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Politique - En toute liberté

Le compromis, un mot-clé

Compromis. Ce mot-clé de la situation, c’est d’abord Walid Joumblatt qui l’a prononcé, comme solution pour débloquer le processus de formation d’un nouveau gouvernement. Le terme a été repris lundi par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Mais qu’est-ce que le compromis ? Comment le comprendre dans notre situation? Un exemple venu du monde juridique peut y aider. « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », dit le dicton. Cet adage a un côté financier. Les familles déchirées par un héritage le savent. On perd généralement moins d’argent dans un compromis qu’en allant en justice.

Traduit au Liban en termes politiques, ce dicton pourrait s’exprimer ainsi : « Un mauvais compromis vaut mieux qu’une bonne épreuve de force. » Car, en l’occurrence, de cette épreuve de force, ce ne sont pas les parties en conflit qui paient le prix, mais le peuple. Regardons ce qui se passe autour de nous ! Suivons l’envolée du dollar !

Le compromis a mauvaise presse, parce qu’on le confond avec la compromission, qui suppose un renoncement à des valeurs, à des principes de référence. Ce n’est pas le cas du compromis, tel que l’entendent tous les professionnels de la médiation et de la négociation. Dans un article sur le concept de négociation (Cermoc n° 23, 1999), le sociologue Bernard Rougier écrit : « Le concept de négociation connote la souplesse, le refus de la violence, la recherche du compromis (…) la négociation s’apparente à un apprentissage obligé de la vie en commun, puisque vivre ensemble ne résulte pas tant d’un choix que de la prise en compte d’une nécessité existentielle pour tous ceux qui refusent le risque de la guerre (…). La négociation est une relation de pouvoir (…). Le conflit latent ou manifeste et la tension étant les caractéristiques originelles d’une négociation, cette dernière doit donc se penser comme une interaction où les acteurs cherchent mutuellement à s’influencer dans un sens favorable à leurs intérêts, en ayant alternativement recours aux menaces et aux promesses (…). » N’est-ce pas ce que l’Europe, par la voix de M. Le Drian, commence à envisager, quand elle parle de sanctions ?

Dans la négociation, « la modification de la représentation de l’adversaire » joue un rôle éminent, ajoute Bernard Rougier. « La connaissance de l’autre, l’intériorisation de ses exigences, la prise en compte réciproque des contraintes, l’échange des concessions mutuelles contribuent à réduire la tension », explique-t-il.

Il y a certainement là une clé pour une sortie de la crise gouvernementale. Ne peut-on espérer, en effet, que le chef de l’État et le Premier ministre désigné « intériorisent » chacun pour son compte les exigences de l’autre, tout en tenant compte des composantes externes de leurs exigences ?

« Le compromis, loin d’être une idée faible, est une idée au contraire extrêmement forte (…) Nous n’atteignons le bien commun que par le compromis entre des références fortes, mais rivales », écrit le philosophe Paul Ricoeur (Éthique et politique, éditions du Seuil), qui ajoute que « le compromis est une barrière entre l’accord et la violence (…) Nous pourrions même dire que le compromis est notre seule réplique à la violence, en l’absence d’un ordre reconnu par tous, et en quelque sorte unique dans ses références ».

Au Liban, cet « ordre reconnu par tous » serait l’ordre constitutionnel. L’accord de Taëf, devenu Constitution, a confié au chef de l’État et au Premier ministre désigné le soin de former le gouvernement (article 53). Mais cet article offre aux acteurs politiques des possibilités d’interprétations divergentes sur le rôle dévolu à chacun dans ce processus. Comme l’a montré l’ancien ministre Ziyad Baroud dans une déclaration récente, le chef de l’État « n’a pas compétence liée », il n’est pas tenu de promulguer automatiquement le gouvernement que lui soumet le Premier ministre. Il est partenaire dans la formation de ce dernier. Mais comme le texte ne le précise pas explicitement, et comme la Chambre des députés a privé le Conseil constitutionnel du droit d’interpréter la Constitution, en l’absence d’un arbitrage clair, c’est le compromis qui s’impose comme solution unique de ce conflit d’interprétation. Ainsi, comme le démontre M. Baroud, « la solution n’est pas constitutionnelle, elle est politique ». Un compromis s’impose, comme « barrière » à la violence. Le secrétaire général du Hezbollah a pu évoquer le spectre de la guerre civile. Mais sans aller aussi loin, la criminalité en forte hausse, l’anarchie sociale, les conflits dans les supermarchés, les manifestations qui dégénèrent, la vente d’armes, l’autodéfense, la justice privée, le relâchement dans l’application des lois ne sont-ils pas déjà autant de formes de violence, autant de préfigurations de violences plus grandes, si un compromis n’est pas trouvé ?

