Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La carte du tendre

Une Amazone à Rayak en 1938

Une Amazone à Rayak en 1938

Une aviatrice et un technicien à l’aéroport de Rayak vers 1938. Coll. Georges Boustany

La plaine s’interrompt d’un coup, à l’Est, par une chaîne montagneuse. Dans cet espace en apparence inhabité s’avancent une femme et un jeune technicien. Ils traînent derrière eux des ombres qu’étire le soleil en déclin vers le Mont-Liban. Les regards se croisent : il est intimidé par cette femme pourtant menue, mais il y a surtout de l’admiration dans sa manière de la couver des yeux. Elle s’en amuse, fait son aguicheuse sans en avoir l’air et le fait très bien : tout indique qu’elle est habituée à jouer des codes de la séduction comme d’une harpe. Faisant mine de le mettre à l’aise, elle le déstabilise : la main dans la poche, la tête penchée, le regard en coin et le sourire attentionné sont déjà irrésistibles ; le déhanchement de la silhouette sur des chaussures à talons hauts compensés est dévastateur. Pour autant, elle a pris soin de ne pas trop en faire : un ample pantalon à pinces et une veste gomment ses formes et lui donnent une allure masculine. Et puis le bonnet de cuir et les lunettes d’aviateur qu’elle s’apprête à ôter achèvent de la mettre hors de portée du commun des mortels. Finie l’époque des femmes soumises : les Amazones ont enfourché l’avion pour prendre le pouvoir. Mais oui, nous sommes bien en présence d’une aviatrice de l’âge d’or ! Et tout autour, c’est Rayak, dans la Békaa. Construit par les Allemands durant la Première Guerre mondiale, l’aérodrome est devenu avec le mandat une des plus belles bases aériennes de l’armée française du Levant, un véritable joyau doté d’installations modernes avec chauffage central, de jardins luxuriants, de centres de loisirs, de nombreux hangars et d’une école d’aviation.

Dans la même rubrique

Une téta derrière la barricade de la rue Monnot

En mai 1938, L’Orient affiche à la une la photo d’une jeune femme aux commandes d’un avion et titre : Maryse Bastié est à Beyrouth, avant d’ajouter : « La célèbre aviatrice compterait acheter ici même un avion appartenant à une compagnie pétrolière. » Qui se souvient aujourd’hui de Maryse Bastié, qui ressemble à s’y méprendre à l’aviatrice de notre photo ? Si les années 1920 et 1930 représentent l’âge d’or de pilotes tels que Lindbergh, Garros, Mermoz ou Saint-Exupéry, l’histoire est plus ingrate envers les aviatrices qui, à la même époque, ont pu rivaliser avec eux. Et pour cause : elles ont bousculé les rapports de force entre les deux sexes. Quelle trace a laissé une Marie Marvingt, seule femme au monde détentrice de quatre brevets (avion, ballon, hydravion et hélicoptère), qui pilotait des dirigeables et a établi le premier record de durée et de distance en avion ? Et Adrienne Bolland, qui reste jusqu’à nos jours la recordwoman du nombre de loopings (212 boucles !), mais aussi Hélène Boucher, acrobate aérienne reconnue, qui a battu sept records mondiaux d’aviation dont celui de vitesse ? Lorsqu’elle descend à l’hôtel Saint-Georges de Beyrouth, Maryse Bastié est célèbre dans le monde entier. Elle est venue acheter un Caudron-Renault appartenant à l’IPC (Iraq Petroleum Company), l’occasion de faire un tour de quatre jours au Liban.

Maryse Bastié dans « L’Orient » du 1er mai 1938.

Féministe et résistante

Née Marie-Louise Bombec en février 1898, Maryse devra lutter contre le malheur à chaque étape de sa vie. Orpheline à 11 ans, elle s’engage comme ouvrière dans une usine de chaussures. Son fils d’un premier mariage meurt tout jeune. Divorcée, elle se remarie avec son filleul de guerre, le lieutenant-pilote Louis Bastié, qui l’initie à l’aviation. À 27 ans, elle obtient son brevet de pilote avant de perdre son mari dans un accident d’avion. Elle relève la tête, devient monitrice de pilotage. Montée à Paris, elle donne des baptêmes de l’air et fait de la publicité aérienne avant d’acheter son propre appareil. À 32 ans, lancée dans une course affolante contre le destin, elle bat le record du vol le plus long en tenant dans son cockpit minuscule et à ciel ouvert durant 37 heures 55, dans un froid mordant, et en s’aspergeant d’eau de Cologne pour ne pas s’endormir. Un peu plus tard, elle traverse près de 3 000 km d’une seule traite entre Paris et l’Union soviétique. Le 30 décembre 1936, trois semaines après la disparition de son ami Jean Mermoz qui l’avait tant poussée à tenter le coup, elle est la première à traverser l’Atlantique-Sud de Dakar à Natal à bord d’un appareil sans radio.

