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Idées - L’économie Ponzi

Et si Riad Salamé était le Robin des Bois libanais ?

Et si Riad Salamé était le Robin des Bois libanais ?

Riad Salamé (archives AFP)

Si l'on me demande de citer un communiste, les noms qui viennent spontanément à l'esprit sont ceux de Karl Marx, Vladimir Lénine ou Léon Trotsky. Ou alors, pour prendre des exemples locaux, feu George Hawi ou Hanna Gharib. Pour prendre des exemples encore plus récents, on pourrait aussi élargir ce raisonnement à ceux qui sont perçus comme les rénovateurs de la nouvelle gauche au Liban, comme l'ancien ministre Charbel Nahas, ou les journalistes Mohamad Zbeeb ou Jad Ghosn.

Cependant, je me permets de formuler une autre hypothèse. Presque tout le monde sait désormais que la plupart de nos dépôts en dollars ont été prêtés à la Banque du Liban (BDL). Contrairement à une erreur de perception souvent commise, la BDL n'a pas prêté ces derniers au gouvernement pour payer les salaires des agents publics. Si ces dépôts en devises ont été dilapidés, c'est pour financer notre dépendance nationale aux importations – via le maintien de la parité monétaire à 1500 LL/USD (qui a rendu les importations moins chères) –, et les brûler – littéralement – dans les hydrocarbures destinés à notre électricité et nos automobiles. Riad Salamé l'a d'ailleurs indiqué lui-même dans plusieurs interviews récentes, dont la dernière accordée à CNBC : « Les fonds que nous avons prêtés au gouvernement sont essentiellement en livres libanaises, nous n'avons donc pas eu besoin d'utiliser ceux provenant de dépôts pour cela car nous sommes l'émetteur de la livre libanaise. Les fonds qui ont été utilisés pour les importations sont la raison pour laquelle les banques ont moins de liquidités. » Qu'on me permette un décryptage rapide de ce langage codé : quand il mentionne « les importations », il pense à la défense de l'ancrage monétaire ; tandis que « les banques ont moins de liquidités » veut dire : « elles n'ont plus un rond ! » Enfin, une autre partie de ces dépôts en devises a bien sur été aspirée par le désormais connu schéma de Ponzi de la BDL – via le versement d'intérêts ou de profits tels que les dividendes perçus par les actionnaires des banques.

À son apogée, le secteur bancaire gérait près de 180 milliards de dollars de dépôts, soit plus de trois fois notre PIB. Les cadres supérieurs des banques se vantaient d'ailleurs sans cesse de la croissance continue de ces dépôts, même si, ces dernières années, une grande partie de cette dynamique était due à des intérêts fictifs. En outre, l'aggravation du déficit de la balance des paiements (soit des sorties de dollars plus importantes que les entrées) a entraîné le recyclage de tous les fonds « frais » à l'extérieur du pays. Il y a seulement un an, un dirigeant pouvait déclarer, dans l'un de ces récits propres à alimenter le mythe du « miracle libanais » et de la « résilience », que les dépôts bancaires domestiques augmenteraient plus que suffisamment pour couvrir les besoins de financement du pays. Ce qu'il s'était gardé de préciser, et ce que la plupart des gens n'ont pas compris, c'est que la croissance des dépôts revient, de fait, à une croissance de la dette (bancaire). Pour faire court : les dépôts bancaires sont des passifs et non des actifs. Un peu comme si j'avais augmenté ma dette personnelle à un million de dollars et que je me vantais ensuite auprès de tout le monde d'être devenu millionnaire...

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L’art de jouer à la roulette avec vos dépôts

Quelques mois plus tard, ce cadre a pris sa retraite, a probablement retiré ses indemnités de fin de services. On peut raisonnablement supposer que tout initié doté d'un certain niveau d'intelligence s'est empressé d'expatrier son argent vers un refuge offshore. Peu après, à la fin du bal, la plupart des gens ont réalisé que leurs économies étaient désormais bloquées, et ont du se contenter de promesses vides de sens de la part des banquiers (et des politiciens) - ces derniers devenant progressivement de moins en moins polis avec des clients qu'ils avaient pourtant traités comme des rois pendant des décennies.

