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Économie - Taux de change

Chute de la livre : pourquoi ce que les autorités veulent faire est voué à l’échec

Le marché parallèle, que les autorités libanaises considèrent comme un « marché noir », est en réalité le seul marché où les particuliers et les détaillants non subventionnés peuvent acheter des devises.

Chute de la livre : pourquoi ce que les autorités veulent faire est voué à l’échec

La livre libanaise n’en finit plus de plonger. Joseph Eid/AFP

Alors que les manifestants ont bloqué, plusieurs jours durant, les routes à travers le pays pour protester contre la vive dépréciation de la livre libanaise (LL), qui continue de plonger après avoir passé le 2 mars le cap symbolique des 10 000 LL pour un dollar, les autorités officielles sont intervenues pour tenter de stopper la chute de la monnaie nationale.

Lundi 8 mars, de hauts responsables ont tenu à Baabda une réunion axée sur la sécurité économique et financière. Parmi les présents figuraient le président Michel Aoun, des membres du gouvernement sortant, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé, le président de l’Association des banques, des membres du syndicat des changeurs et des responsables de premier plan de la sécurité. À l’issue de la réunion, les participants ont annoncé qu’ils avaient décidé de sévir contre tous les changeurs, autorisés et illégaux, qui « spéculent » contre la livre, et d’interdire les plates-formes électroniques qui affichent le taux de change du dollar sur le marché parallèle. Hier, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a d’ailleurs demandé une aide juridique aux États-Unis pour les bloquer. Elles contredisent, selon le magistrat, les dispositions du Code national de la monnaie et sont responsables de spéculations ayant pour objectifs de saper la confiance dans les finances publiques de l’État libanais et de corrompre le marché de l’offre et de la demande par la fraude. Les autorités ont, en outre, appelé les ministères et les agences de sécurité à exercer un contrôle sur les transactions de devises fortes, sauf lorsque celles-ci sont effectuées à des « fins commerciales, industrielles ou sanitaires ». Cette parade des responsables rappelle des tentatives similaires infructueuses effectuées dans le passé, également pour endiguer la chute de la livre, ce qui permet de penser que cette nouvelle tentative, parce que du même acabit, risque de connaître le même sort. À cet effet, voici un rappel de ce qui a été fait cette semaine, de ce qui s’était passé les fois précédentes où la même stratégie avait été adoptée et les raisons pour lesquelles elle ne parvient pas à inverser la courbe.

Supprimer le taux

Lundi, l’opérateur officiel de télécommunications Ogero a bloqué plusieurs applications et sites web qui déterminent le taux de la livre, a indiqué le président d’Ogero, Imad Kreidiyeh, dans un tweet. L’un de ces principaux sites web, Lirarate.com, a ainsi cessé de fonctionner sur le réseau d’Ogero. Toutefois, il est toujours possible d’y accéder en installant un réseau privé virtuel (Virtual Private Network ou VPN).

De nombreux bureaux de change ont également été scellés à la cire rouge, tandis que plusieurs changeurs du « marché noir » ont été arrêtés à Tyr, selon l’Agence nationale d’information ANI.

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De ce fait, de nombreux commerçants ont décidé de rester fermés mardi dernier alors qu’un autre groupe bloquait les routes à Chtaura, dans la plaine de la Békaa, en brûlant des pneus, pour protester contre la répression et les arrestations. Les bureaux de change à Beyrouth étaient également fermés mardi, mais tous les changeurs n’ont pas arrêté le travail, certains d’entre eux s’installant près de leurs bureaux ou contactant des clients potentiels pour vérifier s’ils voulaient échanger des devises. « J’ai fermé mon bureau aujourd’hui pour éviter d’être arrêté », affirmait sous le couvert de l’anonymat un changeur qui négocie au taux du « marché noir » à proximité de son bureau dans le quartier de Hamra. « Je ne fais rien de mal, mon travail consiste uniquement à acheter et vendre des devises. Ils pensent qu’en appréhendant les changeurs, le taux va baisser, mais cela n’arrivera pas », fulminait-il. Le changeur imposait néanmoins de très importants écarts entre l’achat et la vente, ce qui lui assurait des profits exorbitants. Il achetait ainsi le dollar américain à 10 000 LL et le revendait à 10 700 LL, soit une différence de 700 LL. Si l’écart reflète souvent une instabilité du marché, il ne dépasse généralement pas 300 LL, même pendant les périodes de volatilité extrême.

