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Nos Lecteurs ont la Parole

Neutralité et décentralisation

« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit »(1). C’est au bout de ce long et pénible chemin que les Libanais ont pu, au prix de grandes souffrances, réaliser enfin le rêve qu’ils partageaient comme un dogme, celui d’un État qui garantirait par lui-même leur survie et assurerait leur épanouissement sur leurs terres ancestrales. Un siècle après la proclamation de l’État du Grand Liban, ce rêve s’effrite, l’État s’effondre et la nation se disloque. Peut-on encore sauver le Liban ou est-il trop tard ?

Nous ne baissons pas les bras. Les Libanais ne baisseront jamais les bras. Pour nous, le Liban est condamné à survivre aux crises qu’il traverse, à vivre, à prospérer, à rayonner. À l’origine de l’État actuel, un mariage d’amour, un peu forcé il est vrai, et qui a clairement échoué. Reconnaître cet échec permet d’envisager un mariage de raison entre les diverses composantes de la société libanaise dans leurs différences. Partant, un nouveau projet national émerge, fédérateur mais différemment.

Faire un diagnostic de l’échec

« Deux négations ne feront jamais une nation. » Cette formule(2), qui résumait en 1949 la faille structurelle de l’acte fondateur de l’indépendance, nous rappelle que la Première République était bâtie sur du sable et qu’elle n’était que le résultat de compromis fragiles. Surtout, elle montre que les Libanais ont voulu alors s’associer dans un projet d’État sur la base de ce qui les divisait et non de ce qu’ils avaient en commun. L’accord de Taëf, qui officialisait cinquante ans plus tard l’arabité du Liban, comme une nécrologie confirmant la disparition de la République de 1943, est lui aussi basé sur des compromis précaires. Pire que l’acte fondateur de l’État libanais, cet accord repose dangereusement sur des rapports de force interlibanais pourtant en constante évolution. La Constitution de 1989, qui a balayé le compromis de 1943 « ni arabisation ni Occident », s’est avérée coûteuse en termes de souveraineté et de stabilité, en plus d’avoir institutionnalisé le confessionnalisme et banalisé le clientélisme pour donner le pouvoir aux milices et autres cleptomanes.

La déstabilisation de la Constitution de 1989 permet à une faction libanaise de monopoliser, manu militari, les décisions stratégiques du pays qui se retrouve à nouveau happé par les tiraillements géopolitiques au risque de perdre son identité nationale. Dans le contexte actuel, structurellement déséquilibré, la refonte de la Constitution se ferait forcément sur la base d’un nouveau transfert de prérogatives de la composante chrétienne vers la composante musulmane et spécifiquement la composante chiite. Les sunnites, grands gagnants de Taëf, devraient eux aussi contribuer à compenser les chiites, grands gagnants de l’effondrement de Taëf. L’histoire nous apprend que de tels arrangements fondés sur des compromis précaires et sur des rapports de force immédiats sont condamnés à l’échec. Ils doivent être rejetés au profit d’un nouveau contrat national.

Vers un projet national fédérateur

Le nouveau contrat national est au cœur des tractations politiques internes pour le moment. Une fois élaboré, ce projet, qui ne peut qu’être libano-libanais, aura besoin de soutiens extérieurs, arabes et internationaux. Il repose sur une réadaptation de la Constitution afin de la renforcer, de la légitimer davantage et d’éliminer les causes de son insuffisance. Cela permettrait à toutes les composantes de la société libanaise, dans sa diversité religieuse, confessionnelle, ethnique et culturelle, d’être égales entre elles, de vivre et d’assumer sans contraintes leurs différences et d’exister tout simplement. Ce projet repose sur deux piliers majeurs : la neutralité et la décentralisation.

Ressusciter la neutralité et l’ériger en un principe fondateur de la nouvelle république serait-il la seule issue possible ? En tout cas, accepter que l’avenir du Liban et des Libanais soit dépendant de considérations idéologiques, culturelles ou géopolitiques qui lui sont étrangères, voire antinomiques, c’est entériner la mort du Liban éternel. Inacceptable. Inimaginable. Impossible.

Aujourd’hui donc émerge à nouveau l’idée de la neutralité du Liban, voulue initialement comme le pilier de la Première République avant d’être emportée par les vagues successives de négationnismes primaires. La neutralité est prônée par l’Église maronite, qui opère un retour aux sources politiques de l’État du Grand Liban, afin d’en faire un point de convergence nationale pour espérer soustraire le Liban aux tiraillements géopolitiques au centre desquels il se retrouve. La neutralité du Liban devient l’antidote capable de le soustraire au poison des alignements meurtriers dont il paye aujourd’hui lourdement le prix. Cette neutralité est rejetée naturellement par ceux qui y voient un risque de perdre leurs acquis accumulés en forçant l’alignement contre nature du Liban. Ceux-là, qui ne percevaient le Liban prospère, ouvert et tolérant que comme une parenthèse qu’il fallait vite refermer, ont surfé sur toutes les causes que l’instabilité régionale leur offrait et continuent de le faire aujourd’hui, avec toujours un même objectif : corriger ce qu’ils estiment être une erreur historique et un affront culturel, voire religieux pour certains. La neutralité est soutenue par ceux qui croient toujours au Liban « message de liberté »(3) et qui redoutent de le perdre, happé par l’obscurantisme qui menace de le défigurer définitivement. Sur cette ligne de démarcation, les Libanais devront faire des choix. Le temps presse, mais l’espoir existe. Il faut entretenir cet espoir et il faut surtout agir, et agir vite.

