Rechercher
Rechercher

Économie - Crise

La livre perd la tête, l’économie panique

Le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni, annonce le calendrier probable de suspension des subventions sur certains produits importés.

La livre perd la tête, l’économie panique

Le taux dollar/livre a littéralement perdu le nord hier. Joseph Eid/AFP

La journée d’hier a été particulièrement chaotique pour les Libanais, même selon les standards établis depuis le début de la crise il y a plus d’un an et demi. Alors qu'elle avait perdu lundi plus de 36 % de sa valeur depuis le début de l'année et près de 90 % par rapport à la parité officielle de 1507,5 livres pour un dollar - officiellement en vigueur mais rarement appliquée-, la monnaie nationale a continué de plonger hier sur le marché parallèle passant la barre des 14 000 livres, puis des 15 000 dans la confusion la plus totale".

Bien que leur accès depuis le territoire libanais ait été limité, les différentes plateformes suivant l’évolution du taux dollar/livre affichaient toutes des niveaux sensiblement différents, sans forcément être suivies par les agents sur le terrain. Ainsi, au moment où le taux avait dépassé la barre des 14 000 livres pour un dollar à la vente selon l’un de ces sites, certains agents que nous avons contactés en anonyme continuaient de racheter des billets verts à 13 000 livres.

L'éditorial de Issa Goraïeb

La livre de la jungle


Sur des groupes de messagerie instantanée, les taux annoncés ont même grimpé jusqu’à 17 000 livres avant de revenir aux environs de 15 000 livres. Selon plusieurs sources concordantes, le taux pouvait enfin varier de plusieurs milliers de livres en fonction des montants vendus ou achetés. En fin de journée, certaines plateformes rapportaient qu’il était redescendu en dessous de 15 000 livres, pour même se rapprocher des 14 000 livres.

Chaos énorme

Les facteurs qui expliquent ce nouveau plongeon entamé le 1er mars – soit, hasard du calendrier, au lendemain de la date butoir fixée par la Banque du Liban (BDL) aux établissements bancaires du pays pour ajuster leurs ratios de liquidités et de solvabilité auprès de leurs correspondantes respectives – restent multiples et difficiles à isoler. La forte volatilité du taux et surtout le fait qu’il redescende de façon aussi abrupte en fin de journée fournit de sérieux arguments aux voix qui dénoncent une attaque spéculative. Il reste que ses conséquences, au-delà de l’effet de levier sur l’inflation déjà spectaculaire (+84,9 % en 2020, selon les derniers chiffres officiels) et sur les capacités du pays à importer une partie des biens de consommation destinés au marché local, se sont toutefois aggravées d’un cran avec la décision prise par les acteurs de plusieurs filières de distribution de fermer leurs portes en milieu de journée.

Le Commerce du Levant

Au Liban, à quoi sert le marché noir ?

« Je ne veux pas perdre plus d’argent que je n’en perds déjà », a confié l’un d’entre eux à L’Orient-Le Jour, posté devant les portes de son « minimarket » situé en périphérie de Beyrouth aux environ de 15 heures. Un raisonnement partagé par plusieurs petits commerces, supermarchés, voire grossistes qui ont décidé de suspendre les livraisons jusqu’à nouvel ordre. « Il n’y a pas de mot d’ordre donné par le syndicat et chaque établissement est libre de réagir à cette situation chaotique comme il l’entend », a résumé de son côté le président du syndicat des propriétaires de supermarchés, Nabil Fahed, évoquant une « crise très sérieuse ». Selon lui, ceux qui ferment sont souvent ceux qui n’ont plus assez de liquidités pour réapprovisionner leurs rayons.

« Les importations sont quasiment à l’arrêt, le chaos est énorme et rien n’est clair depuis trois ou quatre jours. Si la situation ne s’améliore pas dans les prochains jours, plus personne ne pourra rien importer », a déploré de son côté le président du syndicat des importateurs de denrées alimentaires Hani Bohsali, qui n’écarte plus désormais le risque d’une pénurie sérieuse sur le marché local. Le président démissionnaire du syndicat des boulangers, Ali Ibrahim, a lui mis en garde contre un arrêt forcé de la production du pain « jusqu’à ce que le taux de change se stabilise » si la livre continue à chuter. « J’espère que ce problème sera résolu non pas en augmentant les prix mais en stabilisant les prix des matières premières nécessaires à la fabrication du pain. Nous sommes dans un cercle vicieux et nous ne savons pas par où commencer pour en sortir », a déploré le syndicaliste.

