
Saad Hariri après son entretien hier avec Michel Aoun, à Baabda. Photo Dalati et Nohra
Si l’initiative du Premier ministre désigné Saad Hariri d’aller à la rencontre du président Michel Aoun après un froid qui a duré plus d’un mois et demi a entretenu le suspense hier matin, sa sortie du palais présidentiel a vite fait de refroidir les espoirs de voir un gouvernement formé de sitôt. Fort de ses contacts tous azimuts à l’étranger, le leader sunnite semble plus déterminé que jamais à imposer les principes selon lesquels il compte former son cabinet conformément à l’initiative de Paris en faveur du Liban.
Survenue au lendemain de ses entretiens avec le président français, Emmanuel Macron, la visite de Baabda était vraisemblablement l’unique geste de bonne volonté que Saad Hariri était prêt à faire. À lire de près sa déclaration finale, il apparaît clairement que le leader sunnite « n’a pas modifié sa position d’un iota », pour reprendre les termes d’une source de Baabda. Il l’a d’ailleurs lui-même affirmé sans ambages, à sa sortie de la brève réunion avec Michel Aoun, la première depuis le 23 décembre dernier : « Ma position est constante et claire : un gouvernement de 18 ministres tous experts. Je ne change pas de position à ce sujet. » Des technocrates sans lesquels aucune réforme ne peut être entreprise et aucune aide internationale sollicitée, a-t-il ajouté en substance, affirmant, sans détour, qu’« il n’y pas d’avancée concernant la formation du gouvernement ».
Les lignes rouges placées par Saad Hariri depuis sa désignation – un gouvernement composé de figures indépendantes et le refus d’accorder une minorité de blocage à quelque partie que ce soit – ont été ainsi réitérées de manière on ne peut plus claire. Sauf que, du perron de Baabda, le Premier ministre désigné a lancé une phrase lourde de sens : « À partir d’aujourd’hui, que chaque partie assume ses responsabilités. » Une manière pour le leader sunnite de dire qu’il a tendu la main à M. Aoun, en lui expliquant « l’opportunité en or que nous avons », mais qu’il n’ira pas plus loin. En froid depuis l’incident de la célèbre vidéo fuitée dans laquelle Michel Aoun accuse Saad Hariri d’être un « menteur », les deux hommes ne se parlaient plus. Une guerre d’ego venue s’ajouter à une guerre de prérogatives sur le processus de désignation des ministres, sur fond de tiraillements sur les futurs rapports de pouvoir au sein du prochain cabinet. En se rendant au palais présidentiel au lendemain de son retour de Paris et en soulignant vouloir faire prévaloir l’intérêt général sur les conflits personnels, M. Hariri venait ainsi de rejeter la balle dans le camp présidentiel dans une volonté de dire, tant à l’opinion publique qu’à la communauté internationale, que c’est ce camp-là – à savoir le président et son gendre, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil – qui est la source du blocage.
« Rien de nouveau »
Dans les milieux haririens, on souligne que la visite avait pour objectif de briser le gel entre les deux hommes de sorte à invalider tout prétexte selon lequel le chef du courant du Futur boude le président et boycotte par conséquent Baabda. Les aounistes, eux, déconstruisent cette logique. Ils soutiennent que pour Saad Hariri, c’est une manière de se laver les mains de toute responsabilité à la veille de la date fétiche du 14 février – la commémoration de l’assassinat de son père, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri – au cours de laquelle le chef du courant du Futur devra s’adresser à ses partisans et sympathisants et donc rendre compte devant eux de la question du retard dans la formation du cabinet.
Baabda a d’ailleurs saisi la balle au bond et s’est immédiatement dégagé de toute responsabilité. Dans un bref communiqué publié hier, la présidence a accusé le Premier ministre désigné de n’avoir « rien apporté de nouveau » pour débloquer le processus. « Le problème de M. Hariri n’est pas avec nous. Il faut aller chercher du côté du Golfe ou de l’Arabie saoudite et essayer de comprendre pourquoi il n’est pas reçu par Riyad », lance le conseiller du président, Salim Jreissati, en pressant là ou cela fait le plus mal. Lâché depuis un certain temps par le royaume, Saad Hariri n’arrive toujours pas à obtenir un rendez-vous avec ses parrains saoudiens alors qu’il vient d’achever une série de visites qui l’ont mené en Turquie, en Égypte et aux Émirats avant d’atterrir à Paris. Sauf que, justement, l’Arabie saoudite s’est éloignée de lui à cause de son rapprochement il y a déjà quelques années du Hezbollah et, accessoirement, du CPL. Le conseiller du chef de l’État a, en outre, déploré le fait que M. Hariri ait effectué tous ces voyages « en vain ». « Il a entretenu de faux espoirs », a persiflé M. Jreissati. M. Hariri a dit, lui, ressentir « un enthousiasme » aussi bien de la part des Français que du reste de ses interlocuteurs turcs et égyptiens pour la formation d’un gouvernement au Liban.
