
Saad Hariri brandissant hier ce qu'il présente comme une liste de ministrables donnés par Baabda. Photo Dalati et Nohra
Comme annoncé en amont, le ton du Premier ministre désigné Saad Hariri fut, hier, ferme et résolu. Dans un discours lapidaire mais percutant prononcé à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de son père le 14 février 2005, Rafic Hariri, le leader sunnite n’a pas porté de gants, faisant assumer la responsabilité de l’impasse gouvernementale au président de la République Michel Aoun et à son camp politique. Pour la première fois, M. Hariri, qui avait maintenu jusqu’à ce jour une certaine confidentialité au sujet de ses entretiens avec le chef de l’État, a dévoilé les coulisses des tractations en prenant à témoins les Libanais qu’il a invités à juger par eux-mêmes. Son intervention musclée, qui survient trois jours après son entretien avec le président français Emmanuel Macron, en dit long sur le soutien qu’il a dû obtenir de Paris.
Se disant plus que jamais attaché à ses constantes – un cabinet d’experts où personne ne détiendrait le tiers de blocage –, il laisse toutefois la porte ouverte aux négociations sur les autres points. Il s’est ainsi dit disposé à revoir l’attribution des portefeuilles ou même la liste des noms des candidats si le président le souhaitait. Le leader sunnite a martelé les raisons de son insistance à rejeter un cabinet aux tonalités politiques, comme le souhaite notamment le camp aouniste. « Tous les investisseurs, libanais et étrangers, réclament des réformes et un changement dans la manière de travailler et dans la mentalité qui nous ont menés à la situation actuelle. Les ministres ne peuvent plus attendre un coup de fil de leur chef politique pour agir et le partage des parts doit cesser. »
Saad Hariri venait ainsi de dénoncer l’un des principaux maux dont a notamment souffert le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab dont les ministres, théoriquement choisis sur la base de leur expertise, étaient souvent téléguidés par leurs parrains politiques. D’où son refus catégorique de tolérer qu’un quelconque camp politique puisse obtenir, même indirectement, le tiers de blocage au sein du gouvernement. « Aucun compromis ne sera possible sur cette question », a martelé M. Hariri en dénonçant ce qu’il considère être un jeu pernicieux et néfaste de ceux qui ambitionnent détenir cette arme politique entre les mains. Pour lui, le tiers de blocage a pour objectif de perpétuer la pratique du chantage et du marchandage à l’infini. « Il vise à bloquer (le travail de l’exécutif) pour renégocier en vue d’un nouveau troc », a-t-il dit.
Accusant implicitement le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, Saad Hariri a dit : « Pourquoi réclame-t-il le tiers de blocage? De quoi a-t-il peur ? Le président est là et le Parlement aussi. Sauf si quelqu’un en coulisses l’encourage à le faire. Dans ce cas, il faut nous le dire. »
Au nom des chrétiens…
Le Premier ministre désigné s’est en outre évertué à déconstruire toute la logique mise en avant par le camp aouniste au nom de la défense des chrétiens. Que ce soit en matière de portefeuilles brigués par le président et son camp politique, ou de choix des ministres chrétiens qui, selon le camp du président, relèvent des prérogatives du chef de l’État, autant de prétextes que Saad Hariri a cherché à dégager méthodiquement.
Il a profité de l’opportunité pour renvoyer la balle au chef de l’État, l’accusant implicitement de mensonge, un qualificatif que lui avait attribué Michel Aoun il y a quelques semaines. Il a affirmé à ce propos faire l’objet d’un « lot de mensonges, d’inventions et d’accusations infondées », estimant que « la situation est insupportable ».
Saad Hariri a alors livré sa version concernant la manière dont il avait concocté la mouture des « 18 » que le chef de l’État persiste à rejeter. Selon lui, c’est dans la liste qui lui a été personnellement remise à Baabda qu’il a puisé les noms des six ministres attribués au président, s’étonnant dès lors que ses adversaires politiques puissent l’accuser de fouler au pied les droits des chrétiens ou d’outrepasser les prérogatives du chef de l’État. C’est en incluant le ministre affilié au parti Tachnag, qui pourtant appartient au groupe parlementaire aouniste, que le leader sunnite se serait heurté au refus de M. Aoun. Ce dernier ne considère pas le Tachnag comme faisant partie de son camp politique, bien que le parti arménien ait de tout temps harmonisé son vote avec celui du camp aouniste, a rappelé en substance Saad Hariri.
Lors de ses pourparlers avec le président, il aurait également proposé le nom d’un juge pour le ministère de la Justice, un candidat pourtant connu pour sa proximité du CPL et que le président a rejeté, a-t-il encore regretté. Il a souligné l’avoir même appris par voie de presse et non par la bouche du président qu’il a rencontré 16 fois depuis qu’il a été désigné pour former le gouvernement. Réagissant aux propos du Premier ministre désigné, le bureau de presse de la présidence a estimé que son intervention « est truffée d’erreurs et de propos infondés ». C’est probablement au chef du CPL que sera dévolue la tâche de répondre, Gebran Bassil ayant annoncé aussitôt après qu’il tiendra une conférence de presse sur ce sujet dimanche prochain.
