Rien n’y fait. Ni les pressions étrangères ni les admonestations, encore moins l’effervescence de la rue, la livre libanaise qui s’effondre ou les moult acrobaties comptables pour défaire les nœuds qui obstruent la formation du gouvernement. À ce jour, aucune percée dans la formation du gouvernement n’a pu se faire tant du côté de Baabda que de celui de la Maison du Centre. Les partis campent sur leurs positions, aucun d’entre eux ne voulant lâcher le morceau ou donner l’impression d’avoir cédé à l’autre.
Dernière tentative en date pour tenter de débloquer la situation, la proposition faite par le chef du Parlement, Nabih Berry, a fini par connaître le même sort que la série de formules évoquées au cours des derniers mois pour une sortie de crise. Alors que la sempiternelle question de la majorité de blocage a fini par être résolue – en principe – par un accord sur un cabinet de 18 ministres, c’est désormais autour du ministère de l’Intérieur que le bras de fer se poursuit entre les camps du président de la République et du Premier ministre désigné, aucune des deux parties ne souhaitant lâcher ce portefeuille stratégique à l’aune de trois consultations électorales prévues pour 2022 (municipales, législatives et présidentielle). La bataille se focalise également autour du portefeuille de la Justice, dont l’attribution dépend étroitement de celle de l’Intérieur.
C’est sur ce point que serait intervenu le chef du législatif. Jeudi dernier, il a suggéré une nouvelle formule de 18 portefeuilles, dans laquelle Nabih Berry – intervenant comme médiateur – proposerait une liste de candidats pour les deux ministères qui posent problème. Selon cette proposition, le chef de l’État choisirait un candidat pour la Justice, qu’approuverait également M. Hariri, et inversement pour ce qui est de l’Intérieur. Selon une première version livrée par une source proche du 14 Mars, le président Michel Aoun, en froid avec M. Berry depuis des années, aurait rejeté d’emblée cette option. Le chef de l’État aurait par la même occasion fait monter les enchères en exprimant son souhait de revenir à un cabinet de 20. À la lumière de ce refus et de ce souhait, considérant que la formule de 20 ministres avait été approuvée par le chef du Parti socialiste progressiste, le leader druze Walid Joumblatt, qui acceptait par là même de nommer un second ministre druze en accord avec son rival le député Talal Arslane, M. Berry aurait boosté sa formule d’origine en y ajoutant deux ministres supplémentaires, pour répondre aux desiderata de Baabda.
Mais cette initiative aurait alors été immédiatement rejetée par Saad Hariri qui aurait fait parvenir à M. Berry son attachement non négociable au portefeuille de l’Intérieur, ajoute encore la source précitée. L’obstination du Premier ministre désigné à ne pas accorder au camp aouniste l’Intérieur, que le courant du Futur a brigué pendant plusieurs années consécutives, ne fait que renforcer la détermination du camp présidentiel à s’y attacher encore plus. D’autant que M. Hariri s’était engagé au départ à respecter le principe de la rotation des portefeuilles à l’exception des Finances, concédées au tandem chiite, rappelle-t-on dans les milieux aounistes.
Accusations à la pelle
Mais c’est une version totalement différente que livre à L’Orient-Le Jour Georges Atallah, député du bloc du Liban fort (CPL), au sujet de la proposition du chef du législatif.
« Nous n’avons eu connaissance de la proposition de M. Berry que par voie de presse, il y a quatre jours. Aucun émissaire n’a transmis officiellement cette formule au président Aoun », assure M. Atallah. Telle qu’elle est parvenue à Baabda, via certains organes de presse, la proposition était axée dès le départ sur un gouvernement de 20 ministres, avec une liste de noms pour les deux ministères pour lesquels MM. Aoun et Hariri devaient choisir respectivement un candidat adéquat. « Ce n’est pas le président qui a suggéré de relever le nombre à 20 », assure le député qui stigmatise le jeu dangereux et néfaste des rumeurs distillées dans les médias. Un démenti qu’il met implicitement sur le compte d’un ballon d’essai que le chef du Parlement aurait lancé pour sonder le terrain.
