Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil, a clarifié dimanche la position de sa formation politique concernant la mise sur pied du nouveau gouvernement, attendu depuis six mois, appelant à augmenter le nombre de ministres de 18 à au moins 20, afin qu'un des ministres chrétiens ne relève pas du chef de l'Etat, concédant qu'il pourrait être choisi par les Marada et non par le président Michel Aoun. Dans un long discours, il s'en est à nouveau pris au Premier ministre désigné, Saad Hariri, qu'il a accusé de "mentir" auprès des chancelleries internationales lorsqu'il accuse le président Aoun et le CPL du blocage gouvernemental, et l'estimant prêt à "voir s'effondrer le pays pour que s'effondre le mandat Aoun". Le discours de Gebran Bassil intervient une semaine après une intervention de M. Hariri, au cours de laquelle il avait fait assumer la responsabilité du blocage au camp aouniste et au président Aoun.
Désigné le 22 octobre 2020, M. Hariri n'est toujours pas parvenu à constituer son gouvernement, en raison d'un bras de fer politique avec le président de la République, Michel Aoun, et ses alliés, notamment au sujet de la forme du gouvernement, des noms des ministres, et de la répartition des portefeuilles entre les différents partis politiques. La question de l'attribution du tiers de blocage au chef de l'Etat et au CPL pose aussi problème. Plusieurs initiatives et suggestions ont depuis été lancées par différentes formations de la majorité afin de faciliter le processus. Le président de la Chambre et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, a ainsi proposé la formation d'un cabinet au sein duquel aucune partie n'obtiendrait le tiers de blocage et que les personnes qui seraient chargées des ministères de l'Intérieur et de la Justice, qui font l'objet d'un désaccord entre le président Aoun et Saad Hariri, soient choisies sur base d'un consensus entre les deux responsables. De son côté, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé à élargir l'équipe, de 18 ministres que souhaite Saad Hariri à "20 ou 22", sans qu'aucune partie ne puisse, dans ce cabinet, obtenir le tiers de blocage.
L'initiative aouniste
"En tant que Courant patriotique libre, nous proposons notre propre initiative, dans laquelle le président Aoun n'est pas intervenu, a-t-il souligné. Elle prévoit la formation d'un cabinet de vingt ministres au lieu de dix-huit, mais n'accorde pas de ministre chrétien supplémentaire au président". "Nous acceptons que ce ministre chrétien supplémentaire relève des Marada, mais pas du Premier ministre désigné, a-t-il précisé. Il serait préférable que le nombre de ministres soit porté à 22 ou 24, afin de respecter le principe selon lequel chaque ministre serait chargé d'un portefeuille de sa spécialité et ne devrait pas cumuler deux ministères qui n'ont rien à voir" l'un avec l'autre, a-t-il ajouté. Et d'insister sur l'importance d'un "principe unifié" pour la nomination des ministrables. "Si le Premier ministre désigné dit qu'il choisit les ministres sunnites, qu'il opte pour le nom du ministre druze que lui propose le Parti socialiste progressiste (de Walid Joumblatt, ndlr), qu'il attend les noms des ministres du tandem chiite, cela signifie qu'il met en place une répartition partisane et confessionnelle des portefeuilles et il faut donc que ce principe s'applique aux chrétiens et que le président et tous les groupes parlementaires qui souhaitent participer au cabinet donnent les noms de leurs ministrables", a-t-il appelé.
Gebran Bassil a par ailleurs souligné que ni lui ni le président Aoun "ne veut obtenir le tiers de blocage". "Si c'était le cas, nous le dirions et nous nous battrions pour l'obtenir, parce que c'est notre droit. Mais nous ne le réclamons pas parce que le gouvernement doit être formé de technocrates indépendants et non-partisans", a-t-il souligné. "C'en est assez des diffamations concernant le tiers de blocage et des mensonges propagés dans les capitales du monde entier selon lesquels nous voulons contrôler le futur gouvernement et devenir président de la République".
"Faire tomber le mandat Aoun"
"Certains provoquent la souffrance des gens et l'exploitent afin de faire pression sur nous et nous casser politiquement", alors même que le Liban connait une "crise existentielle" qui nécessiterait plutôt de former "un front uni", a accusé le député, se lançant dans une longue tirade contre Saad Hariri.
