Le vainqueur illusoire

Le raté peut se résigner à son sort avec plus ou moins de regrets. La victime peut chercher à demander réparation tout en maudissant les responsables de son infortune. Le vaincu peut se préparer à la nouvelle bataille ou se retirer quand il est convaincu qu’il n’y a plus d’espoir.

Le vainqueur illusoire, en revanche, se contente de petites victoires pour camoufler ses grandes défaites. C’est un perdant en série (serial loser) qui, allant de défaite en défaite, perd surtout le sens de la réalité de son propre échec. Plus il se rend compte que son projet, bâti sur un raccourci mensonger, tombe à l’eau, plus le fanatisme avec lequel il le poursuit s’accroît, plus il s’éloigne de la réalité et plus il se réfugie dans une mégalomanie destructrice. Il attend de tuer tout le monde avant qu’il ne s’effondre lui-même.

Le vainqueur illusoire est persuadé de sa propre supériorité. Mais celle-ci se heurte à un inévitable constat de faiblesse et provoque invariablement une blessure narcissique qui réclame compensation. Le déni, le temps qui, il est persuadé, lui donnera raison, la victimisation, le complotisme, la recherche de coupables et toutes les projections possibles pour continuer de croire en sa propre suprématie. Il veut punir les autres pour ses propres échecs. Son véritable but n’est pas la victoire, ni l’essor économique, ni la paix civile ou l’unité nationale, mais l’extinction, l’effondrement, le chaos, le suicide collectif, la fin de l’effroi. C’est à ce moment-là qu’il peut se rallier à d’autres vainqueurs illusoires. Et c’est alors que se décuple l’énergie destructrice dont il est porteur. À son impuissance dans la crise vient se substituer un sentiment de toute-puissance dans le chaos ; la guerre de tous contre tous est la seule institution qui rétablira la légitimité de son pouvoir. Et tous les vainqueurs illusoires se projeteront comme les sauveurs de leurs tribus et les prédateurs des ressources publiques.

La seule victoire réelle du vainqueur illusoire, c’est celle qu’il remporte contre son propre peuple et contre son propre pays.

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