Le Premier ministre désigné, Saad Hariri, a renvoyé lundi la balle de la formation du nouveau cabinet dans le camp du président de la République, Michel Aoun, à l'issue d'une très brève et orageuse réunion entre les deux hommes, qui a semblé faire revenir le processus à la case départ. Preuve que ni le Premier ministre désigné ni le président ne semblent prêts à faire des concessions pour arriver à un compromis, aucun rendez-vous pour une prochaine réunion n'a été annoncé.
S'adressant à la presse à l'issue d'un entretien d'une vingtaine de minutes seulement avec le chef de l'Etat, M. Hariri a annoncé avoir reçu la veille, de la part de la présidence, une mouture complète d'un cabinet avec "une répartition confessionnelle et partisane des ministères dans des gouvernements de 18, 20 ou 22", à laquelle il lui était demandé "d'ajouter" des noms. Cette proposition "accorde le tiers de blocage à sa formation politique", a-t-il critiqué. "Cette liste est inacceptable. Le travail du Premier ministre n'est pas juste de compléter un document qui lui a été envoyé", a-t-il lancé. "La Constitution stipule clairement que le Premier ministre désigné forme son gouvernement et donne les noms (des ministrables, ndlr) avant de les discuter avec le président", a déclaré Saad Hariri.
"Mon objectif est unique : mettre un terme à l'effondrement et aux souffrances des Libanais. J'ai donc demandé au président d'écouter ces souffrances et de donner une dernière chance au pays pour que soit formé un gouvernement de technocrates qui puissent mettre en œuvre les réformes, sans obstruction et sans considérations partisanes étroites", a-t-il déclaré. Il a encore indiqué avoir remis au président Aoun la même mouture que celle qu'il lui avait déjà présentée en décembre "il y a plus de cent jours". "Je lui ai dit que je suis toujours prêt à y apporter des changements ou à écouter ses propositions concernant les noms et les portefeuilles. J'ai même facilité les choses pour trouver une solution face à son obstination à obtenir le ministère de l'Intérieur. Mais malheureusement, sa réponse était claire : il veut le tiers de blocage", a-t-il souligné, visiblement excédé. "En attendant, et puisque le président avait dit dans son dernier discours que la liste que je lui avais présentée est incomplète, je partage avec vous cette mouture complète, que je lui ai présentée le 9 décembre 2020 et je laisse l'opinion publique être juge", a-t-il déclaré. Refusant de répondre aux questions de la presse, il a ensuite rapidement quitté les lieux, dans une ambiance survoltée.
"Coup d'Etat contre la République"
Peu après, le chargé de communication du courant du Futur, Abdel Salam Moussa, a partagé sur Twitter une photo montrant le leader sunnite au palais de Baabda avec le commentaire : "Saad Hariri déjoue, de Baabda, un coup d'Etat du mandat (de Michel Aoun, ndlr) contre la République". Moins d'une heure plus tard, les routes de Corniche Mazraa, Kaskas et la Cité sportive ainsi qu'au niveau du rond-point Cola, quartiers beyrouthins à prédominance sunnite, ont été bloquées par des manifestants. Des routes ont également été bloquées à Bohsas, à Tripoli, capitale du Nord. Cette mobilisation a poussé le secrétaire général du courant du Futur Ahmad Hariri à réagir sur Twitter, appelant les partisans de sa formation à ne pas recourir à la rue et assurant que le Futur n'a pas appelé à de telles réactions. "Nous appelons tout le monde à maintenir leur calme et à ne pas répondre aux provocations", a-t-il ajouté.
La livre libanaise a également réagi à ce rebondissement de la crise gouvernementale en enregistrant un nouvelle baisse et s'échangeait à 14.000 L.L. contre le dollar vers 17h (alors qu'elle tournait aux alentours de 11.000 ces deux derniers jours).
Guerre de communiqués
Aux propos de M. Hariri, la réponse de Baabda n'a pas tardé. Le président de la République, qui s'est dit "surpris par les paroles et les moyens employés par le Premier ministre désigné", a donné sa version des faits dans un communiqué publié par Baabda. Selon le texte, Michel Aoun a affirmé n'avoir fourni qu'une méthodologie et non une liste de noms de ministrables, niant chercher à obtenir le tiers de blocage. "Le chef de l'Etat s'est posé en défenseur de la Constitution et du Pacte national. Il a adressé au Premier ministre désigné un document indiquant seulement la méthodologie de formation du cabinet et comprenant quatre piliers", dit le communiqué, réfutant que M. Aoun ait transmis une mouture complète. "Ces quatre piliers sont un cabinet de 18, 19 ou 20 ministres ; la répartition des portefeuilles sur les confessions, conformément au texte de l'article 95 de la Constitution ; la référence pour la nomination de chaque ministre, après que le PM désigné ait dévoilé dans sa mouture que certains (partis) ont nomme leurs ministres ; les noms des ministres après accord sur leur confession et leur référence". Baabda a affirmé que le document proposé était une méthodologie et non une liste de noms, comme l'avait indiqué Saad Hariri. "Cette méthodologie est bien connue du Premier ministre désigné, lequel a déjà formé deux gouvernements sur cette base", a indiqué la présidence, regrettant qu'il soit proposé cette fois-ci une mouture incomplète sans référence pour la nomination des ministres. "Le PM désigné a annoncé une mouture gouvernementale, mais celle-ci n'a pas reçu l'approbation initiale du président de la République", affirme encore le communiqué. "Le président de la République tient à former un gouvernement conforme à la Constitution. Sa signature pour publier le décret est inhérente à la formation du cabinet et pas seulement médiatique. Sans cela, l'accord sera refusé. Il n'est pas permis de transformer la crise gouvernementale en une crise de gouvernance et de système", conclut le texte.
