Alors que l’on s’attendait à une nouvelle attaque ciblant le Premier ministre désigné Saad Hariri, avec qui il est à couteaux tirés depuis plusieurs mois, la surprise est venue d’ailleurs. C’est autour du Hezbollah que le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a principalement axé son propos hier, quoique de manière tempérée, dans un discours qui se veut « fondateur » pour la formation chrétienne.
Sans aller jusqu’à couper les ponts avec celui qui fut son partenaire indéfectible – dans une relation d’intérêts mutuels qui s’est essoufflée au fil des années –, le chef du CPL a été loin, mais pas assez diront certains, dans sa volonté de s’extirper en douceur de la relation consacrée par l’accord de Mar Mikhaël avec le parti chiite en 2006. Si sa nouvelle rhétorique est porteuse d’une inflexion certaine, elle reste à ce stade de l’ordre des souhaits et des slogans difficilement réalisables, dans un contexte politique où règne une méfiance absolue entre les protagonistes.
Pour la première fois, le leader chrétien s’est clairement prononcé pour le monopole de la violence légitime par l’État et en faveur d’une stratégie de défense dans laquelle l’armée réintégrerait son rôle en matière de défense du territoire et de ses frontières.
« Le CPL veut renforcer le Liban face à toute agression israélienne ou terroriste et considère que l’armée libanaise est la première responsable de la défense des frontières », a lancé Gebran Bassil dans un discours télévisé à l’occasion du congrès annuel de sa formation. Un projet qui doit toutefois être reporté, laisse entendre le leader chrétien, jusqu’à ce que l’institution militaire puisse bénéficier des équipements militaires nécessaires, une fois levé l’embargo sur les armes destinées à la troupe. Il faisait allusion à l’interdiction historiquement imposée par Israël notamment au principal bailleur de fonds de l’armée libanaise, les États-Unis, de livrer des armes considérées comme menaçantes pour l’État hébreu.
La présidence en perspective
Son discours, qui annonce tout un chantier de réformes et une vision d’avenir déclinée sur les plans politique, économique et sécuritaire, résonnait hier comme un véritable programme électoral pour ce candidat qui continue de caresser l’espoir de succéder à son beau-père, le président Michel Aoun. Une ambition qui l’a vraisemblablement poussé à remettre en cause certaines constantes sur lesquelles le courant aouniste avait tablé ces dernières années, et qui vraisemblablement ne sont plus payantes à la lumière du changement d’humeur aussi bien sur le plan interne qu’international. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la détermination du chef du CPL à revoir le document d’entente avec le Hezbollah, dans une volonté de l’améliorer, comme il insiste à présenter la chose.
Si M. Bassil s’est aventuré de la sorte sur le terrain sensible de l’arsenal du Hezbollah, c’est qu’il cherche sans aucun doute à s’aligner sur les souhaits de la communauté internationale, mais aussi d’une large partie du monde arabe soucieux d’en finir avec la problématique de ce qu’ils considèrent être une milice armée qui mine l’édification de l’État.
« Gebran Bassil espère ainsi réduire les pressions dont il est l’objet », commente une source proche du Hezbollah. « Sa tentative de séduire les pays arabes, les États-Unis et l’Occident en général vise simplement à échapper aux sanctions et récupérer l’argent qu’il a amassé », enchaîne Moustapha Allouche, vice-président du bureau politique du courant du Futur.
Le chef du CPL fait l’objet, depuis novembre 2020, de sanctions qui lui ont été infligées par l’administration américaine. Celles-ci ont eu pour effet de geler ses avoirs à l’étranger et de paralyser le mouvement de ses transactions au Liban.
La main tendue à Bkerké
L’opération de charme lancée par M. Bassil va encore plus loin, en direction de Bkerké cette fois-ci, lorsque le leader chrétien a évoqué la question de la neutralité, devenue le cheval de bataille du patriarche maronite Béchara Raï.
Liant le concept de la neutralité à la stratégie de défense, Gebran Bassil a considéré que celle-ci constitue en elle-même une garantie pour le Liban et lui impose de rester à l’écart de tout conflit qui ne le concerne pas. Pour autant, la neutralité ne saurait être considérée pour l’heure, à moins de parvenir à une entente intérieure, s’est dépêché de nuancer M. Bassil. Ce n’est que partie remise, doit-on comprendre, et un projet reporté à long terme.
« Il s’est prononcé en faveur d’une stratégie de défense sans vouloir toutefois y mettre de la substance ou préciser ce que cela veut véritablement dire et selon quelle vision », critique le politologue Karim Bitar.
En attendant, préconise M. Bassil, il faut appliquer la distanciation et le principe du « refus du Liban de s’ingérer dans les affaires qui ne le concernent pas et qui ne sont pas dans son intérêt ». Comprendre que le CPL n’avalise plus une implication du Hezbollah dans les pays tiers. Cela ne veut pas dire pour autant que le Liban « doit être tenu à l’écart des questions qui touchent ses intérêts ou celles qui ont trait au conflit avec Israël », a encore précisé le chef du CPL, dans une tentative d’amadouer le Hezbollah pour qui la neutralité constitue l’antithèse même de la résistance armée.
« C’est une main tendue vers le patriarche, mais avec le souci de ménager le Hezbollah », commente une source proche du parti chiite.
Un État civil latent
Le chef du courant aouniste a enfin tenté de séduire une dernière cible, tout aussi importante, à savoir les formations du mouvement de protestation et de la société civile en appuyant l’idée d’un État civil revendiqué par la rue. Un projet qui, a-t-il dit, doit se réaliser à travers un dialogue entre les Libanais et faire l’objet, là aussi, d’une « entente totale », être mis à exécution de « manière progressive », en tenant compte « des appréhensions qu’il suscite ». Autant de freins qui laissent croire que cette ambition est également inatteignable de sitôt.
Pour de nombreux commentateurs, le changement de ton est certes perceptible dans ce discours, les nouveautés aussi, mais le contenu reste vague et ambigu et ne dépasse pas le stade d’une tentative de séduction et de messages envoyés pêle-mêle dans plusieurs directions.
Réagissant au nouveau document politique du CPL, plus particulièrement au projet de stratégie de défense, un analyste proche du Hezbollah commente avec un brin d’ironie : « Le prétendant est prêt, frais et pimpant. Il reste la mariée (le Hezbollah) qui ne s’est pas encore prononcée. »
Pour Karim Bitar, Gebran Bassil a cherché de bout en bout « à ménager la chèvre et le chou, sans vouloir vexer personne. Il essaye de se repositionner sans perdre des alliés précieux ». Le problème est que toutes ces têtes de chapitres reluisantes « risquent de finir en queue de poisson, comme les slogans creux sur la lutte contre la corruption », dit-il encore.Plus significatifs encore, ajoute le politologue, sont les sujets qu’il n’a pas abordés. À savoir l’impasse gouvernementale, un sujet des plus pressants, ainsi que la question de l’électricité avec le courant qui risque d’être coupé prochainement faute d’un déblocage des financements nécessaires à l’importation du fuel, un dossier dont le CPL est « directement responsable ».
commentaires (25)
Il n'y a que imbéciles qui ne changent pas
Hitti arlette
22 h 41, le 15 mars 2021