Avant la crise, 6 000 personnes possédaient 52 % de l'ensemble des dépôts, ce qui faisait du Liban l'un des pays au coefficient de Gini (un indicateur mesurant les inégalités) les plus élevés au monde. Aujourd'hui, la vie de Marie-Antoinette n'est cependant plus la même : l'heure n'est plus au pouvoir et à la jouissance, mais aux tourments, tout comme la classe moyenne et les petits déposants. Bien sûr, il est certain qu'une partie des personnes connectées ont pu y échapper (à travers une « Super Wasta » ou diverses combines), mais les réserves de la BDL (actuellement à 17 milliards de dollars) ne sont tout simplement pas suffisantes pour permettre à tous de le faire. C'est l'équivalent financier de la ruée des passagers du Titanic : tous luttent pour monter dans les quelques canots de sauvetage, mais ceux-ci ne pouvant contenir qu'une petite partie d'entre eux, les autres sombrent avec le navire. Autrement dit, à la fin de la fête, ils ont également perdu la plupart de leurs économies - et ce, indépendamment de la légitimité (ou non) de leurs gains ou de leur facilité à obtenir une réservation au Sky Bar pendant la belle époque.

Or si l'on admet que la plupart des économies de ces 1 % les plus riches ont été dépensées pour défendre l'ancrage de la livre libanaise, et donc financer les importations en nous assurant ainsi un niveau de vie supérieur à la productivité du pays, que faut-il en déduire ? Tout simplement que Riad Salamé était une sorte de Robin des Bois, prenant l'argent des riches et le donnant à la classe moyenne (employée) et aux pauvres. À sa manière, le « camarade» Riad a sans doute effectué le plus grand transfert de richesse depuis la révolution bolchévique de 1917.

Bien sûr, comme pour la révolution bolchévique, il y a des exceptions. Par exemple, le banquier déjà évoqué aura certainement reçu une lettre de son ancien employeur au cours des dernières semaines « l'exhortant » à rapatrier 30 % de ses fonds au Liban, conformément à la circulaire 154 de la BDL. Néanmoins, qu'ils se conforment ou non à cette circulaire, ce banquier et ses semblables sont largement à l'abri, à la manière du grand duc Alexandre "Sacha" Mikhaïlovitch passant paisiblement la fin de sa vie sur la Côte d'Azur.

Si on avait fait un sondage d'opinion sur l'architecte de ce modèle, Riad Salamé, en 2016, sa côte de popularité se serait sans doute située autour de 95 %, peut-être plus que celle de n'importe quel personnage public libanais depuis notre indépendance. Si on refait ce sondage aujourd'hui, elle serait sans doute tombée à 10-20 %. L'ironie de l'histoire est que la grande majorité des bénéficiaires de ses largesses, les pauvres et la classe moyenne, le regardent aujourd'hui avec mépris, alors que la plupart des riches, qui ont financé cette expérience sociale téméraire avec leurs économies, continuent de l'adorer.

Si l'on me demande de citer un communiste, les noms qui viennent spontanément à l'esprit sont ceux de Karl Marx, Vladimir Lénine ou Léon Trotsky. Ou alors, pour prendre des exemples locaux, feu George Hawi ou Hanna Gharib. Pour prendre des exemples encore plus récents, on pourrait aussi élargir ce raisonnement à ceux qui sont perçus comme les rénovateurs de la nouvelle gauche au Liban,...

commentaires (18)

Vrai. L'article de Mr. Azzi manque de compassion. Mais il fait un point HYPERIMPORTANT: les Libanais ont perdu l'argent parce qu'ils ont vecu au dessus de leur moyens en important des produits avec de la dette alors que le pays est non productif. Mais faut il blamer Salameh ou le pouvoir, et surtout Berri qui est la seule constante, et qui a encouragé la prodigialité pour acheter la popularité? Par contre Mr. Azzi a tort d'exonerer le secteur public. Imprimer tout cet argent pour leur payer salaires et compensations est HYPERINFLATIONNISTE.

Tina Zaidan

09 h 35, le 14 février 2021

Tous les commentaires

Commentaires (18)

  • Vrai. L'article de Mr. Azzi manque de compassion. Mais il fait un point HYPERIMPORTANT: les Libanais ont perdu l'argent parce qu'ils ont vecu au dessus de leur moyens en important des produits avec de la dette alors que le pays est non productif. Mais faut il blamer Salameh ou le pouvoir, et surtout Berri qui est la seule constante, et qui a encouragé la prodigialité pour acheter la popularité? Par contre Mr. Azzi a tort d'exonerer le secteur public. Imprimer tout cet argent pour leur payer salaires et compensations est HYPERINFLATIONNISTE.