Promouvoir la décentralisation administrative, prévue dans l’accord de Taëf et toujours non appliquée, est l’autre pilier de ce projet national. Avec la neutralité du Liban et son immunisation face aux risques externes de déstabilisation, une décentralisation qui permettrait une gouvernance locale apporte une stabilité socio-économique et politique et permettrait une cohabitation intelligente entre les régions et entre les communautés. Si elle est envisagée dans une version plus poussée et qui dépasserait la seule dimension administrative, cette décentralisation pourrait aboutir à l’ouverture du délicat chantier de la fédération, après son élargissement en une décentralisation économique, éducative et culturelle. Le débat sur l’opportunité d’un système fédéral pour le Liban, système que certaines communautés appliquent aujourd’hui de facto sur le terrain, attendra que les relations intercommunautaires soient apaisées et que les ingérences extérieures soient contenues. Cela passe nécessairement par la neutralité du Liban et la décentralisation administrative.

Préserver la place centrale des chrétiens du Liban

Dans le Liban actuel, une communauté, la communauté chrétienne, plus que les autres, peut se vanter d’une présence véritablement nationale. Une présence géographique, avec une cohabitation pacifiée sur l’ensemble du territoire national avec les communautés druze, sunnite et chiite. Une présence économique, avec un rôle dynamique transsectoriel qui confère à cette communauté une place centrale dans le dispositif commercial, industriel, financier et touristique. Une présence culturelle qui s’appuie sur un maillage d’écoles, d’universités, de centres éducatifs à travers tout le pays.

Politiquement, cette place qu’occupe la communauté chrétienne au cœur de la nation lui permet de jeter des ponts entre les autres communautés lorsque, comme c’est le cas malheureusement aujourd’hui, le besoin de dialogue intermusulman devient urgent. Cette place qu’occupent les chrétiens du Liban dans le système libanais, et au-delà sur le plan régional aussi, est l’indispensable pilier de tout projet national fédérateur. Cette place et ce rôle crucial doivent être préservés afin que le Liban reste le Liban.

(1) Gebran Khalil Gebran.

(2) Georges Naccache

(3) Jean-Paul II.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit »(1). C’est au bout de ce long et pénible chemin que les Libanais ont pu, au prix de grandes souffrances, réaliser enfin le rêve qu’ils partageaient comme un dogme, celui d’un État qui garantirait par lui-même leur survie et assurerait leur épanouissement sur leurs terres ancestrales. Un siècle après...

commentaires (3)

Bienvenu au club cher Monsieur Assaf ! Nous militons en effet depuis plus de quinze ans avec des centaines de personnalités, pour la réalisation de cet objectif stratégique, renforcés en celà récemment par le mémorandum du Patriarche Rai!!! Merci pour votre très bonne réflexion, aussi faut-il que ce projet devienne une priorité pour toutes les composantes politiques et qu'il représente la seule vraie sortie de crise, et le titre de l'avenir du Liban et de son rôle régional et international !!!

Salim Dahdah

13 h 00, le 16 février 2021

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Commentaires (3)

  • Bienvenu au club cher Monsieur Assaf ! Nous militons en effet depuis plus de quinze ans avec des centaines de personnalités, pour la réalisation de cet objectif stratégique, renforcés en celà récemment par le mémorandum du Patriarche Rai!!! Merci pour votre très bonne réflexion, aussi faut-il que ce projet devienne une priorité pour toutes les composantes politiques et qu'il représente la seule vraie sortie de crise, et le titre de l'avenir du Liban et de son rôle régional et international !!!

    Salim Dahdah

    13 h 00, le 16 février 2021

  • oui seul le baton peut et doit constituer le coeur d;une constitution provisoire , puisque toute autre proposition serait mort nee vu la perte de confiance totale en ces dirigeants, en une grande proportion de fonctionnaires de l'administration publique ET, ne jamais omettre le 3e larron/ le 3 e facteur qui a joue notre ruine contre ses gains: une bonne proportion d'hommes d'affaires .

    Gaby SIOUFI

    11 h 18, le 15 février 2021

  • faire jouer le baton, le baton seul ! apres l'echec de l'experience du liban pseudo democratique qui a donne libre cour au machiavelisme le plus degoutant adule par les dirigeants, tous les dirigeants. une 3e republique serait inutile de "construire" sans la pratique du baton.

    Gaby SIOUFI

    11 h 12, le 15 février 2021

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