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Moyen-Orient - Éclairage

En Libye, l’élection d’un candidat surprise bouscule tous les pronostics

La victoire de Abdel Hamid Dbeibah qui mènera un nouveau gouvernement d’union nationale, a créé la stupeur générale, soulevant de nouvelles craintes quant à la suite du processus d’unification politique entre l’Est et l’Ouest libyens.


En Libye, l’élection d’un candidat surprise bouscule tous les pronostics

Abdel Hamid Dbeibah tenant un discours en vidéoconférence lors d’une réunion du forum du dialogue politique libyen en Suisse, le 3 février 2021. Photo United Nations/AFP

Des vingt et un candidats qui concouraient pour le poste de Premier ministre, c’était peut-être l’une des personnalités les plus controversées. En tout cas certainement l’une des moins attendues. La victoire de l’ingénieur et milliardaire Abdel Hamid Dbeibah, originaire de Misrata, a créé la surprise générale hier à Genève. L’élection au poste de Premier ministre de cet ancien homme fort du régime de Kadhafi, fondateur du mouvement Libya al-Mostakbal et ancien président de la Compagnie libyenne d’investissement et de développement (Lidco), a soulevé de nouvelles interrogations quant à la poursuite du processus politique.

L’élection marque l’aboutissement d’un processus initié en novembre à Tunis sous les auspices de l’ONU. Le forum du dialogue politique libyen (FDPL), qui s’est rouvert lundi à Genève, avait pour mission d’élire selon des règles préétablies les quatre membres d’un Conseil présidentiel transitoire (président, deux vice-présidents et un Premier ministre) chargés de diriger le pays jusqu’à la tenue des élections générales, en décembre prochain. L’enjeu était de taille dans la mesure où il s’agissait, pour la première fois depuis plusieurs années, de remettre en jeu la légitimité internationale du gouvernement libyen. « L’ONU, qui avait reconnu le Gouvernement d’union nationale, remet pour la première fois depuis 2016 cette reconnaissance sur la table en affirmant clairement son intention d’adouber une nouvelle structure qu’elle souhaite être réunifiée », estime Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au sein de l’unité de recherche des conflits au Clingendael Institute, à La Haye. Derrière le changement de gouvernement, il s’agit de mettre fin au divorce entre les deux entités concurrentes qui se disputent le pouvoir, le Gouvernement d’union nationale (GNA à Tripoli), à l’Ouest, reconnu par l’ONU et soutenu par la Turquie, et une autorité incarnée par Khalifa Haftar, homme fort de l’Est, soutenu par la Russie, l’Égypte et les Émirats arabes unis. Le processus politique porté par l’ONU a pour vocation première d’unifier les structures de gouvernance après les années de scissions et d’instabilité qui ont fait suite à la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Créer donc « une structure gouvernementale unique », par la voie d’un « seul Premier ministre, d’un seul président et d’un seul ministre de la Défense, capable d’accepter les différentes réalités militaires à l’Est et à l’Ouest », poursuit Jalel Harchaoui.

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Sur le papier, la mission est accomplie. Les soixante-quinze membres du forum libyen, réunis en Suisse dans un lieu tenu secret, ont élu la liste de Abdel Hamid Dbeibah (Premier ministre), de Mohammad Younes el-Menfi, originaire de Cyrénaïque dans l’Est (président du Conseil présidentiel transitoire), de Moussa al-Koni, un Touareg, et de Abdallah Hussein al-Lafi, un député de l’Ouest (tous deux vice-présidents). Les quatre hommes obtiennent 39 voix contre 34 pour la liste adverse d’Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants à Tobrouk, et de Fathi Bashagha, actuel ministre de l’Intérieur du gouvernement basé à Tripoli. Le résultat du vote a été salué par la Turquie, qui en sort renforcée, et par le Premier ministre actuel du GNA, Fayez el-Sarraj, qui affirme souhaiter la réussite du nouvel exécutif. Stéphanie Williams, émissaire par intérim de la mission onusienne en Libye, a félicité quant à elle les participants d’avoir « surmonté leurs différences, leurs défis (...) dans l’intérêt de (leur) pays et du peuple libyen ».

Nouvelles frustrations

Pourtant, derrière les discours de réussite, c’est une victoire en demi-teinte pour les Nations unies. D’abord parce que le grand favori de l’élection, Fathi Bashagha, se retrouve soudainement hors jeu. Tout comme son colistier, Aguila Saleh, considéré comme une figure modérée de l’Est libyen. Le résultat du scrutin marque un changement de discours politique. « Dans la rhétorique, Bashagha et Dbeibah sont à l’opposé. Alors que le premier promettait de mener une lutte contre la corruption, le second est le symbole même de la corruption sous Kadhafi », note Jalel Harchaoui.

Surtout, le résultat semble enterrer les espoirs d’une véritable réconciliation nationale. Le duo Bashagha-Saleh promettait d’incarner le compromis indispensable entre l’Est et l’Ouest afin de permettre une réunification nationale. « Cette tactique d’alliance dont on parle depuis juillet, faite pour créer une fine pellicule d’unité liant les deux parties du pays, précède l’idée du processus de Genève impulsé par l’ONU, qui a été, consciemment ou inconsciemment, construit pour amener à ce résultat », estime Jalel Harchaoui.

Pour cela, le vote de Genève a pu s’appuyer sur le relatif calme sécuritaire en place depuis juin, créant les conditions pratiques à une réconciliation politique. Le cessez-le-feu du 23 octobre dernier avait ainsi officialisé la stabilisation du front et la cessation des hostilités suite à l’offensive menée par le maréchal Haftar en avril 2019 contre Tripoli, qui s’était soldée par un échec suite à l’intervention des forces turques en soutien au gouvernement de Tripoli. « Les Nations unies ont alors su profiter de ce calme technique instauré par la force militaire, l’intervention conjointe de la Turquie et de la Russie ayant réussi à former une espèce d’équilibre des forces », estime Jalel Harchaoui, pour qui les deux puissances étrangères ont un intérêt commun à éviter la guerre afin de se partager les gains, notamment en matière de ressources en hydrocarbures.

Mais en consacrant la victoire de la liste de Dbeibah, le scrutin de Genève compromet cette représentation équitable et crée le risque de nouvelles frustrations à l’Est. « Le président du Conseil est certes né à l’Est, mais il est politiquement plus proche de Tripoli que des élites de l’Est », note Jalel Harchaoui, citant notamment l’opposition passée de Mohammad Younes el-Menfi à l’attaque de Tripoli menée par le maréchal Haftar. Alors que les élections avaient pour vocation d’unifier les instances de gouvernance nationale, ces nouvelles frustrations créent un « risque de partition plus élevé » entre l’Est et l’Ouest, conclut Jalel Harchaoui. Le nouveau gouvernement, censé être formé dans un délai de 21 jours, pourrait être mort-né si l’issue inattendue du scrutin amenait les différentes parties à revoir leurs copies.

Des vingt et un candidats qui concouraient pour le poste de Premier ministre, c’était peut-être l’une des personnalités les plus controversées. En tout cas certainement l’une des moins attendues. La victoire de l’ingénieur et milliardaire Abdel Hamid Dbeibah, originaire de Misrata, a créé la surprise générale hier à Genève. L’élection au poste de Premier ministre de cet...

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