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Économie - Pandémie

Le livreur, maillon fort d’une économie libanaise confinée

Lien primordial entre les commerçants et leurs clients, la situation des livreurs indépendants demeure cependant précaire.

Le livreur, maillon fort d’une économie libanaise confinée

Hiba trépigne devant la porte d’entrée de son appartement. Alors qu’elle s’apprêtait à cuisiner, la jeune femme s’est rendu compte qu’il lui manquait de la levure, ingrédient essentiel à la réalisation du gâteau qu’elle a promis à ses enfants, comme elle confinés. Sans perdre une seconde, elle a saisi son smartphone, ouvert sa nouvelle plateforme de livraison préférée et passé commande. Montant de la commande et pourboire en main, elle suit le trajet de son héros du jour sur son écran : le livreur, à savoir l’unique contact autorisé avec les commerces, à l’extérieur, dans un Liban sous cloche, recrudescence alarmante de la pandémie de Covid-19 oblige. Jeudi dernier à cinq heures, le Liban est entré dans un nouveau confinement, extrêmement strict, appelé à durer jusqu’au 25 janvier à la même heure, sous réserve de modifications dues à l’évolution de l’épidémie et de la situation des hôpitaux saturés. Dans la capitale, le respect de ce quatrième confinement semble acquis, et de chez elle Hiba ne perçoit que le vrombissement du ballet des mobylettes et scooters des livreurs. Le Liban « ante-Covid » n’a jamais manqué de livreurs et coursiers en tout genre, qu’il s’agisse de faire parvenir des repas, des légumes frais ou encore des narguilés. Désormais quasiment seuls à arpenter librement les artères de Beyrouth confinée, les livreurs sont devenus, au fil des bouclages décrétés depuis mars 2020, le maillon fort d’une économie confinée. Avec la fermeture au public des supermarchés et commerces d’alimentation décrétée dans le cadre du confinement actuel, leur rôle est à la fois central et compliqué.

Prises de court par une décision des autorités qu’elles jugent irréfléchie, les grandes et moyennes surfaces ne peuvent répondre en effet qu’à « 5 à 8 % » de la demande via leurs services de livraison à domicile, quand elles en ont, selon le syndicat qui les représente. Il faut savoir que cette proportion ne grimpe qu’à 20 % dans des pays où ce type de service est mieux implanté.

Au Liban, les services de livraison sont implantés depuis des années déjà. La chaîne de supermarchés Shopper’s a démarré le sien « dès la fin des années 1990 », aime à rappeler son gérant associé Zakaria Itani. Il n’en demeure pas moins que toutes les grandes surfaces libanaises n’ont pas la logistique nécessaire pour répondre à la demande nationale dans les conditions exceptionnelles du confinement actuel.

Incitations financières

Avant même l’annonce de la fermeture au public des commerces alimentaires, les Libanais s’étaient précipités dans les supermarchés. Ceux qui n’y ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient, ou qui ont préféré éviter, en ces temps de pandémie, la cohue générale, se sont rabattus sur les plateformes de commande en ligne. Lesquelles se sont également trouvées submergées par la demande.

Dès dimanche dernier, alors que les rumeurs sur un bouclage total commençaient à circuler, des plateformes de livraison telles Instashop ou Noknok avaient prévenu leurs clients qu’ils allaient devoir se préparer à des délais de livraison accrus. Les commandes « doublent, voire triplent en période de confinement », explique Sheryl Kharrat, directrice marketing du groupe Meig Holding qui a lancé le supermarché en ligne MyTrolley.

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La chaîne de supermarchés Spinneys indiquait pour sa part sur son site internet, la veille du confinement, ne plus accepter de commandes avant le mercredi 20, soit une semaine plus tard. Effectuées au moyen de camionnettes et pour des montants minimaux de 100 000 livres libanaises (sans compter les frais, non précisés), les livraisons ne représentent généralement qu’entre « 5 et 7 % » de son chiffre d’affaires pour un service datant de 2012. Selon son directeur marketing, Ralph el-Kahi, Spinneys ne pourra répondre favorablement durant cette période qu’à « 2 % » des demandes de ses clients, qui sont d’habitude entre « 35 000 et 40 000 par jour » à se rendre dans les différentes branches de cette enseigne.Si les grandes surfaces, comme Spinneys et Shopper’s, ont engagé leurs propres livreurs, beaucoup d’autres font appel à des services extérieurs, notamment via l’application Toters, dont le cofondateur Naël Halwani assure à L’Orient-Le Jour avoir pu répondre à la hausse de la demande de produits alimentaires, les commandes de restaurants ayant diminué. « Il y a eu un basculement de la demande en cette période, les gens préférant cuisiner à la maison plutôt que commander des plat préparés », explique-t-il, précisant que certaines enseignes, qui n’ont pas la logistique pour les commandes en ligne, peuvent passer par les services de Toters. Ainsi, plus de 1 000 livreurs, reconnaissables entre tous par leur polo vert, sillonnent les rues de Beyrouth et de sa banlieue, livrant plus de 15 000 commandes par jour, selon les horaires d’ouverture actuels, soit de 5h à 17h, en raison du couvre-feu, contre 25 000 et 35 000 livraisons s’ils pouvaient circuler jusqu’à minuit. Pour maintenir les effectifs de son armada de livreurs, dans ce contexte de forte demande, la plateforme a eu recours à des « incitations financières » dont le montant n’a pas été communiqué. Ces petits bonus, que les livreurs touchent également en cas de mauvais temps selon l’un d’eux, sont les bienvenus pour ces indépendants payés à la course et dont les frais d’entretien et de réparation de leur mobylette ne sont pas pris en charge par les entreprises qui les emploient. Des coûts qui, de surcroît, ne font qu’augmenter depuis le début de la crise économique et financière que traverse le Liban, marquée par une dépréciation de près de 80 % de la monnaie nationale. À cela s’ajoutent les frais d’essence, oscillant entre 5 000 et 6 000 livres par jour pour les petits deux-roues, et entre 10 000 et 12 000 livres pour les mobylettes plus puissantes.