Entre-temps, la valse d’accusations mutuelles de blocage se poursuit, aucun des deux camps ne voulant admettre qu’il contribue à l’impasse.
Hier, les députés du mouvement Amal ont appelé les protagonistes à « arrêter de se rejeter mutuellement la responsabilité » du blocage du processus avant de réitérer leur appel à la formation rapide d’un gouvernement. Pour l’un des députés du bloc, Ali Hassan Khalil, ces échanges d’accusations « n’ont qu’un seul résultat : ils érodent la confiance des Libanais et de la communauté internationale dans l’État et ses institutions », a-t-il dit.
Stabilité
Conscients du fait que le blocage n’a d’autre origine que la guerre de pouvoir entre les principaux protagonistes locaux, des analystes continuent d’espérer voir une solution surgir de l’étranger, notamment depuis la Russie cette fois, qui est entrée en lice pour tenter d’aplanir le terrain.
Hier, une délégation du Hezbollah dépêchée à Moscou pour s’entretenir avec les hauts responsables russes a évoqué, entre autres dossiers, la question du gouvernement avec ses interlocuteurs russes. À l’issue de son entretien avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, le chef du groupe parlementaire du parti chiite, Mohammad Raad, a exprimé « l’attachement du Hezbollah à la nécessité d’accélérer la formation d’un cabinet qui reflète la volonté du peuple libanais », estimant que cette formation est la « clé de la stabilité et le début d’une solution aux crises ». Depuis qu’il a obtenu gain de cause en décrochant la désignation de ses ministres et garanti le portefeuille des Finances à son allié Amal, le Hezbollah répète à l’envi qu’il n’a aucun moyen de pression ni de persuasion pour inciter son allié chrétien (le CPL) à lâcher du lest pour faciliter la naissance du cabinet. Une tâche qui risque d’être d’autant plus difficile, selon des sources informées, que le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, s’est désolidarisé, dimanche dernier, de son allié chiite pour ce qui a trait au rôle de son arsenal militaire.
Une thèse que nuance Georges Atallah qui assure que le Hezbollah était déjà préparé au discours-clé prononcé par le chef du CPL et dans lequel il préconise le monopole de la violence légitime par l’État et la révision de l’accord d’entente entre le Hezb et le CPL de 2006. Un aveu qui abonde dans le sens de la thèse d’un jeu de rôles consenti en amont par les deux parties.
Évoquant une réunion qui a eu lieu la semaine dernière entre le responsable de l’appareil sécuritaire du Hezbollah, Wafic Safa, et Gebran Bassil, Georges Atallah affirme que les deux hommes ont notamment évoqué la question du gouvernement. « Lors de cette rencontre, Wafic Safa a assuré à Gebran Bassil que bien qu’il soit pressé de voir naître le cabinet, le Hezb ne donnera les noms de ses ministres à Saad Hariri qu’une fois résorbé le conflit entre la présidence et lui. » Le responsable chiite aurait également insisté sur un gouvernement où seraient représentées, même de manière indirecte, toutes les formations politiques en présence. Un point de vue qui rejoint la déclaration faite par M. Raad depuis Moscou. Le Premier ministre désigné Saad Hariri a, par ailleurs, reçu hier en fin de soirée le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, avec qui il a discuté des derniers développements politiques sur la scène locale et soulevé la nécessité de coordonner avec M. Berry autour du gouvernement. Dans des déclarations au site al-Modon lundi soir, M. Joumblatt a tenu à préciser que la seule option aujourd’hui sur la table est un cabinet de 18 ministres, comme le propose Saad Hariri. « Nous sommes d’accord sur ce principe et nous ne pouvons pas parler d’un élargissement du cabinet. »
commentaires (16)
Tout le monde est entré dans la danse de ce bazar politique mais personne ne s'est demandé comment 40 milliards de dollars ont été dépensés sur le problème de l'électricité par les ministres successifs de l'Energie alors que le libanais lambda n'a pas d'argent pour acheter des médicaments ou pour payer la scolarité de ses enfants
Un Libanais
19 h 34, le 16 mars 2021