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Moyen-Orient - Éclairage

En Libye, le retour inopiné de Khalifa Haftar dans le jeu politique

Le nouveau chef du Conseil présidentiel, Mohammad Menfi, élu le 5 février à Genève, a rencontré jeudi l’homme fort de l’Est libyen dans un village près de Benghazi.


En Libye, le retour inopiné de Khalifa Haftar dans le jeu politique

Le maréchal Khalifa Haftar lors d’une conférence de presse à Abyar, à 70 km au sud de Benghazi, le 18 mai 2014. Photo File AFP

Pourquoi Mohammad Menfi, fraîchement élu à la tête du Conseil présidentiel libyen, a-t-il rencontré son ancien rival, le maréchal Khalifa Haftar, aussi prématurément ? Quel est le sens de cette visite, et que dit-elle du rapport de forces qui se joue actuellement en Libye ?

La rencontre a en effet surpris les observateurs. D’abord parce qu’elle arrive très tôt après l’élection du nouveau gouvernement d’union nationale à Genève dans le cadre du Forum du dialogue politique libyen (FDPL), vendredi 5 février. Le président élu a en effet choisi de réaliser sa première rencontre officielle avec un interlocuteur libyen, en l’occurrence le maréchal Haftar, dans un village à l’est de Benghazi. Tout un symbole, alors qu’« on aurait pu s’attendre à ce que Menfi fasse cette première visite à Tripoli, où se trouve la base qui l’a élu et soutenu », remarque Mohammad Eljarh, expert libyen et cofondateur du centre de recherche Libya Outlook for Research and Consulting.

« Une visite significative, pour le meilleur et pour le pire », estime ce dernier, pour qui l’événement marque le retour de l’homme fort de l’Est libyen au cœur de la vie politique après y avoir été marginalisé suite à sa défaite militaire en juin dernier contre les forces du gouvernement d’union nationale de Tripoli, soutenu par les Turcs. « Nous devons désormais faire avec un Haftar qui a retrouvé un niveau d’influence similaire à ce qu’il avait avant l’offensive de Tripoli. »

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La visite a certes suscité des réactions mitigées parmi les observateurs libyens, certains estimant que le choix présidentiel marque la reconnaissance de l’influence de M. Haftar ; d’autres que le choix du timing est de mauvais augure pour la suite. Mais qu’on l’apprécie ou pas, ce choix est le signe d’une nouvelle alliance qui s’est manifestée pour la première fois à Genève la semaine dernière. Lors du dernier tour des élections du FDPL, vendredi, les délégués représentants Haftar ont choisi de voter pour la liste du candidat Menfi contre la liste concurrente, soutenue par les États-Unis et l’Égypte, d’Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants à Tobrouk, et de Fathi Bashagha, actuel ministre de l’Intérieur du gouvernement de Tripoli. Le soutien de M. Haftar à la liste de M. Menfi s’explique par la rivalité interne au camp de l’Est, où Aguila Saleh et Khalifa Haftar rivalisent pour obtenir l’exclusivité de la représentation régionale. En soutenant la liste opposée, Khalifa Haftar espère donc écarter son concurrent.

À la recherche d’une légitimité

Mais en soutenant le candidat Menfi, M. Haftar tend également la main à ses ennemis d’hier. La rencontre de jeudi marque l’amorce d’une nouvelle alliance contre nature dans le paysage politique libyen. Car Mohammad Menfi, s’il est originaire de l’Est libyen, s’inscrit politiquement dans le camp de l’Ouest. Au point d’avoir condamné l’offensive de M. Haftar contre Tripoli en avril 2019. Une alliance de raison, estime Mohammad Eljarh, pour qui M. Menfi « n’a pas de vision idéologique prononcée : même si certains avancent qu’il aurait des allégeances avec les Frères musulmans, je pense qu’il est plutôt opportuniste ».

