Alors que le tribunal militaire devait entendre hier certains des militants tripolitains arrêtés depuis le début du mois après des manifestations de colère contre la dégradation violente des conditions économiques, aggravées par le confinement décrété pour enrayer la propagation du coronavirus, la séance a finalement été reportée à aujourd’hui. Une panne d’internet au sein du tribunal a entravé le déroulement des audiences, tenues en ligne depuis que la pandémie de Covid-19 s’est déclarée dans le pays. La nouvelle du report a été annoncée vers midi, alors qu’une centaine de personnes, dont des proches des détenus, manifestaient devant le siège du tribunal militaire à Beyrouth. « Le tribunal a tenté d’entamer l’audience des prévenus par visioconférence mais il y a eu une panne d’internet. La séance a été ajournée à demain (aujourd’hui) et devra se faire en présence des manifestants poursuivis », explique à L’Orient-Le Jour Me Ayman Raad, l’un des avocats des prévenus.
Arrêtés au lendemain des manifestations qui ont secoué Tripoli fin janvier, trente-cinq militants antipouvoir, dont 18 qui sont toujours en détention, sont accusés depuis lundi de « terrorisme, tentative de former un groupe terroriste et vol ». Des accusations graves et qui peuvent mener jusqu’à la peine capitale au Liban. « Les poursuites pour terrorisme de ces activistes peuvent faire l’objet d’un appel devant la justice », affirme Me Raad, estimant qu’elles sont « instrumentalisées à des fins politiques ». L’avocat explique que le juge tranchera aujourd’hui en principe sur les demandes de remise en liberté des 18 détenus.
Tristesse et résignationHoda Badawi, dont le fils Tarek, chauffeur de taxi de 22 ans, fait partie des détenus de Tripoli, a accueilli la nouvelle du report des audiences avec résignation. « Mon fils est en état d’arrestation depuis le 27 janvier. Les deux premiers jours, je ne savais même pas où il était. Il a toujours été pacifique », raconte cette femme menue aux yeux bleus, le regard triste. Depuis que son fils attend d’être interrogé, Hoda se rend tous les matins à Beyrouth en bus pour manifester devant le tribunal militaire. « Je sors de chez moi à 8h du matin. Parfois, des militants m’emmènent avec eux en voiture à Beyrouth. Je ne peux pas décrire ce que j’ai ressenti lorsque j’ai appris que Tarek était accusé de terrorisme. J’ai senti que je l’avais perdu à tout jamais », lâche-t-elle. « Ce report n’est certainement pas innocent et s’il est vrai qu’ils n’ont pas internet au tribunal militaire, c’est absolument ridicule », s’insurge pour sa part le militant et journaliste Samir Skaff, qui prenait part à la manifestation hier. « Deux militants étaient supposés sortir aujourd’hui. Ils veulent faire traîner les choses et, pendant ce temps-là, ce sont les familles qui souffrent », ajoute-t-il.
Tôt dans la journée, l’armée avait bloqué les accès au tribunal, en prévision de la manifestation, provoquant des embouteillages dans le secteur. Les forces de l’ordre avaient également installé des barbelés pour empêcher les manifestants de s’approcher du bâtiment. Ces derniers arboraient des pancartes dénonçant le pouvoir judiciaire et la classe dirigeante. Certains ont également lancé des insultes contre le président de la République ainsi que contre le juge Fady Akiki, qui a émis l’acte d’accusation. En début d’après-midi, des dizaines de manifestants en colère se sont dirigés vers la demeure du juge Akiki à Badaro où ils ont brièvement bloqué la circulation avec des pneus enflammés. Un nouveau sit-in est prévu aujourd’hui devant le tribunal militaire, en parallèle à la tenue des audiences.
« Ce sont eux les véritables terroristes » Venu à Beyrouth en compagnie d’une dizaine d’activistes tripolitains pour soutenir les proches des détenus, Abou Omar Fcheich s’est dit étonné par l’acte d’accusation émis par le tribunal militaire. « Je ne comprends pas pourquoi des jeunes qui voulaient exprimer leur douleur sont accusés de terrorisme, alors que ceux qui ont fait exploser le port de Beyrouth courent toujours », lance Abou Omar qui a lui-même été convoqué à trois reprises par les services de renseignements, pour avoir pris au soulèvement populaire du 17 octobre 2019. « Les proches des détenus sont dans une situation difficile. Ces jeunes sont souvent les seuls à gagner de l’argent dans la famille et certains ont des enfants. Ils essaient toujours d’accuser les Tripolitains de terrorisme », déplore ce militant âgé d’une cinquantaine d’années.
Deux mères de famille originaires de Saïda, au Liban-Sud, ont également fait le déplacement pour soutenir les protestataires à Beyrouth. « Ils accusent les jeunes de terrorisme mais ce sont eux les véritables terroristes. Ils ont brisé les rêves des jeunes Libanais », lance l’une d’elles, en colère. « Mon fils a laissé tomber ses études pour travailler et nous aider à joindre les deux bouts. Ils ne savent plus quoi faire pour nous appauvrir et nous tuer », lâche-t-elle.
Un drapeau du Liban enroulé sur les épaules, son amie se désole de voir la route coupée par les barbelés installés par les forces de l’ordre. « Ils nous ramènent au temps des lignes de démarcation entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest. Les autorités font tout pour raviver le confessionnalisme », déplore-t-elle.
Les Protestataires sont légitimes dans leur contestation d'un Pouvoir dictatorial, inique et corrompu, qui ne fait qu'aggraver la ruine du Liban et des Libanais. Ils doivent être acquittés.
12 h 09, le 25 février 2021