Pas de pénurie d’essence

Plutôt stoïques compte tenu des circonstances, les professionnels des carburants, eux, ont majoritairement contredit les propos du président du syndicat représentant les sociétés distributrices sur le territoire, Fady Abou Chakra, qui avait assuré lundi que le pays faisait face à une pénurie d’essence sur le marché, puis hier matin dans les médias. Une affirmation rebondissant sur le fait que plusieurs stations-service dans certaines régions du pays – Tripoli, Nabatiyé (Liban-Sud) et certaines zones de la capitale – avaient soit limité les quantités vendues par client, soit carrément fermé leur portes mais uniquement dans certaines régions du pays.

Fady Abou Chakra a néanmoins été contredit dès lundi dans la presse par le représentant actuel du syndicat des propriétaires de stations-service, Georges Brax, qui a réaffirmé hier à L’Orient-Le Jour qu’il n’y avait pas de pénurie d’essence ni de mazout. « C’est ce genre d’annonce qui crée la panique et pousse les Libanais à se ruer sur les stations-service pour faire le plein », explique Georges Brax. Il reconnaît toutefois que certaines stations ferment leurs portes ou diminuent l’offre de quantités de carburant les lundis et mardis car le ministère de l’Énergie et de l’Eau modifie les prix hebdomadaires tous les mercredis. Une observation également rapportée par une autre source proche des sociétés importatrices de carburant : « Ces comportements se faisaient plus rares lorsque la livre s’était stabilisée aux environ de 9 000 livres en janvier et février. Mais avec l’instabilité actuelle, de nombreux distributeurs sont tentés de stocker le carburant acheté pour le revendre une fois que le prix sera ajusté à un niveau qui leur convient. » En hausse quasi constante depuis le début de l’année au moins, les prix de l’essence devraient augmenter de 1 500 livres aujourd’hui selon nos sources.

Lire aussi

Chute de la livre : pourquoi ce que les autorités veulent faire est voué à l’échec


Un autre importateur rappelle que la filière a diminué « de 30 % » les quantités importées dans le pays et distribuées aux stations-service pour limiter le risque de voir une partie vendue en Syrie, pays en conflit depuis dix ans et où la situation économique est encore plus dramatique qu’au Liban. Le gouvernement syrien a annoncé hier une hausse de plus de 50 % du prix de l’essence sur fond de fortes pénuries et de dépréciation massive. « Les importateurs libanais ont serré la vis aux revendeurs pour limiter autant que possible que le carburant importé au Liban, qui bénéficie d’un mécanisme de subvention du taux de change mis en place par la BDL, ne soit revendu en Syrie. Cela a dû faire des mécontents », estime-t-il. L’importateur souligne toutefois que la BDL a été beaucoup plus rapide que d’habitude pour valider le déblocage des subventions pour les deux dernières livraisons assurées par ses tankers. La prochaine est attendue début avril.

Subventions jusqu’en juin

La BDL, qui a arrêté de stabiliser le taux dollar/livre au début de la crise pour tenter de ralentir la fonte de ses réserves de devises, a en effet mis en place dès octobre 2019 plusieurs mécanismes permettant les importations de produits stratégiques – blé, carburant ou encore médicaments – et de première nécessité – des denrées alimentaires principalement. Concrètement, ces dispositifs permettent aux importateurs éligibles d’échanger auprès de la BDL leurs livres contre des dollars au taux officiel ou à un taux plus avantageux que celui du marché parallèle. Des mécanismes que les autorités, qui n’ont lancé en près de deux ans presque aucune des réformes jugées nécessaires pour redresser le pays, veulent désormais rationaliser, les jugeant trop coûteuses (500 millions par mois et 6 milliards de dollars par an, selon les estimations qui circulent).

Lire aussi

Pourquoi les cours du pétrole sont à la hausse

Bien que les Libanais soient directement concernés par cette décision lourde de conséquences sur le plan social, c’est bien auprès des médias étrangers que le Premier ministre sortant Hassane Diab et le ministre des Finances de son gouvernement démissionnaire Ghazi Wazni ont tous deux jugé bon de communiquer sur le sujet. Le premier a indiqué à Reuters que « le gouvernement (pouvait) continuer à subventionner la plupart des biens importés concernés jusqu’en juin », mais que certaines subventions pourraient être supprimées avant cette date. Le second a déclaré à Bloomberg que la BDL n’avait plus que « 16 milliards de dollars » de réserves soit « 1 à 1,5 milliard » qui peuvent être allouées aux subventions pour encore « deux ou trois mois ». Toujours selon Ghazi Wazni, le gouvernement planche également sur une réduction « dans les prochaines semaines » de la proportion de dollars subventionnés fournis par la BDL pour les importations d’essence et de mazout et qui passeraient dans un futur proche de 90 % à 85 %.