    Tina Zaidan

    09 h 35, le 14 février 2021

  • "Les pauvres et la classe moyenne" ont bénéficié d'un taux de change largement surévalué depuis la sortie de la guerre civile, c'est vrai, mais tout autant que "les riches", qui ont, en plus de cela, largement bénéficié de taux d'intérêts rémunérateurs sur leurs dépôts bancaires parmi les plus élevés au monde. Une fois le système écroulé, plus personne ne peut récupérer son argent (sauf éventuellement certains riches corrompus ou bien informés). Absolument aucun Robin des Bois ici donc.

    Vulin Timothé

    09 h 16, le 14 février 2021

  • D’accords à 100% ... voilà pourquoi d’ailleurs il fallait manifester devant les maisons non châteaux des actionnaire-propriétaire des banques et non la BDL ni Ryad Salemeh d’ailleurs non plus le sytème bancaire !!

    Bery tus

    07 h 28, le 14 février 2021

  • Tout ce qui est écrit est tout à fait censé et clair comme de l’eau de roche! Celui qui en doute doit se poser une question simplement. Que produisons nous pour mériter toutes ces importations qui desservent aussi nos voisins ? Robin des bois j’en doute mais fidèle serviteur voulant sauver sa peau j’en suis sûr. Le seul service qu’il peut rendre au Liban c’est restaurer la confiance et Le Liban repartira aussitôt comme il a toujours vécu indépendamment de toutes ces turpitudes politiques qui ne nous concernent pas.

    PROFIL BAS

    06 h 01, le 14 février 2021

  • Le signataire de l’article est (ou a été) quelqu’un de compétent, sachant sans doute de quoi il parle. Mais cet article m’a quand même beaucoup gêné . Par sa construction alambiquée qui fait qu’on ne comprend pas très bien où l’auteur veut en venir. Et, ce qui est plus gênant, par ce qui ressemble beaucoup à du cynisme, surtout vis à vis des déposants lambda (et ils sont nombreux) qui sont ceux qui ont le plus perdu dans cette affaire en gardant leur argent dans les banques libanaises qui, finalement, se sont bien foutues d’eux. Lire que Riad Salamé est le Robin des bois libanais passe quand même très très mal dans la réalité d’aujourd’hui. Mr Azzi devrait peut-être envisager d’échanger son savoir-faire et son expertise contre un peu plus d’empathie envers ce peuple qui n’a pas forcément eu les bonnes cartes entre les mains pour prendre les bonnes décisions.

    DC

    00 h 15, le 14 février 2021

  • "" les pauvres et la classe moyenne, le regardent aujourd'hui avec mépris"", dan azzi se gourre fortement ou omet de preciser QUE si r salameh est meprise , lui et ses semblables ne le sont pas moins qui tiennent- en depit de toute logique, simple et claire-oui simple et claire-qui ne peut accepter responsabiliser salameh seul. dan azzi & Co peuvent poursuivre leurs interventions intelligentes merci.

    Gaby SIOUFI

    12 h 01, le 13 février 2021

  • On était sur le point de verser une larme d’empathie sur ce Monsieur si le scandale des 400 millions n’avait pas éclaté. Non vraiment vous êtes sérieux Monsieur Dan, et tous les milliards versés à l’état libanais pour reconstruire ce qui a été détruit par le soin des fossoyeurs Ève-Charlotte la complicité des traitres. , ils sont passés où? De quoi les libanais ont ils bénéficié? De l’électricité? De l’eau potable fournis tous deux H/24? Des écoles, du système de santé? Des centres de recherches et de productions? Donnez- nous un seul exemple pour qu’on adhère à vos suppositions.

    Sissi zayyat

    11 h 20, le 13 février 2021

  • S’il est vrai que l’argent des deposants a servi a soutenir la LL vis a vis du dollar et a financer les importations, le gouverneur devait savoir que cela ne pouvait pas durer eternellement et que le risque de voir s’evaporer l’argent des deposants était bien reel. Il aurait du mettre mettre un terme a ces operations qui finalement peuvent etre qualifiees de vol, plutôt que d’appater les deposants avec des taux d’interet eleves. Il savait tres bien que les dollars depenses ne pouvaient plus etre rendus.