Entretien Hariri-Macron
Ce serait d’ailleurs Emmanuel Macron qui aurait encouragé Saad Hariri à se rendre à Baabda. Selon des informations obtenues par L’Orient-Le Jour auprès d’une source qui suit de près le dossier au Liban, le président français, qui a vu jeudi M. Hariri à deux reprises, aurait conseillé à ce dernier de faire un pas en direction du chef de l’État en se rendant chez lui. Le conseil lui aurait été prodigué après un contact effectué entre Patrick Durel, le conseiller du président français pour les affaires de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et Salim Jreissati. Selon la source précitée, la présidence aurait refusé de coopérer si M. Hariri ne se présentait pas lui-même à Baabda. Elle indique également que M. Macron aurait fait preuve de « compréhension » à l’égard des revendications formulées par le leader sunnite. Interrogé, M. Jreissati dément avoir été contacté jeudi par un émissaire de l’Élysée, encore moins le président de la République. Il ajoute que les contacts avec M. Durel par personne interposée n’ont jamais cessé, précisant que l’émissaire français communique régulièrement avec l’ensemble des chefs de file politiques libanais. Une déclaration qui laisse supposer que M. Durel a pu prendre contact avec le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Dans les milieux proches de ce dernier, on s’abstient de confirmer si l’entretien entre MM. Durel et Bassil a eu lieu.
« À voir ce qui s’est passé aujourd’hui, rien n’augure une percée prochaine », commente Eddy Maalouf. Selon le député aouniste du Metn, M. Hariri a simplement voulu avoir le beau rôle en rencontrant le président, sans pour autant faire quelque concession que ce soit. Pourtant, Moustapha Allouche, vice-président du courant du Futur, affirme à L’Orient-Le Jour que tout en réitérant hier ses constantes, M. Hariri a évoqué devant le président la possibilité pour eux deux de donner leur aval à la nomination de tous les ministres et non seulement des seuls ministres de l’Intérieur et de la Justice comme l’avait suggéré le chef du Parlement, Nabih Berry. Une issue potentielle que M. Maalouf se dépêche de démentir en assurant que la seule concession que M. Hariri aurait consentie est le principe d’un aval du président pour la désignation d’« une partie des chrétiens choisis par le leader sunnite et non l’ensemble des composantes du cabinet ».
Ambiguïté
En attendant que la situation se décante entre le président et le Premier ministre désigné, les responsables français observent un silence édifiant et s’abstiennent de divulguer quelque information que ce soit au sujet de l’entretien Macron-Hariri. Voulant éviter à tout prix de s’avancer sur un terrain miné comme il l’avait fait la première fois, le locataire de l’Élysée semble attendre que l’horizon s’éclaircisse avant de se manifester de manière plus solennelle. D’ailleurs les milieux proches de l’Élysée ont récemment laissé entendre qu’Emmanuel Macron ne mettra pas les pieds au Liban avant que soit constitué le gouvernement, ayant constaté que les blocages sont en définitive une affaire purement interne dans laquelle la France a une marge de manœuvre limitée.
« Aujourd’hui, M. Macron semble avoir fait sienne la devise de François Mitterrand (ancien président) qui disait : On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », commente pour L’OLJ Karim Bitar. Contrairement à sa première approche frontale en août dernier, quand il avait très tôt abattu ses cartes en essuyant un échec, le chef de l’État français préfère aujourd’hui garder dans ses manches quelques atouts qu’il pourrait abattre au moment opportun, analyse M. Bitar. Non pas qu’il ait énormément d’atouts dans son jeu, précise le politologue, mais « il ne va certainement pas rééditer l’approche de l’année dernière ». « Il a appris la leçon et compris que la classe libanaise pouvait faire preuve d’énormément de roublardise », conclut M. Bitar.
Si l’initiative du Premier ministre désigné Saad Hariri d’aller à la rencontre du président Michel Aoun après un froid qui a duré plus d’un mois et demi a entretenu le suspense hier matin, sa sortie du palais présidentiel a vite fait de refroidir les espoirs de voir un gouvernement formé de sitôt. Fort de ses contacts tous azimuts à l’étranger, le leader sunnite semble plus...
commentaires (16)
A l’époque, Mitterand a aussi dit que le Liban était un panier de crabes. Cela n’a pas changé malheureusement.
PPZZ58
10 h 19, le 14 février 2021