Mobilisés sous diverses bannières, dont celle de la "Journée de la colère", des manifestants ont bloqué lundi plusieurs axes routiers à travers le Liban, y compris les principales artères menant vers la capitale, sur fond d'une nouvelle dépréciation de la monnaie locale et d'une impasse politique persistante. Depuis mardi dernier, les Libanais manifestent tous les jours pour exprimer leur ras-le-bol alors que le taux de change de la livre libanaise face au dollar atteint des records. Le weekend, le billet vert a frôlé les 11.000 livres sur le marché noir contre un taux officiel toujours maintenu artificiellement à 1.507 livres pour un dollar. Lundi, la monnaie nationale s'échangeait aux alentours de 10.500 L.L. pour un dollar, En plus de cette crise socio-économique, à laquelle s'ajoutent la pandémie de coronavirus et les conséquences de la double explosion au port de Beyrouth, les responsables politiques, accusés d'incompétence et de corruption, ne parviennent pas à former un gouvernement, attendu depuis sept mois pour adopter des réformes qui devraient permettre de débloquer des aides financières internationales.
Du Nord au Sud en passant par Beyrouth, sur les grandes artères comme les petites routes, les contestataires se sont installés lundi tôt le matin devant des barrages de pneus enflammés, de véhicules, de bennes à ordures ou de blocs en tous genres. A Jal el-Dib et Jbeil, au nord de Beyrouth, des tentes ont été installées sur l'autoroute pour marquer l'intention de ne pas lever le sit-in jusqu’à ce que des solutions sérieuses à la crise soient proposées.
Face aux blocages routiers en série, notamment aux entrées des grandes villes comme Tripoli, Saïda et Beyrouth, ou sur l'axe menant de et vers l'aéroport, plusieurs appels ont été lancés afin de faciliter le transport des bonbonnes d'oxygène médical à destination des hôpitaux du pays, en raison de l'importance de l'approvisionnement en oxygène, nécessaire notamment pour le traitement des patients souffrant du Covid-19.
Tensions
Dans la soirée, plusieurs routes ont été rouvertes mais certaines restaient fermées, notamment à Beyrouth et à Jal el-Dib. Un groupe de contestataires se dirigeait vers la place des Martyrs, dans le centre-ville, à bord de mobylettes, rapporte l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). Un peu plus tôt, un homme a tiré en direction des manifestants rassemblés à proximité de la place des Martyrs avant de prendre la fuite, sans toutefois faire de blessé.
Dans la journée, la situation était notamment tendue à Dora, non seulement entre des contestataires et des automobilistes tentant de circuler, mais aussi avec les journalistes de certaines chaînes de télévision, accusés de ne pas laisser les protestataires s'exprimer en direct, rapporte notre reporter sur place Mohammad Yassine. Un des manifestants bloquant le grand rond-point de Dora, qui relie Beyrouth au Liban-Nord, interrogé par L'Orient-Le Jour, a rapporté un incident survenu peu auparavant lorsque des contestataires s'en sont pris à un véhicule tentant de forcer le barrage, dénonçant les "moutons qui suivent les partis politiques" de chercher à provoquer des problèmes avec les contestataires.
Dans le Nord, des échauffourées ont éclaté à Bohsas, à l'entrée-sud de Tripoli, entre des manifestants, rassemblés depuis les premières heures de la matinée, et des militaires. Sur des vidéos diffusées par plusieurs médias locaux, on peut voir des soldats s'en prendre à coups de matraques à certains manifestants installés devant un barrage de pneus enflammés, afin de les disperser. La route a été rouverte peu après. Des contestataires ont par ailleurs effectué une procession dans les rues de la grande ville du Nord, afin de réclamer la démission de tous les dirigeants. Par ailleurs, devant le complexe de Palma, près de Tripoli, des manifestants ont commencé à construire un mur avec des blocs de béton. Seule une voie étroite a été ouverte en bordure de route afin de permettre la circulation de cas d'urgence.
"Aucun espoir"
A Zouk par contre, le déploiement de policiers autour des barrages routiers était très timide et les automobilistes étaient quasiment absents dans la matinée, l'autoroute étant bloquée en de nombreux autres endroits. "Apparemment, les forces de sécurité semblent se tenir aux côtés du peuple et, heureusement, ils n'attaquent pas les révolutionnaires", a salué Georges Ghanem, un habitant du quartier de Sarba qui manifestait sur l'autoroute à Zouk Mosbeh. A notre journaliste sur place Suzanne Baaklini, il a affirmé n'avoir "aucun espoir" dans la classe dirigeante et dans le président libanais Michel Aoun. "Tout le monde a faim, tout est cher. Comment font les gens qui ont une famille à nourrir ?", a déploré cet homme âgé d'une soixantaine d'années. Yara, étudiante, estime pour sa part que les manifestations "peuvent évidemment avoir des résultats positifs". "J'ai peur de poursuivre des études pour rien et d'être obligée plus tard de quitter le pays pour trouver du travail", confie-t-elle.