"Certains veulent que nous participions au cabinet contre notre gré, et à des conditions inacceptables", a-t-il souligné, affirmant avoir "fait toutes les concessions possibles". Et d'insister sur le fait qu'il accepterait "tout cabinet qui respecte le pacte national et la Constitution". "Nous voulons un gouvernement et nous le voulons rapidement", a-t-il déclaré, rejetant la responsabilité du blocage sur les autres parties en estimant que "le mandat (de Michel Aoun) ne veut pas perdre le temps qu'il lui reste". Et d'accuser, sans le nommer, Saad Hariri d'être prêt à "voir s'effondrer le pays pour voir s'effondrer le mandat de Michel Aoun". L'ancien ministre a encore souligné sa volonté "que Saad Hariri forme un cabinet même si nous sommes convaincus que ce gouvernement ne pourrait pas être réformateur".
"Qu'il arrête de perdre du temps en rejetant la faute sur les autres et qu'il forme son cabinet sans nous, avec des technocrates compétents", a-t-il insisté. "La solution se trouve au Liban et dans la Constitution et non à l'extérieur du pays", a encore déclaré le chef du CPL, en allusion à la tournée qu'effectue actuellement le Premier ministre désigné afin d'obtenir le soutien de la communauté internationale. "Les autres pays peuvent nous aider mais pas prendre notre place ni la place de la Constitution", a-t-il ajouté. Il a estimé que la résolution de la crise réside dans une "coopération équitable" du président Aoun et de Saad Hariri, qui "se mettent d'accord sur tous les éléments, qu'il s'agisse de la forme du cabinet, du nombre et de la distribution des portefeuilles, des ministrables, etc." "C'est ce que prévoit la Constitution, a-t-il martelé. Le gouvernement ne peut pas être formé si le président ne participe pas au processus. Ce n'est pas comme si l'un d'entre eux pouvait former le gouvernement et l'autre devait se contenter de publier le décret" de formation.
"Nous voulons la vérité"
Concernant la question du recensement, ramenée sur le devant de la scène dimanche dernier par Saad Hariri, qui avait souligné que la population n'était plus recensée pour ne pas déséquilibrer la répartition confessionnelle des responsabilités au sein de l'Etat, Gebran Bassil a souligné avoir "été éduqué selon le principe que les musulmans libanais protégeront le rôle des chrétiens même s'ils ne sont plus qu'1 % de la population". "Ne nous faites pas croire que nous vous sommes redevables parce que vous avez arrêté de recenser la population", a-t-il déclaré.
Le chef du CPL a par ailleurs appelé à dévoiler la vérité sur les causes de la double explosion du port de Beyrouth, estimant injuste que certains employés et fonctionnaires "qui ont fait leur travail et envoyé des mises en garde" soient toujours emprisonnés alors que les "vrais responsables sont laissés tranquilles".
Il a regretté qu'il n'y ait jusqu'à présent que "deux choix" pour la justice : soit une enquête internationale "dont nous ne savons pas où elle nous mènera", soit une justice locale "qui tantôt tergiverse par crainte de donner des résultats inquiétants, tantôt se précipite par crainte des réactions sur les réseaux sociaux et tantôt se fait clientéliste, afin d'assurer des équilibres confessionnels et partisans". "Nous comprenons qu'il ne faut pas enfreindre le secret de l'enquête, mais il faut également que la justice comprenne la nécessité de publier rapidement un rapport d'enquête préliminaire afin que les sinistrés puissent recevoir leurs compensations de la part des sociétés d'assurance", a-t-il ajouté, appelant à ce que les actes d'accusation soient "rapidement émis". "Nous voulons la vérité", a-t-il lancé, réclamant une justice "qui agit en fonction de sa conscience et non des réactions dans les médias".
Le courant du Futur, dirigé par M. Hariri, n'a pas tardé à réagir aux différentes déclarations de Gebran Bassil estimant qu'elles "n'apportaient rien de nouveau". Le parti a souligné que M. Bassil vit "à Lala Land", déplorant qu'il s'exprime "comme s'il était le porte-parole officiel du mandat" Aoun. "Tout ce qui importe au Premier ministre désigné, c'est ce qui émane du président de la République", souligne le communiqué du Futur, qui regrette que le chef du CPL tente d'"enflammer la fibre sectaire".
commentaires (23)
Qui lui a demandé son avis? Personne que je sache alors il est invité à se la coincer et à respecter la volonté des citoyens libanais de ne plus l’entendre ni le voir, même pas en miniature.
Sissi zayyat
19 h 33, le 22 février 2021