« Alors, vous faites partie de ceux qui croient au coronavirus ? » lance un marchand de légumes à une cliente portant un masque chirurgical. Le visage presque entièrement caché derrière son masque, impossible de savoir si la blague amuse la dame autant que le commerçant. Ses éclats de rires disparaissent toutefois rapidement dans le vacarme des cris lancés par les vendeurs vantant leurs produits, des clients qui prennent le temps de faire leurs courses comme si rien ne pressait, et le bruit assourdissant des motocycles qui serpentent dans les rues étroites des souks. Le tout au rythme de la voix du muezzin répercutée par un haut-parleur fixé sur le toit d’une ancienne boutique.
Dans les vieux souks et khans de Tripoli, au Liban-Nord, le coronavirus est perçu comme une question de croyance, voire comme une fatalité. À regarder les habitants s’affairer devant les étals de légumes et de viande, sans masques et sans la moindre mesure de distanciation physique, on pourrait dire que ceux qui y croient sont peu nombreux, ceux qui appliquent les gestes barrières encore moins. « Il ne vous adviendra que ce que Dieu vous a déjà prescrit », répète Moustapha Sabsabi, un septuagénaire entouré d’une bande d’hommes aux visages découverts. Sur la place al-Tall, face à la grande horloge offerte à la capitale du Nord au XXe siècle par un sultan ottoman, M. Sabsabi, surnommé « Mokhtar », finit toutefois par nuancer ses propos : « Notre religion nous impose quand même de prendre les précautions nécessaires. » Après avoir fouillé quelques minutes dans les poches de sa veste, il sort un masque chirurgical usé et froissé et le place sur sa bouche, comme pour donner du poids à ses mots. Avant de le rabaisser aussitôt au niveau du menton. Assis sur une chaise en plastique, il se remet à siroter son café noir et à fumer sa cigarette, au soleil, comme un sultan.
« Qu’offre l’État libanais à ses citoyens les plus pauvres ? »
Debout, les bras croisés et le visage couvert d’un masque, Mohammad Othman, originaire de Denniyé, semble attendre que quelqu’un vienne lui proposer du travail. « Je suis ouvrier journalier », dit-il, avant de poursuivre : « Je descends tous les jours à Tripoli et j’attends qu’un client me demande de faire quelque chose, n’importe quoi. » M. Othman aurait bien aimé rester chez lui dans le confort de sa maison et respecter le confinement qu’il juge nécessaire et bénéfique, mais il dit ne pas pouvoir se le permettre. « L’État libanais nous impose un mode de confinement et de fermeture à l’instar de ce qui est appliqué dans les pays occidentaux. Mais dans ces pays-là, l’État donne des aides à ceux qui doivent rester à la maison, souligne-t-il. Qu’offre l’État libanais à ses citoyens les plus pauvres avant de leur demander de cesser de travailler ? » À côté de lui, un homme chauve à la barbe touffue renchérit : « Les pauvres ne peuvent plus se confiner, c’est fini. » Accroupi devant une nappe étalée sur le pavé, il agence et réagence sans cesse les produits qu’il propose à la vente : une montre séparée de son bracelet, un téléphone portable à l’écran brisé et des câbles électriques entremêlés, entre autres. « Ce sont de petites choses que je trouve dans les poubelles et que je nettoie avant de les vendre », raconte cet homme. Qui achèterait un portable dont l’écran est complètement fissuré ? « Ceux qui n’ont pas de quoi en acheter un neuf », répond-il. Contrairement à beaucoup d’autres, ce marchand dit croire à l’existence du coronavirus. « Mais que peut-on faire ? » ajoute-t-il, en haussant les épaules.
