En matière de formation du gouvernement, le blocage est, semble-t-il, parti pour durer, en dépit de l’entrée en jeu de Bkerké entre Baabda et la Maison du Centre et de l’insistance constante de la communauté internationale sur la nécessité pour le Liban de se doter d’une nouvelle équipe ministérielle capable de mener les réformes nécessaires, seules clés susceptibles de déverrouiller des aides substantielles. L’une des raisons de ce blocage reste que les protagonistes politiques se noient de plus en plus dans leurs querelles principalement axées sur le partage du gâteau. Une autre explication voudrait que la classe dirigeante, « obsédée par son avenir politique », lierait le sort de la future équipe ministérielle à des échéances extérieures, notamment l’investiture du président élu américain Joe Biden, le 20 janvier prochain.
Tarek Mitri, ex-ministre de la Culture, ne partage cependant pas une telle lecture. « Je ne vois pas le rapport entre la formation du gouvernement et le début du mandat Biden », déclare-t-il dans une interview accordée hier à L’Orient-Le Jour. « J’ai toujours considéré la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle comme une affaire interne », souligne-t-il, avant de tancer ceux qui établissent un lien entre ces deux échéances. « Les Libanais exagèrent parfois l’importance de leur pays par rapport aux États-Unis », dit-il, avant d’ajouter : « Le Liban subit les contrecoups de la politique américaine dans la région. Mais cela s’opère dans le moyen terme. »
M. Mitri relève ainsi que « Joe Biden pourrait adopter la même politique que Barack Obama et envisager un retrait du Moyen-Orient, qu’il ne verrait plus comme une zone à haute importance politique ».
Le facteur extérieur n’est donc pas le seul à bloquer le processus gouvernemental. Des enjeux purement locaux y sont pour quelque chose. Selon l’ancien ministre de la Culture, il s’agit principalement du « droit de veto que les uns brandissent face aux autres » et qu’il situe dans le cadre de « la lutte pour le partage de ce qui reste du pouvoir ». Une explication à laquelle M. Mitri ajoute naturellement « le manque de conscience » de la classe politique. « L’effondrement économique et financier est au centre des inquiétudes des Libanais, lesquelles sont exacerbées par le fait que les préoccupations de la classe politique sont ailleurs. Les protagonistes craignent surtout pour leur avenir politique, et sont concentrés sur le partage de ce qui reste d’un pouvoir devenu nominal », déplore-t-il, en insistant sur le fait que « l’État est devenu un butin que l’on se partage. Et plus il est maigre, plus la bataille est acharnée ».
« Le système est dysfonctionnel »
Mais il y a bien pire que ce genre de querelles. Pour Tarek Mitri, « le système actuel est complètement dysfonctionnel et le peu d’institutions politiques sont paralysées ». Pour décrypter cet état des lieux, il rappelle que « par le passé, il existait une autonomie au niveau des institutions et du pouvoir, grâce à un certain sens de l’État que l’on avait ». « Mais aujourd’hui, cette autonomie n’existe plus en raison de notre régime communautaire qui fait que la notion de “bien commun” est presque imperceptible sur la scène publique », déplore encore l’ancien ministre.
Ces sombres constats ne sont certainement pas sans éveiller les inquiétudes de Tarek Mitri quant à l’avenir du pays et de ses rapports avec les États perçus comme amis du Liban. « Il me semble que les amis du Liban commencent à désenchanter. La communauté internationale commence à établir une nette distinction entre l’aide au peuple libanais et celle qu’elle peut fournir à l’État », dit-il, en rappelant que c’est sur cette distinction qu’est axée l’initiative française en faveur du Liban. « Contrairement aux Américains, les Français pensent que l’heure n’est pas au règlement des différends politiques, mais au sauvetage des Libanais », souligne-t-il, sans cacher sa déception de voir les protagonistes libanais rater cette chance de remettre le pays sur les rails, comme le montre si bien l’échec des tractations gouvernementales.
« Les Français ont pavé la voie à une sortie de la crise actuelle, en facilitant la mise en place d’un accord avec le Fonds monétaire international. Un accord qui permettrait au Liban de recevoir des prêts et des aides tels que ceux promis dans le cadre du programme CEDRE (avril 2018) », affirme Tarek Mitri, avant d’insister sur le fait que « l’initiative française est la seule option qui pourrait débloquer la situation actuelle ». « Sinon, on sera en train de rendre le Liban un pays ingouvernable et de perdre nos amis », avertit-il. Tarek Mitri reconnaît toutefois que « l’initiative française ne fera pas de miracles ». « Mais c’est la seule main tendue aujourd’hui au Liban », insiste l’ancien ministre.
Le Vatican et Bkerké
En dénonçant cette tentative de mettre en échec le projet politique parrainé par le président français, Emmanuel Macron, M. Mitri s’en prend à ceux qui bloquent les tractations gouvernementales. Ne voulant pas les nommer, il préfère les définir comme étant ceux qui « imposent des conditions, qui veulent choisir leurs portefeuilles et leurs ministrables et qui ne respectent pas la Constitution », dans ce qui ressemble à une claire allusion au tandem Baabda-Courant patriotique libre, mais aussi au tandem chiite.
Il converge ainsi avec le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, parti en guerre contre le pouvoir en place, notamment le président de la République, Michel Aoun, et son allié de longue date le Hezbollah. « La position du patriarche Raï va au-delà de la politique politicienne. Il se fait l’écho de la position du Saint-Siège et du peuple libanais », analyse Tarek Mitri, estimant que la démarche de Mgr Raï vise principalement à « permettre aux institutions politiques, aujourd’hui complètement paralysées, de fonctionner ». « Le Vatican et Bkerké ont éthiquement condamné le manque de conscience des responsables », commente Tarek Mitri.
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Le Hezbollah égale mafia mais pire
Eleni Caridopoulou
17 h 54, le 29 décembre 2020