Une politique qui a déjà échoué deux fois

Le contrôle du taux de la livre par des pressions sur les bureaux de change a déjà été tenté à deux reprises par les mêmes responsables l’année dernière. La première vague d’arrestations a commencé en mars 2020, lorsque la monnaie locale s’échangeait encore à 2 400 LL pour un dollar. Les services de renseignements de l’armée avaient alors commencé à « surveiller et contrôler » les changeurs qui ne fixaient pas le taux au-dessous de 2 000 LL, le plafond fixé par la BDL. Mais l’opération s’est révélée infructueuse, la monnaie nationale ayant continué à baisser, s’échangeant autour de 4 000 LL pour un dollar en avril, soit le double du plafond imposé par la banque centrale.

Un dimanche soir d’avril 2020, alors que le dollar était à 4 200 LL, la BDL a plafonné la vente à un maximum de 3 200 LL, de nouveau un taux bien inférieur à celui du marché. Le lendemain matin, les changeurs n’ayant pas respecté le dernier taux en date ont été surpris par des mesures coercitives des forces de sécurité. Des dizaines d’entre eux ont été arrêtés, dont le président du syndicat des changeurs, Mahmoud Mourad. Le syndicat a décrété une grève, qui a duré plus d’un mois, pour exiger la libération des changeurs.

Pendant la fermeture des bureaux de change, la livre a continué à s’échanger autour de 4 200 LL pour un dollar, mais pour une courte période. Deux semaines après la reprise des opérations de change, le taux du dollar était passé à 5 200 LL.

À la mi-juin 2020, la BDL a commencé à intervenir sur le marché pour renforcer la livre. L’annonce de cette intervention par le président du Parlement Nabih Berry à partir de Baabda visait à ramener la valeur de la livre à 3 200 LL pour un dollar, un objectif qui n’aura jamais été atteint, même après une injection de plus de 100 millions de dollars sur le marché, selon M. Mourad.

La plate-forme « Sayrafa House » de la BDL a fixé le taux de change en dollars à 3 900 LL depuis la fin juin. Les bureaux de change légaux ont donc été pris en tenaille entre le taux fixe artificiel de la BDL et un taux fluctuant qui reflète plus étroitement la réalité économique.

Il a été demandé aux changeurs agréés de se référer au taux de la plate-forme de la BDL et « d’assurer les besoins en dollars des citoyens » en fournissant des dollars aux importateurs de denrées alimentaires et de matériel médical, aux employeurs de travailleurs domestiques étrangers et aux familles des étudiants vivant à l’étranger. Les changeurs qui ne respectaient pas le taux de 3 900 LL, pas plus que les clients agréés par le syndicat, n’ont pas été considérés comme illégaux. La valeur de la livre a continué de baisser.

Contrôler le marché ou l’enterrer ?

Le marché parallèle, que les autorités libanaises considèrent comme un « marché noir », est en réalité le seul marché où les particuliers et les détaillants non subventionnés peuvent acheter des devises.

Dans les autres pays du monde, les régimes politiques qui tentent de contrôler les monnaies fortes créent de facto un marché parallèle, où les agents opèrent illicitement, devant leur bureau, ou au téléphone.

Dans de tels cas, les agents du marché profitent souvent de la situation en augmentant leurs marges de bénéfices aux dépens des clients. Les détenteurs de billets verts finissent par les vendre à un taux inférieur, tandis que les acheteurs de monnaie forte paieront un prix plus élevé, surtout en raison des restrictions. Le « changeur illégal » en profitera.

De telles tentatives de contrôle du marché se répercutent sur les détaillants qui ont besoin de devises étrangères et qui se tournent vers les bureaux de change pour convertir leurs livres en dollars. Souvent, seuls ceux qui ont des relations personnelles avec des changeurs obtiennent des devises fortes au taux officiel.