Compromis. Ce mot-clé de la situation, c’est d’abord Walid Joumblatt qui l’a prononcé, comme solution pour débloquer le processus de formation d’un nouveau gouvernement. Le terme a été repris lundi par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Mais qu’est-ce que le compromis ? Comment le comprendre dans notre situation? Un exemple venu du monde juridique...

commentaires (2)

Revenons au "compromis", car j’entends ici ou là certains contradicteurs parler de compromis, dans le style non pas tribal, mais à l’européenne, si j’ose dire, ou des compromis à la belge ou à la suisse. Vivre dans des cantons comme en Suisse, c’est un rêve, mais il faut d’abord un Etat, en bonne et due forme. Un livre ("Le rendez-vous des civilisations", publié en septembre 2007), d’avant la guerre en Syrie donc, et le démembrement de ce pays, avait prédit un brillant avenir au pays du Cèdre. Sous le chapitre "Un Liban européen ?" je lis ceci, page 87 : "Le présent démographique du Liban présage peut-être un avenir politique de type ‘’helvétique’’, une forme originale de démocratie, communautarisée mais négociatrice et paisible", (sic). On prévoit les germes de négociations paisibles et donc sûrement des compromis helvétiques, mais que hélas 15 ans après, on en est loin. C’est dire que les prévisions sont parfois démenties par les faits, et malin qui ne se trompe sur le Liban, Ô mon pays laboratoire, un pays à part au monde.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

11 h 17, le 31 mars 2021

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Commentaires (2)

  • Revenons au "compromis", car j’entends ici ou là certains contradicteurs parler de compromis, dans le style non pas tribal, mais à l’européenne, si j’ose dire, ou des compromis à la belge ou à la suisse. Vivre dans des cantons comme en Suisse, c’est un rêve, mais il faut d’abord un Etat, en bonne et due forme. Un livre ("Le rendez-vous des civilisations", publié en septembre 2007), d’avant la guerre en Syrie donc, et le démembrement de ce pays, avait prédit un brillant avenir au pays du Cèdre. Sous le chapitre "Un Liban européen ?" je lis ceci, page 87 : "Le présent démographique du Liban présage peut-être un avenir politique de type ‘’helvétique’’, une forme originale de démocratie, communautarisée mais négociatrice et paisible", (sic). On prévoit les germes de négociations paisibles et donc sûrement des compromis helvétiques, mais que hélas 15 ans après, on en est loin. C’est dire que les prévisions sont parfois démenties par les faits, et malin qui ne se trompe sur le Liban, Ô mon pays laboratoire, un pays à part au monde.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 17, le 31 mars 2021

  • ""Les familles déchirées par un héritage le savent. On perd généralement moins d’argent dans un compromis qu’en allant en justice"". -------- Et finalement il y a un perdant qu’il soit lors d’un compromis de vente ou à la suite d’une querelle lors d’une indivision, et je sais de quoi je parle. Mais en politique, s’il est un gros mot pour certains, il n’est qu’une rustine pour d'autres pour remettre à plus tard une échéance. Je vis dans un pays à ""l’évolution institutionnelle inachevée"" (sic) et le compromis est souvent employé pour retarder l’éclatement. Que de mémoires, de thèses, sur le compromis tant vanté par les diplomates de ce pays aux autres en crise. Mais comment faire un compromis dans un pays, éclaté en zones confessionnelles souvent de non droit après une guerre de 50 ans, et à la règle de jeu (démocratique) si souvent contestée. C’est un marché de dupes, dont la finalité est pour faciliter la formation d’un gouvernement, et donc un objectif provisoire. Mr. Noun, si je peux me permettre un avis d’ami lecteur : ne vous référez pas trop à ce monsieur, c’est bien connu, les "conseilleurs" ne sont jamais les "payeurs", car il ne s’engage en rien dans ses conseils, compromis ou pas. Les compromis verbaux, ça on connait, n’engagent personne. Notre pays n’échappe pas à son destin, mais pour l’instant chacun pleure ses morts ou soigne ses blessures après l’apocalypse d’août dernier.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    04 h 07, le 31 mars 2021

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