
« La banque est en sécurité, le livre libanaise est morte », peut-on lire sur la pancarte brandie par un manifestant, à Beyrouth, mardi. AFP / JOSEPH EID
Alors que la livre libanaise a passé un nouveau cap symbolique mardi dans sa dégringolade, la colère populaire explosait un peu partout à travers le pays.
La monnaie nationale, en chute libre depuis l'été 2019, était en effet mardi en chute libre sur le marché parallèle, le dollar passant le seuil des 15.000 L.L. vers midi, selon plusieurs plateformes compilant les différents taux de change en vigueur. Ce nouveau record intervient après plusieurs jours marqués par une forte volatilité de la livre, alors que le billet vert avait dépassé fin février la barre symbolique des 10.000 L.L.. A Chtaura, dans la Békaa, le taux atteignait jusqu'à 15.200 livres pour un dollar en début d'après-midi, selon notre correspondante locale Sarah Abdallah. La livre a perdu plus de 90 % de sa valeur depuis qu'elle a commencé à se déprécier à l’été 2019, quand la Banque du Liban a restreint l’accès au billet vert dans l’économie.
Comme les jours précédents, la rue s'est vite enflammée mardi quand se sont répandues les informations sur ce nouveau taux, qui symbolise la terrible dégradation de la situation économique. Une colère, qui s'est traduite notamment par de nouvelles coupures de routes, mêlée à une certaine panique qui, elle, s'est matérialisée par la prise d'assaut de supermarchés, de boulangeries ainsi que des stations-service.
Dans la capitale, à Hamra, des protestataires ont organisé un sit-in devant le siège de la Banque du Liban. Ils ont bloqué l'entrée de la rue avec des bennes à ordures enflammées. Toujours à Beyrouth, les routes de la Cité sportive, Corniche Mazraa, Barbir, Chatila, Koraytem, le carrefour dit de Rachidine et le rond-point de Tayyouné ont été verrouillés. En début de soirée, des protestataires ont coupé la route Bir Hassan - Jnah à l'aide de pneus. Peu avant 20h, l’Ani a rapporté que l’autoroute de Dora a été coupée dans ses deux directions. Plusieurs routes de la Békaa ont également été coupées. L’axe routier Riyak - Baalbeck au niveau de la bifurcation de Brital a été coupée par un groupe de jeunes hommes en début de soirée. A Baalbeck, et dans d'autres régions, de nombreux commerces ont fermé leurs portes en signe de contestation. Face au décrochage de la livre, nombre de commerçants ne savent tout simplement plus quel prix afficher.
Dans le nord du pays, des contestataires ont coupé l'autoroute de Minié et de Beddaoui. L'armée libanaise est intervenue pour rouvrir ces axes à la circulation. A Tripoli, des protestataires ont effectué une marche dans les ruelles de la ville et se sont arrêtés devant les domiciles de plusieurs politiciens réclamant leur démission et la formation rapidement d'un gouvernement. Dans le Akkar, c'est avec des barricades en plastique, des pierres et des pneus que les manifestants ont coupé la route de Halba.
Au Sud, des protestataires au bloqué l’autoroute Nabatiyé-Zahrani. L'autoroute du Sud a également été fermée au niveau de Khaldé, Jiyyé et Saïda. La place Elia à Saïda a également été coupée par des manifestants en colère. Des mères de famille ont par ailleurs manifesté devant le sérail de Nabatiyé et la route principale de la ville a été coupée. "Nous sommes incapables d'acheter des médicaments et du lait", ont-elles déploré, scandant des slogans contre la cherté de vie, la hausse du prix de dollar, et la faim croissante.
Subventions et carburant
C'est dans ce contexte très tendu que le Premier ministre libanais sortant, Hassane Diab, a affirmé que les subventions sur certains produits, comme le carburant, ne pourraient pas se poursuivre après le mois de mars, tandis que celles sur les autres produits ne pourraient être assurées que jusqu'en juin. "Le gouvernement peut continuer à subventionner la plupart des biens jusqu'en juin, mais en ce qui concerne certains produits, comme le pétrole, les subventions ne seront plus assurées après le mois de mars", a déclaré M. Diab à l'agence de presse Reuters.
Le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni a, pour sa part, déclaré à Bloomberg que la BDL n’avait plus que "16 milliards de dollars" de réserves soit "1 à 1,5 milliard" qui peuvent être alloués aux subventions pour encore "deux ou trois mois". Toujours selon Ghazi Wazni, le gouvernement planche également sur une réduction "dans les prochaines semaines" de la proportion de dollars subventionnés fournis par la BDL pour les importations d’essence et de mazout et qui passeraient dans un futur proche de de 90 % à 85 %.
