Le 17 octobre, en même temps que la révolte qui enflait sur les places du Liban, grandissait l’inquiétude devant l’ampleur de l’effondrement économique. Souvenez-vous, la crainte justifiée pour les emplois qui se sont depuis évaporés, la peur archaïque d’une nouvelle vague de famine à laquelle la solidarité tente de remédier tant bien que mal, la violence policière de plus en plus déchaînée, les camarades éborgnés, et la descente en enfer pour laquelle la double explosion de Beyrouth n’a même pas représenté un palier.
Pour verser son écot à l’effort collectif, Toni Sawaya, jeune créateur d’image de marque, a décidé de créer une ligne de vêtements adaptés aux circonstances, entre confinement et réactivité révolutionnaire. Il s’agissait en priorité pour cet inventeur de procurer du travail aux tailleurs et artisans libanais dont l’activité avait cessé dès les premiers jours des manifestations d’octobre. Un atelier est aménagé sous le toit duquel est aussitôt constituée une équipe de couturiers et couturières déjà chargée d’une première mission : confectionner des masques dès les prémices de la pandémie. Révolution oblige, ces masques ont deux particularités : ils sont marqués d’un dessin de sparadrap en forme d’étoile, emblématique du musellement, et ils sont équipés d’un système de cordons qui permet non seulement de les porter en bandoulière mais aussi de mieux les resserrer pour davantage de sécurité. Contour de nez et d’oreilles ajustable, impression en sérigraphie, trois épaisseurs de tissu, intérieur en Pellon, mécanisme de bascule pour un meilleur contrôle de la respiration, si ce n’est pas le masque idéal, on n’y comprendrait rien.
Pour ce qui est des survêtements, en ces temps de confinement où le vêtement d’intérieur a le vent en poupe, il s’agissait pour le créatif d’injecter un peu de dynamisme en réaction à l’avachissement ambiant. Tagger Ta gueule sur une poche ou sur la poitrine, un graffiti de BD symbolisant une insulte sur la manche, c’était une manière d’afficher le ras-le-bol le mieux partagé au monde tout en amortissant la colère, voire la violence qui pourrait en résulter. On ne dit rien, mais tout est dit. Et parce que sans espoir toute action est impossible, restait à trouver cette formule magique capable d’élever les esprits et les cœurs. La voilà affichée en calligraphie arabe sur un hoodie : « L’amertume ne peut que s’adoucir, même au bout d’un moment ».
Enfin, comment, en évoquant les préoccupations des jeunes Libanais, ne pas parler de l’émigration, ce crève-cœur, l’amertume de ceux qui partent, la frustration de ceux qui n’ont pas les moyens de le faire ? En mai 2020, Toni Sawaya devait partir pour le Canada. Il a encore son billet aller-retour en poche. Mais la pandémie a entravé sont projet à ce moment-là. L’important est la mention « aller-retour ». Là est le réconfort : on part pour mieux revenir. C’est cette idée, au final, qui a fini par s’afficher sur une série de sweat-shirts portant les codes pays des aéroports encadrés par le signe Bey pour Beyrouth. Déclinés à loisir, on trouve ainsi Bey-DXB-Bey, Bey-MTL- Bey, Bey-PAR-Bey…
On l’aura compris, les créations Ta gueule ne sont en aucune manière une invitation à se taire.
commentaires (3)
Sympa! j adore.
Marie Claude
16 h 53, le 08 février 2021