Sans craindre d’être taxé de cynisme, le ministre sortant a enfin indiqué que la rationalisation des subventions serait moins douloureuse qu’attendu pour les ménages les plus fragiles, qui bénéficieront des aides financées par le prêt de la Banque mondiale de 246 millions de dollars approuvé par le Parlement la semaine dernière. Prêt dont une partie du montant sera de facto détournée compte tenu des modalités de versement finalement fixées – en livres et à un taux inférieur à celui du marché parallèle. Toutefois, le déboursement du prêt est soumis à l’approbation de la Banque mondiale en raison des modifications décidées vendredi par les parlementaires libanais, selon Assem Abi Ali, le superviseur général du Plan de réponse à la crise du Liban au ministère des Affaires sociales, qui n’a pas pu communiquer de calendrier d’octroi des aides. Le ministre a aussi reconnu que le pays se dirigeait vers un taux de change flottant, comme annoncé par le gouverneur de la BDL Riad Salamé ces derniers mois.

La journée d’hier a été particulièrement chaotique pour les Libanais, même selon les standards établis depuis le début de la crise il y a plus d’un an et demi. Alors qu'elle avait perdu lundi plus de 36 % de sa valeur depuis le début de l'année et près de 90 % par rapport à la parité officielle de 1507,5 livres pour un dollar - officiellement en vigueur mais rarement...

commentaires (5)

LA LIVRE N,A PLUS DE TETE. ELLE N,A QU,UNE QUEUE QUI S,ALLONGE D,INSTANT EN INSTANT.

LA LIBRE EXPRESSION

20 h 33, le 17 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • LA LIVRE N,A PLUS DE TETE. ELLE N,A QU,UNE QUEUE QUI S,ALLONGE D,INSTANT EN INSTANT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 33, le 17 mars 2021

  • Ils font miroiter le pire aux yeux des libanais pour qu’ils acceptent à la fin leur solution qui n’en est pas une sans broncher. Plus culottés tu meurs. Alors maintenant qu’ils ont volé leur argent ils leur propose d’accepter ce hair cut imposé et détourné avec les conséquences qui vont avec et les libanais sont contents de toucher des miettes puisqu’ils leur avez dit qu’ils ne verraient plus la couleur de leur argent volé au début de la crise. Un système basé sur la peur et les menaces pour arriver à leur but sans protestation des citoyens. Tu veux 1000 je te donne 10 ou rien du tout. Un jeu de dupes qu’ils pratiquent depuis des décennies et qui marche alors pourquoi le changer. Les libanais ont intégré l’idée de se contenter de très peu tant qu’ils arrivent à vivoter, pourquoi leur donner plus? L’adaptation au pire est le plus gros problème des libanais qui n’ont jamais osé réclamer leurs droits depuis des décennies et se font tout petit lorsque ces pourris les menaces du pire comme s’il existait encore alors qu’ils le vivent depuis leur accession au pouvoir. Qu’on nous explique ce que c’est le pire du pire. La mort debout ou la mort à genoux? Parce que de toute façon ça sera la mort.

    Sissi zayyat

    13 h 15, le 17 mars 2021

  • Le terme cynisme devrait être réservé à la BDL qui empêche les transferts vers le Liban en imposant un cours qui ne correspond plus à rien. Au lieu d'encourager les libanais de la diaspora (un sinistre terme) pour transférer des dollars, on leur donne une belle excuse pour ne pas le faire. Je pense qu'il faut arrêter la blague.

    Shou fi

    10 h 45, le 17 mars 2021

  • Vive le régime fort. Vivent les réformes et la lutte contre la corruption. Vive le triptyque sacré à Mar Mikhayel.... nous sommes affamés et ruinés mais nous avons gagné (je ne sais pas quoi ? )

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 29, le 17 mars 2021

  • ON EN EST LOIN ENCORE, SI LES CLIQUES MAFIEUSES CONTINUENT A GOUVERNER LE PAYS ET AUCUN GOUVERNEMENT DE MISSION COMME DEMANDE PAR L,INTERNATIONAL N,EST FORME LE DOLLAR AVANT L A FIN DE L,ANNEE S,ECHANGERAIT A 25000.-LL ET L,ANNEE PROCHAINE ATTEINDRAIT LES 30/35000.- POUR CLOTURER L,ANNEE A 50000.-LL. TANT QUE LES ABRUTIS, CORROMPUS, VOLEURS. MAFIEUX PAR EXCELLENCE SERONT AU POUVOIR. - CITOYENS LIBANAIS DEGAGEZ-LES AUJOURD,HUI AVANT DEMAIN EUX ET LEURS ALLIES LES MERCENAIRES POUR VOTRE SALUT ET CELUI DU PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 19, le 17 mars 2021

Retour en haut