentaires tous les 25 jours à 38 familles libanaises démunies, confie qu’elle « ne cherche plus du lait, parce qu’il est en pénurie et s’il existe, on le trouve à des prix très élevés ».

Excédée par la situation, elle avait posté en mars un message de détresse sur la page Facebook de l’association. Son cri d’angoisse n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Le jour même, elle est contactée depuis Paris par une jeune Libanaise, Yasmina Comair, qui lui annonce avoir démarré une opération de collecte de lait au profit de l’association. Elle a pu les acheminer au Liban avec l’aide des passagers qui se sont portés volontaires. « Elle essaie de maintenir cette aide dans la durée, se félicite Mme Naïm-Zraick. Il y a bien sûr le problème de trouver des passagers qui acceptent de nous ramener ces paquets. Jusque-là ça marche. L’étranger ne peut toutefois pas être une solution. Il faut essayer de se débrouiller sur place. »

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Le problème ne se limite pas au lait, « qui est déjà cher à la base », insiste-t-elle. « Nous avons du mal à nous procurer d’autres denrées, comme l’huile – que nous n’achetons plus vu que son prix a considérablement renchéri – les conserves de viande, mais aussi les produits d’hygiène et d’entretien, note-t-elle. Tous ces produits sont en dollars et nous devons payer en espèces. L’approvisionnement devient de plus en plus compliqué. Nous comptons sur les donations et sur la vente des livres sur la page Facebook de Secret Heart. Encore faut-il trouver les produits à des prix acceptables. Nous devons toujours faire des ajustements tout en veillant à maintenir une bonne qualité des produits et à assurer une quantité adaptée aux familles. »

Deux catégories

Le lait est divisé en deux catégories. « Celui des premier et deuxième âges pour les enfants de moins d’un an et celui des troisième et quatrième âges administré aux enfants de 1 à 3 ans, auxquelles s’ajoute le lait pour les enfants plus âgés, explique Karim Jebara, président du syndicat des importateurs de médicaments. Le lait de premier et deuxième âges est exclusivement vendu en pharmacie, puisqu’il est associé aux médicaments. » De ce fait, la Banque du Liban fournit aux importateurs 85 % des dollars nécessaires au taux officiel de 1 507,5 livres pour le dollar et le reste doit être déboursé aux taux du marché parallèle. « De plus, le prix de ce lait est fixé par le ministère de la Santé », poursuit M. Jebara.

En revanche, la BDL fournit la totalité des dollars nécessaires pour l’importation du lait des troisième et quatrième âges au taux de retrait du « lollar libanais » fixé à 3 900 livres pour un dollar. Les formalités nécessaires pour bénéficier de cette subvention passent par le ministère de l’Économie.

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« Tous les importateurs décident de ne pas faire subventionner leurs produits, précise une source au sein du ministère de l’Économie. À ce moment, le prix du produit devient libre, comme c’est le cas avec n’importe quelle autre marchandise qui ne figure pas dans le panier alimentaire. »

Pourquoi alors cette pénurie ? « Il est sûr que l’approvisionnement des pharmacies en lait a augmenté au cours du premier trimestre de l’année en cours en comparaison avec la même période l’année précédente, affirme M. Jebara. En revanche, la quantité importée de ces produits est inférieure à celle de l’année dernière. La différence est sortie du stock qui est désormais limité. Par ailleurs, tout comme pour les médicaments, les clients essaient d’en stocker chez eux de peur de ne plus en trouver. »

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Mais aussi « les pharmaciens et certains fournisseurs », selon la source du ministère de l’Économie précitée. De plus, « comme la BDL tarde à assurer l’argent nécessaire aux importateurs qui demandent à faire subventionner leurs marchandises, celles-ci restent bloquées aux ports et à l’aéroport », déplore Hani Bohsali, président du syndicat des importateurs de produits alimentaires au Liban. « Les fournisseurs qui choisissent de ne pas faire subventionner leurs marchandises importent de moindres quantités, d’autant qu’à la base, le lait est un produit cher, ajoute-t-il. Il est alors soumis à la vente libre. » En attendant, les ONG et les familles n’ont d’autres choix que de « croire à la providence ».

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    08 h 19, le 21 avril 2021

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