Paris lassé des exigences aounistes
Poursuivant sur sa lancée, Saad Hariri s’est fermement défendu des accusations de vouloir porter atteinte aux droits et prérogatives politiques des chrétiens. « On ne peut pas accuser Saad Hariri de violer les droits des chrétiens. Les droits des chrétiens sont les droits des Libanais tout simplement. Les droits des chrétiens, c’est l’arrêt de l’effondrement, la reconstruction de Beyrouth et la fin de la catastrophe qui frappe tous les chrétiens et les musulmans. Les droits des chrétiens, ce sont les réformes, le changement de la façon de travailler. Leurs droits, c’est l’audit juricomptable de la Banque centrale et toutes les institutions et tous les ministères », a martelé Saad Hariri, en retournant en sa faveur une revendication-clé du aounisme, à savoir l’audit de la Banque du Liban. Pour le chef du courant du Futur, ce sont toutes les institutions de l’État – y compris celles relevant du secteur de l’Énergie longtemps aux mains du CPL – et non seulement la BDL qui doivent faire l’objet d’une reddition de comptes.
Le Premier ministre désigné a par la même occasion enfoncé le clou en accusant le courant aouniste d’avoir lui-même bafoué les droits des chrétiens lorsqu’entre 2014 et 2016, il avait tout fait pour perpétuer la vacance à la présidence de la République afin de faire élire Michel Aoun. « Où étiez-vous lorsque la présidence de la République était restée vacante durant tout ce temps, alors que moi j’ai tout fait pour que le poste soit pourvu, en soutenant notamment le président Aoun et son élection ? »
Saad Hariri a ainsi laissé entendre qu’en acceptant le célèbre compromis qui avait propulsé Michel Aoun à la présidence, c’est lui qui a contribué à mettre fin à cette crise et donc à réhabiliter les droits des chrétiens.
Alors que le CPL l’accuse de « perdre un temps précieux » en effectuant des voyages qui « ne mènent à rien », le chef du courant du Futur est revenu à la charge pour défendre sa tournée diplomatique, destinée à obtenir un soutien pour la formation du gouvernement et à restaurer les relations avec les pays arabes notamment.
Jeudi dernier, il s’était entretenu avec le président français Emmanuel Macron en vue d’un déblocage de la crise gouvernementale. Selon une source française proche du dossier, il y aurait désormais une lassitude à Paris face aux exigences aounistes.
Quels noms comportait la liste brandie par Hariri ?
Voici les noms inclus dans la liste brandie par le Premier ministre désigné Saad Hariri au cours de son discours hier et qu’il a présentée comme étant la liste de ministrables qui lui avait été communiquée par le chef de l’État Michel Aoun lors de l’une de leurs premières réunions :
– Affaires étrangères : Abdallah Abou Habib (maronite), Naïm Salem (maronite).
– Intérieur : Farès Farès (sunnite), Abdallah Jreidi (maronite), Saïd el-Rizz (sunnite).
– Défense : Jean Salloum (orthodoxe), Fady Daoud (maronite), Michel Menassa (orthodoxe).
– Finances : Samir Assaf (maronite), Mohammad el-Hajj (chiite), Amer Bsat (sunnite), Saadé Chami et Hassan Moukalled (chiite).
– Justice : Joëlle Fawaz (catholique), Adel Yammine (maronite), Henri Khoury (maronite), Antoine Klimos (maronite), Ziad Baroud (maronite).
– Télécommunications : Ahmad Oueidate (sunnite), Firas Abi Nassif (maronite).
– Énergie : Pierre Khoury (catholique), Joseph Nseir (maronite), Carole Ayat.
– Économie : Amine Salam (sunnite), Ayman Haddad (orthodoxe), Firas Abi Nassif (maronite), Mounir Tini (catholique).
– Affaires sociales : Raymond Tarabay (maronite), Petra Khoury (orthodoxe).
– Travail : Antoine Wakim (maronite).
– Environnement : Manal Moussallem (catholique), Rania Abi Mosleh (druze).
– Tourisme : Jean Beyrouthi (maronite), Michel Éleftériadès, Salim el-Zir.
– Industrie : Jacques Sarraf (maronite).
– Travaux publics et Transports : le général Fadi Geara (maronite), Walid Nassar (maronite).
– Éducation : Mounzer Fatfat (sunnite), Khalil Jamal (maronite), Abdo Gergès (maronite).
– Santé : Petra Khoury (orthodoxe).
– Information : Nada Andraos, Wissam Breidi, Walid Kanaan.
– Déplacés : Rida Azar.
– Jeunesse et Sports : Walid Nassar, Mounzer Fatfat (sunnite).
– Développement administratif : Rony Lahoud (maronite), Hala Matar (maronite).
– Culture : Fayez Dahdah (maronite), Pascal Monin (maronite), Pascale Lahoud (maronite), Michel Éleftériadès.
– Agriculture : Zafer Chaoui (catholique), Lara Hanna (catholique).
Comme annoncé en amont, le ton du Premier ministre désigné Saad Hariri fut, hier, ferme et résolu. Dans un discours lapidaire mais percutant prononcé à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de son père le 14 février 2005, Rafic Hariri, le leader sunnite n’a pas porté de gants, faisant assumer la responsabilité de l’impasse gouvernementale au président de la...
commentaires (14)
Sissi, pour une fois je vous contredis: Trempe: 1. Immersion dans un bain froid (d'un métal, d'un alliage chauffé à haute température). La trempe de l'acier. 2. Qualité qu'un métal acquiert par cette opération. Ils n'ont aucune trempe ni qualité, des nains protégés par les armes de leur cornac et portés par leur piétaille inculte.
Christine KHALIL
14 h 17, le 16 février 2021