Les responsables libanais, réunis lundi au palais de Baabda, alors que le pays connaît depuis le matin un grand mouvement de colère contre la crise socioéconomique et la chute record de la livre libanaise, ont décidé de plusieurs mesures liées à la situation financière et sécuritaire dans le pays, appelant notamment les forces de sécurité à empêcher toute fermeture des routes. Cette décision a été prise alors que, depuis l'aube, la police et l'armée ne sont pas intervenues de manière musclée pour rouvrir les axes routiers bloqués, comme cela était le cas lors de mobilisations précédentes.
Dans un discours virulent, le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, a, pour sa part, interpellé les dirigeants libanais et leur a demandé ce qu'ils comptaient faire pour lutter contre l'effondrement du pays, affirmant avoir préalablement mis en garde contre une situation "explosive".
Lors de la réunion "financière, économique et sécuritaire" de Baabda, tenue sous la houlette du président Michel Aoun, une série de décisions a en outre été prise pour lutter contre la "manipulation du taux de change" et la fermeture des plateformes en ligne compilant les taux de change moyens en vigueur sur le marché parallèle a été réclamée.
Etaient présents à cette réunion le Premier ministre sortant, Hassane Diab, les ministres de la Défense, Zeina Acar, des Finances, Ghazi Wazni, de l'Intérieur, Mohammad Fahmi, et de l'Economie, Raoul Nehmé, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, le commandant en chef de l’armée ainsi que des cadres sécuritaires, bancaires et financiers.
Ces derniers jours, la livre libanaise a connu une nouvelle dégringolade, battant tous les records atteints depuis le début de la crise : le billet vert a frôlé les 11.000 livres sur le marché noir -contre un taux officiel maintenu à 1.507 livres pour un dollar-, provoquant une nouvelle flambée des prix. Et l'épuisement progressif des réserves en devises de la Banque centrale, allouées à la subvention des produits alimentaires de base, fait craindre le pire alors que plus de la moitié des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté.
Les participants à la réunion de Baabda ont, face à cette situation, préconisé six mesures différentes, selon Antoine Constantine, conseiller du président Aoun. Ils ont chargé les forces de sécurité de prendre des mesures contre "toute personne qui enfreint les dispositions du Code de la monnaie et de la loi organisant la profession d'agent de change" en se livrant à des opérations de spéculation, qu'il s'agisse de changeurs agréés ou non. Les responsables ont également chargé les forces de sécurité de fermer toutes les plateformes et groupes électroniques non-agréés qui "fixent le taux du dollar américain face à la livre" et de coordonner ces efforts au niveau international afin que soit fermée toute plateforme électronique internationale.
Les ministres concernés et les forces de l'ordre ont encore été chargés d'assurer que les devises étrangères ne soient utilisées que dans le cadre de certaines transactions, dans des secteurs spécifiques comme le commerce, l'industrie et la santé, et uniquement pour "répondre aux besoins essentiels des citoyens". Les participants à cette réunion ont en outre réitéré l'importance de l'adoption d'une loi sur le contrôle des capitaux, attendue depuis des mois alors que les banques imposent, depuis l'été 2019, des mesures aléatoires et illégales restreignant drastiquement les transactions, transferts et retraits des déposants.
Ce n'est pas la première fois que les autorités parlent de contrôler ces plateformes et d’organiser la profession d’agent de change. Au printemps 2020 déjà, des mesures parfois similaires avaient été annoncées, et, dans ce cadre, le président et le vice-président du syndicat des changeurs avaient été arrêtés, pour être libérés peu après… Le chaos persiste depuis. Le ton ferme du communiqué d’hier n’est donc en aucun lieu un gage de sérieux dans la prise en charge de ce secteur. Quant à la loi relative au contrôle des capitaux, là aussi, il ne s’agit pas de la première promesse des autorités en la matière. Un projet avait été présenté par l’Exécutif puis retiré par le ministre des Finances Ghazi Wazni, proche du président du Parlement Nabih Berry, en juillet 2020.
Réouverture des routes
Concernant la contestation, dans le cadre de laquelle la majorité des routes du pays, grands axes comme petites voies, ont été bloqués depuis l'aube, les participants à la réunion ont appelé les forces de sécurité et l'armée à "ne pas permettre que les routes soient fermées". Ils ont souligné, dans le communiqué publié à l'issue de la réunion, qu'il fallait "garantir la sécurité des citoyens" et protéger les biens publics et privés.
Il a par ailleurs été demandé au ministère des Affaires étrangères d'"intensifier" ses efforts diplomatiques afin que les pays donateurs "aident au retour" des réfugiés syriens, dont la présence est considérée par les autorités comme une cause de l'effondrement financier et économique du pays.
"Je ne reculerai pas"
Prenant la parole au début de la réunion, le président Aoun a souligné que "des solutions doivent être rapidement trouvées à la situation financière et sécuritaire", évoquant notamment la "hausse injustifiée" du taux de change de la livre par rapport au dollar, alimentée selon lui par des "rumeurs visant à porter atteinte à la monnaie nationale et à déstabiliser" le pays. Il a donc appelé à ce que des mesures soient prises sans tarder contre les personnes qui "manipulent les moyens de subsistance" des Libanais en augmentant les prix des différentes denrées, mettant en garde contre les "dangers" de telles actions sur "la sécurité sociale et nationale". Evoquant la mobilisation populaire, le président Aoun a réitéré que les citoyens ont le droit "d'exprimer leur avis lors de manifestations" refusant toutefois toute fermeture des routes qui est "une violation du droit à se déplacer, surtout après des semaines de confinement" sanitaire. "Nous refusons les blocages de routes et appelons les forces de sécurité et l'armée à respecter leurs obligations et à faire appliquer les lois sans aucune hésitation", a-t-il ajouté, afin d'éviter tout "acte planifié de vandalisme". M. Aoun a encore dénoncé les slogans "qui nuisent à l'unité nationale et veulent provoquer des dissensions". "Je suis venu pour faire changer les choses, comme le veulent les Libanais, et je ne reculerai pas", a-t-il déclaré.
De son côté, Hassane Diab a souligné que la situation avait atteint "un niveau très dangereux", dénonçant également les personnes qui "manipulent le taux de la livre et contrôlent le futur du pays". "Est-il logique que des plateformes inconnues contrôlent le taux de change et que l'Etat soit incapable d'y faire face ?", a-t-il lancé, estimant que ces sites sont "politisés" et visent à "provoquer la destruction du Liban". "Ces plateformes, qui ne reflètent pas le vrai taux, sont devenues des références pour les changeurs et les commerçants", a-t-il regretté. M. Diab a encore rappelé que plusieurs réunions avaient été organisées ces dernières semaines pour lutter contre le trafic de produits subventionnés vers l'étranger ainsi que leur monopolisation et qu'un plan concret avait été été demandé pour lutter contre ces phénomènes.
commentaires (21)
"Je suis venu pour faire changer les choses, comme le veulent les Libanais, et je ne reculerai pas", quelle indécence, pour ne pas dire que certains ",,,ça ose tout!".
Christine KHALIL
20 h 07, le 09 mars 2021