Le représentant des distributeurs de carburant, Fady Abou Chakra, avait déclaré plus tôt dans la journée qu'il y avait bien une pénurie de carburant sur le marché local, alors que, depuis lundi, de nombreuses stations d'essence ont fermé leurs portes ou rationné les quantités autorisées à l'achat pour chaque véhicule. Ce rationnement a entraîné de longues files d'attente devant les stations-service. Signe de la confusion qui règne dans le pays, les propos de Fady Abou Chakra contredisent ceux du porte-parole par intérim du syndicat des propriétaires de stations-service, Georges Brax, qui avait une nouvelle fois martelé lundi qu'"il n’y avait pas de (pénurie) d’essence" dans le pays.
File d'attente devant une station-service Photo Mohammad Yassine
Le système de financement des importations par les réserves de la Banque du Liban (BDL) a été mis en place pour faire face à la dépréciation rapide de la livre libanaise sur le marché parallèle. Il bénéficie aux importateurs de carburant, de blé, de médicaments, d’équipements médicaux et de matières premières destinées à l’industrie pharmaceutique. Une partie des mécanismes en place leur permet d’acheter à la BDL et au taux officiel de 1.507,5 livres pour un dollar une partie des montants réclamés par leurs fournisseurs, à condition de fournir eux-mêmes la fraction restante. La proportion est de 85% ou 90% de dollars subventionnés pour 15 ou 10% de dollars "frais". Un autre dispositif a été mis en place pour les biens de première nécessité et permet quant à lui aux importateurs concernés d’acheter tous leurs dollars au taux de 3.900 livres.
Production du pain
Pour sa part, le vice-président démissionnaire du syndicat des boulangers, Ali Ibrahim, a mis en garde contre un arrêt forcé de la production de pain "jusqu'à ce que le taux de change se stabilise", par crainte de lourdes pertes financières pour le secteur, dénonçant "l'indifférence" des responsables politiques face à cette crise. "J'espère que ce problème sera résolu non pas en augmentant les prix, mais en stabilisant les prix des matières premières nécessaires à la fabrication du pain. Nous sommes dans un cercle vicieux et nous ne savons pas par où commencer pour en sortir". Il a précisé que le sac en plastique utilisé pour emballer le pain arabe coûte aujourd'hui 471 livres libanaises aux boulangers. Deux présidents de syndicats de boulangers avaient présenté leur démission, il y a une semaine, arguant de leur incapacité à faire face à la crise économique et financière, qui impacte l’industrie du pain. Le prix du pain augmente régulièrement depuis mai 2020, alors que l'inflation annuelle a déjà dépassé les 140% fin 2020, selon des statistiques officielles
"Le pays s'effondre"
"Le pays s'effondre autour de nous et nous ne pouvons rien faire", a réagi sur Twitter Maha Yahya, directrice du Centre Carnegie à Beyrouth, fustigeant des politiciens qui "tiennent en otage" le pays.
Dans plusieurs régions, des accrochages ont été signalés dans des supermarchés, tandis que dans d'autres, les clients se massaient pour faire des stocks par peur d'une hausse drastique des prix.
Des jeunes hommes à bord de mobylettes ont circulé dans les quartiers de Beyrouth, notamment à Mar Elias et Hamra, pour réclamer la fermeture des commerces. A Batroun, et dans d'autres villes du pays, plusieurs commerces ont carrément fermé leurs portes ne pouvait définir le prix des biens proposés à la vente.
Après la dégringolade de la monnaie, les autorités libanaises avaient préconisé la semaine dernière l'arrestation des changeurs non-agréés et la fermeture des plateformes et applications indiquant le taux de change sur le marché secondaire. Une politique qui a entravé toute transparence, encouragé certains agents à spéculer de plus belle et précipité la chute de la monnaie, selon une source proche des agents de change contactée par L'Orient-Le Jour. Toutefois, "il est de plus en plus difficile d’isoler un facteur en particulier pour expliquer la dégringolade qui se poursuit depuis au moins quinze jours", exposait la même source, citant en vrac les crises, l'absence de perspectives d'amélioration et l'impasse totale dans laquelle se trouve le processus de formation du gouvernement sept mois après la démission du cabinet Diab. Pour cette source, la conjoncture désastreuse, la manipulation des taux par certains agents, la faiblesse de l’offre de dollar par rapport à une demande relancée avec le déconfinement enclenché en février figurent en bonne place parmi les catalyseurs de la dynamique actuelle. À cela s’ajoute également la demande émanant de Syrie.
Fausse traduction de la pancarte brandie sur la photo ! Est-ce une erreur INTENTIONNELLE ? Salamé . c'est le gouverneur de la Banque , ce n'est pas la sécurité !
13 h 54, le 17 mars 2021