Un livreur bravant la pluie hier à Beyrouth. Photo M.A.

Situation précaire

Avec ces coûts fixes et variables, la situation des livreurs indépendants demeure donc précaire pour l’écrasante majorité d’entre eux. Selon Hussein Salloum, livreur de longue date pour un restaurant, les prérequis pour devenir un livreur cadré, inscrit auprès de la Caisse nationale de Sécurité sociale, sont « relativement faciles ». En effet, la plupart des candidats à ce métier doivent posséder leur propre deux-roues, enregistré auprès du service mécanique, avoir un permis de conduire en règle et maîtriser la carte routière de la région dans laquelle ils opèrent. Toutefois, ces travailleurs, libanais ou étrangers, recrutés essentiellement sur des groupes de réseaux sociaux ou sur des sites de petites annonces, comme OLX, ne sont pas tous logés à la même enseigne. Titularisé, le salaire d’un livreur tourne autour des 900 000 livres, mais ce revenu mensuel peut s’élever jusqu’à 1,5 et 1,7 million de livres grâce aux pourboires. Les indépendants, eux, touchent entre 1 000 et 3 000 livres la course. Ce confinement strict, en plus de ne pouvoir répondre à l’ensemble de la demande, ne permettra d’embaucher que quelques personnes supplémentaires, au noir et de manière temporaire, selon ce livreur chevronné. « Un légumier ou un boucher ne va pas pouvoir payer un salaire complet à un livreur, surtout que lui-même subit des pertes à cause de la crise. Quand bien même ce serait le cas, dès que les restrictions actuelles seront levées, ces indépendants perdront leur emploi », explique-t-il avec amertume.

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En ces temps de fermeture générale et de crise économique, tous les marchands n’ont toutefois pas l’option de la livraison. Certaines petites épiceries n’ont, dès lors, d’autre choix que de contourner les restrictions sanitaires pour continuer à travailler. Ainsi, dans le Metn, plusieurs ont gardé leurs portes ouvertes, raconte une habitante de la région y ayant fait quelques emplettes comme à l’accoutumée. D’autres propriétaires de commerce transforment leurs employés en livreurs. Mohammad Yassine, interrogé par L’Orient Today, explique ainsi que tous ses employés, dont la moitié sont d’habitude en magasin, livrent désormais les commandes à pied aux habitants du quartier. Enfin, selon une habitante d’un quartier de Beyrouth, ni sa « dekkené » ni son marchand de fruits et légumes n’ont fermé, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué par les Forces de sécurité intérieure chargées de faire appliquer les règles du confinement. Quelques rues plus loin pourtant, toutes les épiceries ont tiré leur rideau de fer. Mais de chez elle, la gérante de l’une d’entre elles, située à quelques pas de son appartement, prend au téléphone les commandes de ses clients, majoritairement des voisins de quartier, et leur donne un créneau horaire pour venir les chercher.

Beyrouth devrait néanmoins continuer, toute cette semaine, à bruisser du vrombissement des mobylettes de ceux qui permettent aux petits et grands commerces de tourner.



Hiba trépigne devant la porte d’entrée de son appartement. Alors qu’elle s’apprêtait à cuisiner, la jeune femme s’est rendu compte qu’il lui manquait de la levure, ingrédient essentiel à la réalisation du gâteau qu’elle a promis à ses enfants, comme elle confinés. Sans perdre une seconde, elle a saisi son smartphone, ouvert sa nouvelle plateforme de livraison préférée et...

commentaires (1)

Comparé aux autres pays notamment occidentaux. Le liban est , sur ce plan, situé sur un niveau assez avancé heureusement. Le "delivery" fait partie du mode de vie des libanais. C'est déjà un "plus" dans le cadre du confinement.

LE FRANCOPHONE

12 h 42, le 18 janvier 2021

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Commentaires (1)

  • Comparé aux autres pays notamment occidentaux. Le liban est , sur ce plan, situé sur un niveau assez avancé heureusement. Le "delivery" fait partie du mode de vie des libanais. C'est déjà un "plus" dans le cadre du confinement.

    LE FRANCOPHONE

    12 h 42, le 18 janvier 2021

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