Tout a commencé par une idée lancée par le directeur général de la Sûreté générale devant ses interlocuteurs français. Ayant reçu une invitation officielle de la part de son homologue français, le directeur de la Sécurité intérieure, le général Abbas Ibrahim s’est donc rendu il y a quelques jours à Paris pour des entretiens sur des sujets qui intéressent les deux parties. Parmi les nombreux dossiers évoqués, il y avait, bien sûr, la formation du gouvernement. Un dossier dans lequel Paris s’était impliqué depuis des mois mais qui commençait à devenir pour les Français un véritable casse-tête.
Dans le cadre des discussions avec notamment les membres de la cellule de l’Élysée chargée du dossier – sauf le directeur de la DGSE, l’ancien ambassadeur Bernard Émié, confiné pour cause de Covid-19 –, Abbas Ibrahim a donc lancé l’idée que Paris écoute directement toutes les parties concernées par la formation du gouvernement et en particulier le camp présidentiel et celui du Premier ministre désigné. C’est ainsi que l’idée de recevoir le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a commencé à faire son chemin. Au départ, il s’agissait pour M. Bassil de se rendre en France pour y rencontrer les membres de la cellule de l’Élysée chargée du dossier libanais et pour avoir aussi des entretiens au Quai d’Orsay. L’initiative était importante car, dans l’entourage du chef de l’État et celui du député Bassil, on avait quelque peu le sentiment qu’une partie des responsables français étaient convaincus de la version véhiculée par certains médias et certains milieux politiques et qui leur faisait assumer la responsabilité totale du blocage gouvernemental. Cette visite représentait donc pour eux une chance d’exposer leur version des faits, les raisons qui, à leurs yeux, empêchent la naissance du gouvernement, ainsi que les possibilités de sortir de l’impasse. L’idée commençait donc à prendre forme et les Français ont voulu la développer pour donner un coup de pouce déterminant à la formation du cabinet.
C’est ainsi qu’au lieu de se contenter de recevoir le chef du CPL et d’écouter ses propositions, sachant que sa rencontre avec le président français n’avait pas été tranchée pour différentes raisons, il a été soudain question d’organiser une rencontre entre lui et le Premier ministre désigné à l’Élysée. Les parties françaises exigeaient toutefois que cette rencontre aboutisse à un accord entre MM. Hariri et Bassil de nature à permettre la naissance du gouvernement. Il s’agirait ainsi d’une victoire diplomatique pour la France qui aurait réussi à dénouer tous les nœuds entravant ce processus.
Selon les sources proches du CPL, Gebran Bassil aurait accepté l’idée, tout en restant discret sur les préparatifs de la visite, pour justement augmenter ses chances de succès. D’après ces mêmes milieux, les fuites dans les médias seraient donc venues du camp du Premier ministre désigné qui, d’ailleurs, s’est empressé de donner par la suite des signaux négatifs. Ses proches ont ainsi commencé à déclarer dans les médias que Saad Hariri ne voit pas l’intérêt de rencontrer Gebran Bassil à Paris. Il peut le faire à Beyrouth et, de toute façon, c’est avec le chef de l’État, non avec son gendre, qu’il forme le gouvernement. Ensuite, son bureau d’information a dévoilé que Saad Hariri ne pouvait pas se rendre cette semaine à Paris parce qu’il doit rencontrer le pape François au Vatican. Il est apparu par la suite que l’audience accordée par le pape au Premier ministre désigné est prévue le 22 avril, mais, entre-temps, les Français ont compris le message envoyé par M. Hariri, qui montrait son manque d’empressement au sujet d’une rencontre avec M. Bassil à l’Élysée.
Épisode dépassé
L’idée qui avait germé et qui commençait à prendre forme a donc dû être abandonnée, les Français ne voulant pas s’embarquer dans un tel projet sans avoir des garanties de réussite, d’autant que jusqu’à présent, et cela depuis le 6 août 2019, date de la première visite du président français à Beyrouth, le dossier libanais ne leur a apporté que des déceptions. Plus même, en dépit des termes très forts utilisés successivement par le président Macron et par le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, les parties libanaises se comportent, aux yeux des Français, comme s’il n’y avait aucune urgence, avec une désinvolture qui dépasse l’entendement. À la limite, il n’est même plus important pour eux de savoir où réside véritablement le nœud, tant il paraît inextricable. Pour l’instant, donc, leurs efforts pour aboutir à un déblocage ont pris une pause et les menaces de sanctions sur les responsables des entraves se multiplient. Mais les Français comptent poursuivre leurs contacts avec les parties internationales et régionales, ainsi que leurs pressions sur les responsables libanais pour aboutir à la formation du gouvernement. Pour eux, l’épisode de la rencontre avortée de Paris est dépassé.
Au Liban, par contre, la polémique a repris de plus belle. Pour le CPL et son chef, Saad Hariri a refusé la rencontre de Paris, tout comme il avait refusé auparavant l’initiative de Abbas Ibrahim pour une sortie de crise, parce qu’il veut atermoyer autant que possible dans l’espoir d’obtenir un encouragement saoudien. Sans l’appui du royaume wahhabite, il se considère défavorisé face au camp adverse et incapable de faire face. C’est pourquoi il cherche à former un gouvernement dans lequel il aurait la majorité plus un des ministres, et où il n’y aurait pas tiers de blocage pour les autres. Ce qui lui permettrait d’imposer sa volonté, au cabinet, marginalisant ainsi toutes les autres parties, dont le chef de l’État. Du côté du courant du Futur, on reconnaît que M. Hariri a refusé l’idée de la rencontre de Paris parce qu’il la considère en faveur du chef du CPL. Or il est clair pour tout le monde que c’est ce dernier qui bloque la formation du gouvernement en insistant sur le tiers de blocage, directement ou non, qui lui permettrait d’avoir le sort du gouvernement entre ses mains. Pour l’instant, les positions internes sont donc totalement opposées. Mais les développements régionaux pourraient, eux, changer les donnes.
commentaires (16)
J'était Hariri j'aurai agit de la même manière. Je ne voit pas pourquoi je me dois de rencontrer un chef de parti alors que mes fonctions sont de former un gouvernement avec le Président. C'est ainsi qu'est faite la constitution. Les Français, comme le reste du monde d'ailleurs et pire, les Libanais eux même, n'ont toujours pas compris que nous ne formons pas une nation, nous ne l'avons jamais formé et probablement ne la formerons jamais. Le Chrétien dans son écrasante majorité pense Liban alors que les musulmans pensent toujours d'abord arabe, perse, etc... et en dernier lieu place le Liban. Les Arabes eux même ont compris qu'être musulmans ne veut pas nécessairement dire qu'il faut oublier sa nationalité sauf ... ... les Libanais, qui plus est, ne sont même pas arabes ! Allez donc comprendre !
Pierre Christo Hadjigeorgiou
08 h 50, le 11 avril 2021