Le président libanais Michel Aoun est revenu vendredi sur les raisons pour lesquelles il s'est jusque-là abstenu de signer l'amendement du décret présidentiel sur le tracé de la frontière maritime entre le Liban et Israël. Dans un entretien publié dans le quotidien Nida' el-Watan, il a estimé que promulguer cet amendement, qui ajoute un droit supplémentaire au Liban sur 1 430 km2 dans le tracé de la frontière, reviendrait à "mettre un terme aux négociations" avec Israël, suspendues depuis la fin 2020.
Les négociateurs et experts libanais avaient soulevé l'importance de cet amendement qui prévoit un élargissement de la Zone économique exclusive du Liban, afin de donner du poids aux revendications de Beyrouth face à l'État hébreu. Michel Aoun avait par la suite fait de ce texte son cheval de bataille pendant plusieurs semaines. Pourtant, après paraphe du document par les ministres concernés, il a refusé d'y apporter son approbation exceptionnelle, conditionnant tout signature par un consensus en Conseil des ministres. Le cabinet de Hassane Diab est pourtant uniquement chargé de la gestion des affaires courantes et ne peut pas donc normalement se réunir.
Dans son entretien, le chef de l'État a estimé qu'en ne signant pas le document, il a "reporté un grand problème concernant un dossier qui a besoin d'un consensus national, et évité au Liban de possibles répercussions négatives". Il a ajouté qu'il était dans ce cadre nécessaire de poursuivre les négociations avec Israël au sujet de la frontière afin d'empêcher celui-ci "d'évoquer des prétextes pour entamer ses opérations de forage dans les eaux libanaises". Et de souligner qu'il retardera cette signature même si le gouvernement approuve le décret, le temps de "disposer de toutes les données" disponibles sur ce dossier et de bien "évaluer" la situation. Signer le décret reviendrait, selon lui, à "arrêter les négociations", alors que d'autres mesures peuvent être envisagées pour démarquer la frontière, comme celles de faire appel à des experts internationaux et se baser sur le droit de la mer. Michel Aoun avait déjà évoqué ces possibilités, selon un communiqué publié par le palais présidentiel, après une réunion avec le secrétaire d’État adjoint américain pour les Affaires politiques, David Hale. Ce dernier avait alors affirmé que Washington restait prêt à "faciliter" la reprise des négociations.
Le président libanais s'est en outre défendu de lier la promulgation de ce décret à une levée des sanctions américaines imposées contre son gendre et chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil. "Si j'avais signé et que les négociations avaient été arrêtées, ils auraient dit que j'avais provoqué un problème auquel le Liban ne peut pas faire face en raison des conditions actuelles" de crise, a-t-il affirmé.
Les négociations sur la démarcation de la frontière, suspendues depuis décembre 2020, sont particulièrement cruciales pour un Liban en plein effondrement économique, qui veut lever tous les obstacles à la prospection d'hydrocarbures en Méditerranée. En 2018, le gouvernement de Beyrouth avait signé son premier contrat d'exploration avec un consortium international formé des groupes français Total, italien ENI et russe Novatek. Seulement, une partie d'un des deux blocs concernés par les travaux, le numéro 9, déborde sur la zone disputée avec Israël. L'État hébreu a confié de son côté l'exploitation du champ gazier de Karish, au nord de sa ZEE et donc dans la région frontalière avec le Liban, à la société grecque Energean.
La question gouvernementale
Par ailleurs, le chef de l'État a évoqué le dossier gouvernemental, affirmant que "la balle est dans le camp du Premier ministre désigné", Saad Hariri. Il a estimé que la volonté de ce dernier de vouloir "nommer seul les ministres" et non en accord avec le président, alors que selon M. Aoun cela fait partie de ses prérogatives, "ne permettra pas au cabinet d'obtenir la confiance du Parlement". M. Aoun a ajouté qu'il ne s'était plus entretenu avec le leader du courant du Futur depuis leur dernière réunion à Baabda, le 22 mars. "Hariri s'est déjà absenté trois mois de suite pour +changer d'air+ afin de poursuivre ses visites (à l'étranger)", a ajouté Michel Aoun, estimant à demi-mot que la visite actuelle de Saad Hariri en Russie est inutile, Moscou ayant déjà "affirmé soutenir la formation d'un cabinet". "Jusqu'à ce jour, il n'y a aucune avancée sur le dossier gouvernemental", a-t-il déclaré.
Et M. Aoun d'insister sur le fait que le président de la République dispose de prérogatives constitutionnelles pour former le cabinet "en coopération" avec le chef de l'Exécutif, soulignant qu'il est prêt à "mettre les protagonistes devant leurs propres responsabilités", en vue de mettre un terme au blocage. "La situation ne peut pas rester telle quelle, alors que les gens se battent dans les supermarchés pour un bidon d'huile", a-t-il dit, en allusion aux échauffourées quasiment quotidiennes provoquées par l'achat de produits subventionnés. Le président libanais a enfin déclaré que, contrairement aux demandes répétées de la rue, "un président ne démissionne pas de ses responsabilités". "Si j'ai fait une erreur, qu'on me le dise, mais je continuerai à assumer mes responsabilités constitutionnelles. De toute façon, quoi que je fasse, ils poursuivront leurs attaques contre moi", a-t-il conclu.
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2 options a la lecture: se tordre de rire se pendre devant le "palais" de baabda
Gaby SIOUFI
18 h 17, le 19 avril 2021