Entre-temps, les personnes intéressées continueront de chercher des acheteurs et des vendeurs de dollars sur des forums de discussion en ligne, tels que les médias sociaux Telegram et WhatsApp, où les gens fixent et négocient le prix qui leur convient, comme cela s’est déjà produit au Liban.

Alors que la dernière tentative des autorités libanaises de contrôler le marché des devises peut faire gagner un peu de temps, l’expérience passée et les fondamentaux du marché suggèrent que cela aussi ne devrait pas enrayer la dévaluation rampante de la livre.

(Cet article a été originellement publié en anglais par « L’Orient Today », le 9 mars 2021).

Alors que les manifestants ont bloqué, plusieurs jours durant, les routes à travers le pays pour protester contre la vive dépréciation de la livre libanaise (LL), qui continue de plonger après avoir passé le 2 mars le cap symbolique des 10 000 LL pour un dollar, les autorités officielles sont intervenues pour tenter de stopper la chute de la monnaie nationale.
Lundi 8 mars, de hauts...

commentaires (4)

Cette question est l’illustration parfaite de la totale incompétence du régime et du gouvernement actuels. Lundi, ils se réunissent en grande pompe avec de très belles photos à l’appui pour prendre les mesures adéquates. Résultat :aujourd’hui le $ est à nouveau à 11.000LL et les changeurs refusent de le vendre même à ce taux là. De grâce, ne vous réunissez plus et ne prenez plus de décisions à la noix, restez planqués, ça vaudra mieux pour tout le monde

Lecteur excédé par la censure

12 h 59, le 12 mars 2021

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Commentaires (4)

  • Cette question est l’illustration parfaite de la totale incompétence du régime et du gouvernement actuels. Lundi, ils se réunissent en grande pompe avec de très belles photos à l’appui pour prendre les mesures adéquates. Résultat :aujourd’hui le $ est à nouveau à 11.000LL et les changeurs refusent de le vendre même à ce taux là. De grâce, ne vous réunissez plus et ne prenez plus de décisions à la noix, restez planqués, ça vaudra mieux pour tout le monde

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 59, le 12 mars 2021

  • le $ est rare & tres recherche d'ou le taux de change qui grimpe ! ( wow... suis fier de l'avoir trouvee cette synthese >>>) en corollaire faire de sorte que la livre libanaise soit rare a trouver et tres recherchee, et voir ainsi le marche de change basculer, ce sera alors le taux de change du $ qui baissera et celui de la LL hausser ? une telle operation /ingénierie serait elle possible a appliquer ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 30, le 12 mars 2021

  • Ca y est ! Nous venons de rejoindre la Syrie, l'Iran, l'Arabie Saoudite, la Coree du Nord et quelques autres pays "avances" ou l'internet est censure. Le juge Oweidat a meme demande aux autorites US de l'aider dans cette tache. Nous allons avoir enfin un VRAI marche noir des devises, bien opaque. Pour le plus grand profit des mafieux du pouvoir "securitaire et financier" bien sur....

    Michel Trad

    09 h 01, le 12 mars 2021

  • CES CLIQUES MAFIEUSES QUI NOUS GOUVERNENT DU PLUS HAUT GRADE DE L,ECHELLE JUSQU,AU DERNIER ECHELON ONT CREE A FORCE DE BETISES ET D,INCOMPETENCE CES MARCHES PARALLELES DONT ILS ACCUSENT AUTRUI TOUT COMME ILS ONT HEZBOLLAH, AMAL ET CPL SURTOUT, SANS OUBLIER ET MENAGER TOUS LES AUTRES, DETRUIT TOTALEMENT LE PAYS. CITOYENS LIBANAIS, SEULES LES GRANDES REVOLUTIONS ONT CHANGE LES PAYS DU MONDE OU GOUVERNAIENT DES CLIQUES MAFIEUSES ET DES TYRANS. DEGAGEZ-LES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 47, le 12 mars 2021

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