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Lifestyle - Un peu plus

Ces tout petits riens qui nous retiennent

Ces tout petits riens qui nous retiennent

Ces petits riens, comme le parfum du jasmin dans le jardin de notre téta. Photo Bigstock

Le marasme dans lequel nous vivons aujourd’hui nous a fait oublier beaucoup de choses. Beaucoup trop. Nous avons délaissé ce que nous aimions du Liban pour ne plus penser qu’au mauvais. Et même si la révolution d’octobre a fait naître un regain d’amour et de patriotisme envers le pays du Cèdre, de la myrrhe et de l’encens, nous sommes tombés aujourd’hui en désamour. Il y a tout ce qu’on déteste et il y a ces petits riens. Ces petits riens que l’on met bout à bout et qui font l’essence de notre terre. Ces tout petits riens que l’on n’aperçoit plus. Ces tout petits riens qui sont les symboles d’un Liban qui pourrait être meilleur. Et même si le Liban tel qu’on l’a connu ne reviendra peut-être jamais, il subsiste ces petits riens qui referont naître cette contrée assassinée.

Ces petits riens, ce sont tout d’abord les gens. Ceux qui, malgré leurs inquiétudes, leurs angoisses et leur désarroi, témoignent aux autres leur solidarité, leur dévouement et leur hospitalité. Comme cette infirmière submergée par l’affluence des malades atteints du Covid qui trouve un moment pour vous faire un PCR. Le 28e de la saison. Comme cet infirmier qui appelle les proches d’un vieil homme hospitalisé pour leur donner de ses nouvelles. Comme tout le corps soignant qui, écrasé par le trop-plein de pression depuis des mois, des salaires risibles et des conditions de travail anormales, continue à se consacrer à sa vocation, craquant en silence, mais demeurant debout. Comme ce menuisier qui prend sa seule attestation de la journée pour venir vous raboter la table de la salle à manger qui n’a pas accueilli grand monde dernièrement. Comme ce petit commerçant qui peine à survivre et qui n’a pas flambé ses prix parce qu’il pense à ceux qui sont au fond du gouffre. Comme cette voisine qui vous dépanne lorsque vous n’avez pas de quoi payer le mazout en ces temps de froid. Ou les propriétaires de votre appartement qui n’ont pas augmenté votre loyer et continuent à l’encaisser à l’ancien taux, parce qu’ils savent que vous avez perdu votre emploi. Comme ce moukhtar qui ne facture pas une formalité à un jeune homme dans le besoin. Ou cette Libanaise de Paris qui a offert un studio attenant à sa résidence à deux jeunes étudiants partis rêver ailleurs. Ces gens-là, comme tant d’autres, sont exceptionnels. Leur humanité va au-delà de toute bienveillance. Et ils font le Liban. Ces petits gestes, ces petits riens nous permettent de tenir.

D’autres petits riens nous donnent aussi la possibilité de s’accrocher, non pas à une lueur d’espoir, mais à ce Liban qu’on a peur de voir disparaître. À l’instar de ces métiers artisanaux d’antan. Ces petits riens, ce sont les couchers de soleil où l’orange a laissé sa place à un jaune flamboyant. C’est la forêt de pins de Bkassine où le chant des grillons continue à nous bercer malgré les orages que nous traversons. Ce sont les cimes enneigées de Falougha, Tannourine, Kfardébiane ou des Cèdres. C’est le bleu de la mer qui frappe sur le littoral du Nord et les senteurs des douceurs sucrées de Tripoli. L’odeur du thym et des graines de sésame qui frétillent sur le saj où cuit la man’ouché du matin. La saveur de nos huiles d’olive, venues du Nord ou du Sud. Ces tables immenses et riches de mezzés où valsent tous les plats qui ont séduit le monde entier. La sensation, sous la dent, du pois chiche ornant un plat de hommos bi tehiné. La fraîcheur du taboulé et la chaleur de la mouloukhiyé.

Ce sont les fragrances du jasmin et des figuiers dans le jardin de notre téta à Ajaltoun. Ce sont les oiseaux qui gazouillent au petit matin dans les rues vides de Beyrouth, lors d’un confinement devenu trop pénible. Le chant du muezzin à l’unisson avec le son des cloches des églises ; les traditions qui ne se perdent pas ; les iftars généreux et la vision de ces enfants endimanchés qui tiennent fièrement leurs bougies le jour des Rameaux.

Tous ces petits riens collés bout à bout, nous devons les garder en mémoire, parce qu’ils nous accompagnent et nous accompagneront où que nous soyons, et laisseront en nous ce doux parfum du Liban trop longtemps recouvert par l’amertume de cette époque douloureuse que nous vivons.

Le marasme dans lequel nous vivons aujourd’hui nous a fait oublier beaucoup de choses. Beaucoup trop. Nous avons délaissé ce que nous aimions du Liban pour ne plus penser qu’au mauvais. Et même si la révolution d’octobre a fait naître un regain d’amour et de patriotisme envers le pays du Cèdre, de la myrrhe et de l’encens, nous sommes tombés aujourd’hui en désamour. Il y a...

commentaires (3)

Tous ces petits rien nous attachent au Liban à jamais : le Liban, c'est un pays, pas un gouvernement, c'est un peuple, une nature, des odeurs, la beauté du ciel sur la mer, les vieilles maisons, bref, tout ce qui nous manque quand on est exilé et qu'on n'oubliera jamais.

Politiquement incorrect(e)

20 h 59, le 19 février 2021

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Commentaires (3)

  • Tous ces petits rien nous attachent au Liban à jamais : le Liban, c'est un pays, pas un gouvernement, c'est un peuple, une nature, des odeurs, la beauté du ciel sur la mer, les vieilles maisons, bref, tout ce qui nous manque quand on est exilé et qu'on n'oubliera jamais.

    Politiquement incorrect(e)

    20 h 59, le 19 février 2021

  • Eh oui, c’est exactement ça qui ne passe pas auprès des vendus qui veulent que tous ces petits riens qui font notre pays soient effacés à jamais et remplacés par leur obscurantisme et leur barbarie. Ils sont jaloux de ce bonheur qui continue d’animer les libanais malgré tous les efforts de ces vendus de leur saper le moral et les anéantir. Ils oublient ces traitres que nous avons vu pire et que nous avons toujours résisté et ressuscité pour les enterrer et les envoyer aux oubliettes. Toujours debout malgré leurs efforts acharnés à nous mettre à genoux, ils ne savent plus à quel saint secouer et utilise la protection de la religion de chaque camp pour la représenter alors que nous savons tous que ce qu’ils représentent est le diable en personne . Continuons à les narguer en affichant notre plus beau sourire jusqu’à les voir effondrés et dépités par tant d’indifférence. On leur dit, MÊME PAS MAL.

    Sissi zayyat

    19 h 43, le 19 février 2021

  • C'est vrai. En plus un joli texte.

    Stes David

    16 h 03, le 19 février 2021

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