    Goraieb Nada

    08 h 09, le 11 février 2021

  • La situation est plus claire depuis qu'il a reconnu son transfert de USD 270 millions à l'étranger en 2002. Toute l'action qu'il a mené depuis n'avait qu'un seul objectif à mon avis; repousser les problèmes dans le temps et rester à la tête de la BDL pour atteindre le délai de prescription de 10 ou 15 ans. Aujourd'hui plus personne ne peut l'atteindre sauf s'il a encore transférer après 2011. Il est très fort au point de dire aux libanais les yeux dans les yeux que votre argent est là et le peuple le croit. C'est très rare de lire un article dans votre journal comme celui-ci sans queue ni tête...........continuent à l'adorer??? Quand même !

    Shou fi

    22 h 58, le 10 février 2021

  • Allons-y pour Saint Martin, carrément....

    Christine KHALIL

    18 h 12, le 10 février 2021

  • Je ne vois pas de pauvres, de riches ou de classe moyenne dans cette histoire je voix quelqu’un qui a volé les gens honnêtes toutes classes confondue , surtout le secteur privé productif donner aux mafieux (nouveaux riches)) et leurs ouilles (soit disant pauvres mais en fait moins pauvres que les autres car mangeant de la main des mafieux) C’est plus la Casa nostra que la lutte des classe

    Liban Libre

    17 h 45, le 10 février 2021

  • On n en est ou avec l'enquête Suisse sur des détournements de fonds de $400 Million visant Robin Des Bois ou Arsene Lupin

    KARIM GHAZZAOUI

    15 h 01, le 10 février 2021

  • Très tiré par les cheveux... Tout le monde a supporté la parité du dollar, pas seulement les riches. Si les riches ont (proportionnellement) perdu plus, c’est parce qu’ils sont plus riches, par définition. Tout le monde a proportionnellement perdu pareil. La différence est pour les 1%, ce qu’ils ont perdu au Liban ne représente qu’une infime partie de leurs richesses, lors que pour les 99% restant ils ont perdu la quasi totalité de leurs économies. Cherchez l’erreur...

    Gros Gnon

    14 h 57, le 10 février 2021

  • SYNTHESE TROP FACILEMENT ATTEINTE ! IMPORTATIONS?, PONZY SCHEME ? MAIS PAS LA CORRUPTION AU NIVEAU ETATIQUE ET, J'INSISTE CELUI DU SECTEUR PRIVE AUSSI ? Hmm !

    Gaby SIOUFI

    14 h 46, le 10 février 2021

  • Sans doute, Monsieur, vous avez tout prévu  à l'avance, et vos économies sont, comme les autres illuminés, bien à l'abri. Cependant, si une partie des dépôts des banques a été gaspillée par les voyages des vacances des libanais, la grande part à été utilisée au pays, par l'importation de biens de tous genres, allant des petites fournitures et articles ménagers, à l'électronique, aux voitures neuves ou non, aux usines avec des matériels perfectionnés, aux bâtiments, aux hôtels, et aux télécommunications, etc... Donc, en investissement. Les pertes existent .Les crises politiques avec le contexte régional, avant le corona, ont fait fuir les touristes qui ramenaient des milliards de dollars, et même on a fait peur à nos enfants qui travaillent à l'étranger, qui n'envoient à leurs parents que juste le nécessaire pour leurs besoins. L'essentiel de toute la crise économique est politique, et surtout avec le mandat actuel fait d'obstruction et d'entêtement.

    Esber

    13 h 28, le 10 février 2021

  • Tout cela est de bric et de broc comme on lit souvent dans des périodes de crise économique et de pandémie.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 00, le 10 février 2021

  • il fait plutôt feu de tout bois pour se sauver d'une situation catastrophique, ne faites pas un Saint d'un malfrat ! un citoyen peut-il refuser de se présenter devant un juge sans se faire amener manu militari dans l'heure qui suit ? Voilà où le bat blesse.

    Le Point du Jour.

    12 h 58, le 10 février 2021

  • Mais normalement, Robin des Bois vole les riches pour donner aux pauvres, pas les pauvres pour donner aux riches, non?

    NAUFAL SORAYA

    12 h 02, le 10 février 2021

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