Lire aussi

Une histoire écrite par des anonymes

Égale des hommes dans les airs, Maryse entend le devenir sur terre. Elle s’est lancé dès 1933 dans le combat des Françaises pour obtenir le droit de vote. Un an après sa visite au Liban, Maryse milite pour la création d’une phalange féminine au sein de l’armée de l’air, s’attirant les foudres de plumitifs misogynes, qui se sentent menacés par la montée en puissance des femmes, et auxquels elle répond dans un article intitulé Les femmes et la guerre (mai 1939) : « Mes compatriotes qui, dans tous les domaines, ont montré des qualités très féminines de sensibilité, de pitié, de tendresse et de dévouement n’ont pas besoin qu’on les mette en garde contre une prétendue tendance à jouer les Walkyries et les Amazones guerrières. » Au début de la Seconde Guerre mondiale, Maryse se porte volontaire dans l’armée de l’air. Lors de la débâcle, elle conduit des ambulances de la Croix-Rouge pour transporter des blessés et des réfugiés, avant de rejoindre la résistance. Les Allemands, d’abord admiratifs envers une aviatrice célèbre, finissent par perdre patience. Agressée par un soldat de la Wehrmacht, elle se brise le coude et ne pourra plus jamais piloter. Elle sera même détenue par la Gestapo durant plusieurs mois. Après la guerre, Maryse est la première femme à recevoir la Légion d’honneur pour « titres de guerre exceptionnels et faits de résistance » au grade de commandeur. Elle meurt en pleine gloire, à 54 ans, lors d’un meeting aérien, avant de tomber dans l’oubli. Jusqu’à la publication récente de l’ouvrage Une trace dans le ciel d’Agnès Clancier. L’occasion de rendre hommage, à la veille de la Journée de la femme, à cette Amazone qui, un jour, plongea son regard dans le ciel du Liban.

Auteur d’« Avant d’oublier » (les éditions « L’Orient-Le Jour »), Georges Boustany vous emmène, toutes les deux semaines, visiter le Liban du siècle dernier à travers une photographie de sa collection. Un voyage entre nostalgie et émotion, à la découverte d’un pays disparu.

La plaine s’interrompt d’un coup, à l’Est, par une chaîne montagneuse. Dans cet espace en apparence inhabité s’avancent une femme et un jeune technicien. Ils traînent derrière eux des ombres qu’étire le soleil en déclin vers le Mont-Liban. Les regards se croisent : il est intimidé par cette femme pourtant menue, mais il y a surtout de l’admiration dans sa manière de la...

commentaires (5)

Mes chers compatriotes, il faut se mettre à l'évidence et avoir le courage de voir les choses en réel. Le Liban est "un pays disparu". Citez-moi un pays ou une civilisation qui est née de ses cendres. C'est de la mythologie....La roue de l'histoire a tourné et le beau Liban a disparu. On n'a pas su le protéger des invasions diverses des gens qui n'ont rien de commun avec les gens qui ont habité jadis la montagne Libanaise... Maintenant le Liban est fait d'un tissu de gens (et pas de citoyens dans le sens propre du terme) qui ne se reconnaissent pas des mêmes valeurs.... La diaspora, elle, se reconnait plus d'un Liban que nous avons quitté que des gens qui sont restés sur place et sont tellement différents les uns des autres et surtout qui n'ont pas le même objectif et les mêmes valeurs. Désolé de heurter certains nostalgiques, idéalistes ou rêveurs.

DAOU Nabil

20 h 33, le 09 mars 2021

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Mes chers compatriotes, il faut se mettre à l'évidence et avoir le courage de voir les choses en réel. Le Liban est "un pays disparu". Citez-moi un pays ou une civilisation qui est née de ses cendres. C'est de la mythologie....La roue de l'histoire a tourné et le beau Liban a disparu. On n'a pas su le protéger des invasions diverses des gens qui n'ont rien de commun avec les gens qui ont habité jadis la montagne Libanaise... Maintenant le Liban est fait d'un tissu de gens (et pas de citoyens dans le sens propre du terme) qui ne se reconnaissent pas des mêmes valeurs.... La diaspora, elle, se reconnait plus d'un Liban que nous avons quitté que des gens qui sont restés sur place et sont tellement différents les uns des autres et surtout qui n'ont pas le même objectif et les mêmes valeurs. Désolé de heurter certains nostalgiques, idéalistes ou rêveurs.

    DAOU Nabil

    20 h 33, le 09 mars 2021

  • Oui "à la découverte d'un pays disparu". Toute la tristesse dans cette dernière phrase. Quant à l'héroïne Bastié,elle a vécu en 54ans, ce que d'autres feraient en 100 ans. Une vie glorieuse .

    Esber

    12 h 32, le 07 mars 2021

  • Plus de 2000 ans de crises en continu, et notre Liban renait toujours de ses cendres! Philippe Bardawil

    Bardawil dany

    10 h 44, le 07 mars 2021

  • L'OLJ dit : à la découverte d’un pays disparu... Non , jamais ....

    aliosha

    12 h 09, le 06 mars 2021

  • Superbe femmes et pays!

    Marie Claude

    07 h 31, le 06 mars 2021

Retour en haut