A Abbassiyé, près de Tyr, au Liban-Sud, un homme a essayé de s'immoler par le feu, lors d'un sit-in, rapportent plusieurs médias. L'homme, qui s'était aspergé d'essence, a été arrêté dans son geste par les manifestants et militaires présents sur les lieux.
Sur la place des Martyrs à Saïda, quelques centaines de personnes ont participé à un rassemblement organisé à l'appel de l'Organisation populaire nassérienne, mouvement de gauche dirigé par le député Oussama Saad, et de groupes se revendiquant du soulèvement populaire, rapporte notre correspondant au Liban-Sud, Mountasser Abdallah. Prenant la parole lors de ce sit-in, le député a regretté "qu'aucune solution politique sérieuse" ne soit envisagée par les dirigeants au pouvoir "qui ont causé l'effondrement" actuel du Liban. Dans cette ville du Sud, quelques protestataires ont en outre obligé des agents de change à fermer leurs bureaux dans la rue des banques, rapporte notre correspondant au Liban-Sud, Mountasser Abdallah. Selon une source citée par notre correspondante dans la Békaa, Sarah Abdallah, et d'après plusieurs médias locaux, des perquisitions ont été menées aux domiciles de plusieurs changeurs à Chtaura, Beyrouth et dans la banlieue sud, et plusieurs d'entre eux auraient été arrêtés par les forces de l'ordre pour avoir manipulé le taux de change.
Par ailleurs, des associations de familles d'étudiants à l'étranger ont manifesté devant la Banque du Liban (BDL) dans le quartier commerçant de Hamra à Beyrouth, pour exiger une nouvelle fois l'application de la loi sur le dollar étudiant, adoptée par le Parlement depuis plusieurs mois, mais qui n'a toujours pas été mise en application. Cette loi permet théoriquement le transfert à l’étranger d’un montant annuel de 10.000 dollars, calculé sur la base du taux officiel maintenu à 1.515 livres pour un dollar, à tout étudiant inscrit dans une université étrangère pour l’année 2020-2021, alors que le taux de change a atteint des niveaux record et que les transactions bancaires sont soumises à des restrictions depuis des mois.
"Inaction politique"
Le président Michel Aoun a tenu une réunion "financière, économique et sécuritaire" en présence notamment du Premier ministre sortant Hassane Diab et une série de décisions a été prise.
Mais dans un pays qui n'a jamais mené à bien les réformes attendues par la communauté internationale, les observateurs restent circonspects. "La chute du taux de change n'est que la poursuite d'une nette tendance baissière (...) depuis le début de la crise et l'inaction politique concomitante", résume Mohammad Faour, chercheur en Finances à l'Université de Dublin. Lundi, l'Observatoire de la crise à l'Université américaine de Beyrouth a alerté sur les retombées de cette nouvelle chute monétaire, estimant que "le pire n'était pas encore arrivé".
Les partis au pouvoir tergiversent, accusés par certains d'attendre un pourrissement supplémentaire. "Il est plus facile pour les dirigeants de ne rien faire, de répercuter lentement les pertes sur la population et de régner sur un pays beaucoup plus pauvre que de faire des réformes", estime l'économiste Mike Azar. "Les réformes nécessaires frappent directement le système clientéliste des partis politiques alimenté par le secteur public", justifie-t-il. "La restructuration des banques ferait peser une partie du fardeau sur les actionnaires et les grands déposants, deux classes politiquement influentes".
En décembre, la Banque mondiale avait évoqué dans un rapport accablant une "dépression délibérée", épinglant l'inaction des dirigeants.
commentaires (7)
CALMEZ-VOUS UN PEU. AOUN A DIT QU,IL EST VENU POUR EXECUTER LES DEMANDES DES LIBANAIS. VOUS DEMANDEZ QU,IL DEGAGE. IL LE FERA SI CE N,EST DE BONGRE CE SERA DE MALGRE. MAIS IL LE FERA.
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 10, le 08 mars 2021