Du côté de Mohammad Menfi, ce rapprochement contre nature est donc nécessaire dans la mesure où il lui permet d’assurer un ancrage à l’Est. « Même s’il est élu sur un poste de l’Est, Menfi n’a jamais représenté la région », rappelle Mohammad Eljarh. « Avec Haftar, il est donc à la recherche d’une légitimité afin que son gouvernement soit en mesure de gouverner », poursuit ce dernier. Le pari est donc de reconnaître l’autorité de Khalifa Haftar en échange d’une nouvelle base de soutien, indispensable pour un gouvernement qui entend exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire.

Le rapprochement est également décisif pour l’homme fort de l’Est, passé à deux doigts d’une mise hors jeu définitive, qui semble ainsi en mesure d’assurer sa survie politique. Car Khalifa Haftar était considéré comme quasi mort à la suite de sa débâcle militaire de juin dernier. Même ses parrains étrangers avaient pris leurs distances avec le maréchal. L’Égypte avait par exemple cherché à contrebalancer son pouvoir dans son fief de l’Est en donnant l’avantage à Aguila Saleh. « Haftar a soutenu la liste de Menfi car il a vu dans la liste Aguila-Bashagha une menace existentielle à sa propre survie en tant qu’acteur de la scène libyenne », observe Mohammad Eljarh. « Il craignait notamment que les Égyptiens, les Américains et les Turcs ne travaillent à la mise en place d’un conseil militaire unifié au sein duquel Haftar aurait eu un rôle minimal, voire aucun rôle », poursuit-il.

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En faisant de M. Haftar le « nouveau faiseur de rois », selon l’expression reprise par plusieurs observateurs, les derniers développements pourraient marquer un retournement de situation à l’Est en marginalisant M. Saleh au profit du camp Haftar, qui ferait des gains politiques sur le plan national. « Haftar essaie de se présenter comme l’interlocuteur unique de l’Est », remarque Mohammad Eljarh. Ce qui pourrait l’encourager à faire des demandes gourmandes. « Nous risquons de voir à l’avenir se développer une forme de guerre sous une autre forme, portant sur le contrôle des fonds de l’État, les réseaux de patronage et des postes officiels », estime Emadeddine Badi, analyste politique affilié à l’Atlantic Council et au Global Initiative. Dans sa tentative de résurrection politique, Khalifa Haftar est ainsi susceptible de miser sur la conquête de postes ministériels au sein du nouveau gouvernement d’union. « Le ministère de la Défense, de la Finance, et peut-être même la Justice selon certains », rapporte Mohammad Eljarh.

Mais pour certains observateurs, rien n’est encore joué pour Khalifa Haftar. Tout dépendra de l’issue des négociations à venir et de sa capacité à convertir la défaite électorale de Saleh en gain politique concret. « Il a perdu beaucoup de ses avantages après sa défaite militaire, et cela a des conséquences aujourd’hui sur sa capacité à monopoliser les instances de décision et à représenter l’Est libyen, tout comme sur le niveau de soutien que ses parrains étrangers sont prêts à lui manifester », nuance Emadeddine Badi. Même s’il devait se concrétiser, rien n’est non plus garanti quant à la pérennité de ce rapprochement. « Haftar va continuer d’avoir une attitude constructive tant qu’il obtient ce qu’il veut ; les problèmes vont commencer lorsque ce ne sera plus le cas », remarque Mohammad Eljarh. À ce moment, les adversaires d’hier pourraient renouer avec leurs anciennes inimitiés, poussant le gouvernement d’union nationale à rechercher de nouveaux alliés afin d’ancrer sa légitimité à l’Est.

Pourquoi Mohammad Menfi, fraîchement élu à la tête du Conseil présidentiel libyen, a-t-il rencontré son ancien rival, le maréchal Khalifa Haftar, aussi prématurément ? Quel est le sens de cette visite, et que dit-elle du rapport de forces qui se joue actuellement en Libye ? La rencontre a en effet surpris les observateurs. D’abord parce qu’elle arrive très tôt après l’élection...

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