Non loin de la place al-Tall, la plupart des boutiques ont baissé leurs rideaux de fer. « Les propriétaires ne peuvent pas se payer le luxe de la fermeture, mais ils n’ont pas non plus les moyens de payer une amende », avance un commerçant. « Nous ne recevons pas de clients aujourd’hui en raison de la fermeture du pays, mais je suis venu régler certaines choses avant de repartir », assure un marchand de machines à coudre. S’il respecte le confinement imposé par le gouvernement, il critique la politique de deux poids, deux mesures appliquée par les forces de sécurité. « Allez voir à Tebbané et dans les souks populaires, la vie y continue comme si de rien n’était », lance-t-il. Bien qu’il se plaigne de la situation, le propriétaire dit comprendre pourquoi l’État ne peut pas imposer ses règles dans les régions les plus pauvres. « Les responsables chargés d’appliquer la loi savent qu’un habitant de la vieille ville de Tripoli ne pourrait jamais payer le montant d’une amende, explique-t-il. S’il avait de quoi payer une contravention, il serait resté chez lui à la maison, confiné. » Interrogé à ce sujet par L’Orient-Le Jour en novembre dernier, alors que le Liban entrait dans un deuxième confinement, le président de la municipalité de Tripoli, Riad Yamak, ne se faisait déjà pas d’illusions : « Les quartiers et marchés populaires de la ville ne respecteront pas le confinement et personne n’y peut rien. » Malgré l’évolution de la pandémie, qui connaît un pic après le grand relâchement des fêtes de fin d’année, Riad Yamak estime aujourd’hui que le confinement ne sera pas plus appliqué pour autant.
« La situation risque de déraper »
Quelques minutes en voiture séparent la vieille ville de Tripoli de la nouvelle, plutôt aisée. Le long de la rue du Damm wou Farez, les trottoirs sont désertés et les cafés ont rangé leurs chaises sur les tables, à l’intérieur comme à l’extérieur, en attendant des jours meilleurs. Tous les restaurants habituellement bondés, qui longent la rue de part et d’autre de l’autoroute, sont fermés. Le propriétaire du restaurant Rawand, M. Malti, fume une cigarette sur le seul canapé qu’il a gardé sur sa terrasse. « Mon restaurant emploie cinquante personnes au quotidien, comment voulez-vous qu’ils survivent si nous fermons tous les quatre matins ? » se plaint-il. Pour lui, les mesures prises par l’État libanais pour contrer la pandémie sont absurdes. « Mon restaurant est immense, les tables sont espacées l’une de l’autre et le toit, en bois, a été conçu de façon à s’ouvrir complètement, le transformant en espace ouvert. » Tripoli est divisée en deux : une vieille ville rongée par la pauvreté où le confinement n’est pas respecté et une autre, plus jeune et plus aisée, qui le respecte à contrecœur. Une division comme pour souligner que le confinement reste ici un privilège de classe.
À quelques kilomètres de là, bien dans la réalité, l’hôpital gouvernemental de la ville est complètement submergé par les patients atteints du coronavirus. « La situation dans la capitale du Liban-Nord risque de déraper à n’importe quel moment », alerte Nasser Adra, le directeur de l’hôpital. Selon lui, environ 90 % des lits en unités de soins intensifs consacrées aux malades du coronavirus dans la région du Liban-Nord sont déjà occupés. « Un hôpital de campagne devrait être aménagé bientôt à Tripoli, mais nous espérons que de plus en plus d’hôpitaux privés prennent en charge des malades du coronavirus », ajoute M. Adra.
Je peux recommander tout le monde une visite a Tripoli, c'est une belle ville avec un panorama merveillieux sur les montagnes couverts de neige en hiver ... Tout le Liban, le Liban Sud et nord, et partout c'est joli, un beau pays. J'amais Tripoli par sa richesse en mosquees, tours, ecoles coraniques, le chateau , le fleuve. Le souk avec tous les marchands, et on peut boire tranquillement un cafe libanais. Aussi une avonture (pour lequel j'ai du trouver le courage) c'est une visite a un "hammam ottoman" (bain turque). Ca vaut la peine de l'essayer une fois. En fait je dois encore rire si j'y pense, les Tripolitains qui etaient dans la vapeur la-bas ne semblaient pas apprecier ce touriste 'francais' (je ne suis pas francais, mais eux ils pensaient que j'etais francais, et je peux dire que j'avais l'impression que les Tripolitains n'aiment pas les francais).
12 h 29, le 12 janvier 2021