Des propos qui n'ont pas tardé à être démentis par un communiqué du bureau de presse de Saad Hariri. Celui-ci a maintenu ses affirmations, selon lesquelles, à chacune de ses réunions avec le chef de l'Etat, le président de la République avait insisté pour obtenir le tiers de blocage. "Cela n'a pas changé jusqu'à ce jour et cela est connu de tous les Libanais", a estimé M. Hariri. "Nous regrettons le communiqué de la présidence de la République qui trompe les Libanais et falsifie les faits et les documents (présentés)", a-t-il encore dit, dans ce qui semble être un énième épisode de la bataille des communiqués et accusations réciproques que se livrent le palais de Baabda et la Maison du Centre. A ce titre, le Premier ministre désigné a publié les "véritables documents reçus dimanche de la part de la présidence".
La présidence a apporté un nouveau démenti à ces propos. "Le texte diffusé par le bureau de presse du Premier ministre désigné, Saad Hariri, remonte à la période d'échange de formules gouvernementales entre le président de la République et le Premier ministre désigné entre fin novembre et début décembre 2020. Un communiqué a été publiée par la présidence de la République à l'époque à ce sujet", a affirmé Baabda, soulignant, de nouveau, n'avoir proposé qu'une méthodologie pour "faciliter la formation du cabinet"
Lors de leur précédente entrevue, jeudi, Michel Aoun avait réclamé au leader du courant du Futur une mouture dans laquelle lui et le Courant patriotique libre (CPL, qu'il a fondé) aurait soit huit ministres dans un cabinet de 20, soit sept dans un cabinet de 18, c'est-à-dire le tiers de blocage, ce que refuse catégoriquement de lui octroyer Saad Hariri. Parmi les autres obstacles que doivent surmonter MM. Aoun et Hariri se trouve également le choix des ministres de l'Intérieur et de la Justice, revendiqués par leurs deux formations. La question de la nomination des ministres druzes a, elle, été facilitée par l'appel au compromis lancé samedi de Baabda par Walid Joumblatt. Ce dernier, qui avait longtemps soutenu la demande de Saad Hariri d'un gouvernement de 18, a semblé lâcher du lest et s'est dit favorable "à un compromis autour de 18 ministres ou de tout autre nombre". La mise sur pied d'une équipe de 20 permettrait d'inclure un autre ministre druze, relevant donc du parti de Talal Arslane, allié des aounistes, et un grec-catholique, ce qui permettrait au CPL et à ses alliés d'obtenir le tiers de blocage.
Le soutien de Amal à Hariri
Mais nouveau rebondissement, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait "conseillé" jeudi soir à Saad Hariri de former un gouvernement "techno-politique", où les partis auraient leur mot à dire dans l'attribution des portefeuilles, et non une équipe de spécialistes indépendants, réclamée par la rue et la communauté internationale. Une demande qui a été saluée samedi par le CPL, mais à laquelle M. Hariri ne semble pas disposé à donner suite.
Lundi, l'ancien Premier ministre Nagib Mikati a déclaré que la formation du gouvernement est "essentielle" pour résoudre les problèmes socio-économiques. Des propos qui interviennent au lendemain d'un communiqué publié par les anciens présidents du Conseil, à savoir Fouad Siniora, Tammam Salam et M. Mikati, qui avaient apporté leur soutien à Saad Hariri et à la formation d'un gouvernement de 18 ministres technocrates non-partisans. Le mouvement Amal, du président de la Chambre Nabih Berry, a également appuyé cette formule. "Il faut se dépêcher de former un gouvernement de technocrates non-partisans, conformément à ce qui avait été agréé dans le cadre de l'initiative française et sans entrer dans une logique des quotes-parts et des chiffres, qui vise à faire obstruction", a souligné le bureau politique d'Amal à l'issue d'une réunion. La formation a souligné que ce cabinet devra "être capable de lancer rapidement les chantiers de réformes économiques, financières et monétaires" attendues, ainsi que de "récupérer la confiance des Libanais et renforcer les relations avec la communauté internationale et les organisations internationales". Avec cette déclaration, Amal répond implicitement à Hassan Nasrallah, son allié chiite.
Ces développements interviennent alors que la France entend faire pression sur les autorités libanaises pour former le gouvernement et lancer les réformes. Plus tôt dans la journée de lundi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a appelé ses homologues dans l'Union européenne d'utiliser "des leviers" contre les responsables politiques, estimant que le pays du Cèdre "est dans la dérive". Mercredi, le président français Emmanuel Macron avait déjà jugé nécessaire de "changer d'approche" au Liban. Une source diplomatique française avait, elle, indiqué à des journalistes qu'Européens et Américains doivent accroître les "pressions" sur la classe politique libanaise, ce qui pourrait in fine aussi passer par des "sanctions".
commentaires (19)
Il aurait fallu un huissier de justice accompagné d’une équipe qui filme la séance ainsi que les divers papiers qui semblent incompatibles ! Ensuite il faudrait placer une équipe féminine pour former un cabinet crédible parce que ras-le-bol de cette si triste mascarade au testostérone qui nous fracasse tout les jours un peu plus. Par exemple Sethrida présidente et Sara El Yafi PM avec un cabinet de 10 femmes dont Tracy Chamoun et vous verrez comment tout sera réglé en moins d’un mois et comment l’image du Liban redeviendra brillante et la diaspora réinvestira illico et pourra combler le vide. Une femme également pour la BDL!
Wow
16 h 42, le 23 mars 2021