C’est à n’en point douter sans aucun regret que le monde et le Liban, en particulier, tourneront la page de cette funeste année 2020… Avec un timide espoir que l’an prochain, les multiples épreuves endurées au cours des derniers mois commenceront à s’estomper progressivement.
En faisant l’effort – pour entretenir un brin d’optimisme – de percevoir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, l’on pourrait relever que l’année écoulée aura été celle de la chute de nombre de tabous, tant sur le plan régional que local. Et par la même occasion, elle aura en quelque sorte posé les jalons, parfois dans l’extrême douleur, de nouvelles donnes fondamentales qui pourraient paver la voie à un avenir différent, pour ne pas s’aventurer à parler prématurément de « nouvel ordre ».
Au plan régional, d’abord, l’établissement de relations politiques et économiques (dans le sens large du terme) entre Israël et certains pays du Golfe, sans compter le Maroc et le Soudan, constitue à l’évidence un développement géostratégique (et psychologique) majeur dont la population ne mesure pas encore toute la dimension et qui ne manquera certainement pas de bouleverser le cours du conflit chronique entre ces pays et la République islamique iranienne. Car la nature de ces relations dépassera sans aucun doute les volets diplomatique et économique pour s’étendre en toute vraisemblance au niveau sécuritaire, voire militaire s’il le faut. L’État hébreu étant ainsi pratiquement présent désormais, d’une façon ou d’une autre, à la proche périphérie des frontières maritimes de l’Iran, c’est tout l’équilibre de forces dans le conflit avec Téhéran qui se trouve profondément modifié, plus spécifiquement au niveau de la politique expansionniste agressive des gardiens de la révolution, les Pasdaran. L’enjeu de la nouvelle année sera précisément de consolider, ou au contraire de torpiller (selon que l’on se place d’un côté ou l’autre de la barricade), cette alliance naissante qui pointait en réalité à l’horizon depuis quelque temps. Cette « avancée » israélienne intervient en outre alors que l’influence de la République islamique en Irak est déjà fortement contestée tant au niveau populaire que dans certains cercles du pouvoir en place. Il s’agit là d’une autre donne majeure qui marquera les développements de la nouvelle année. Au plan des rapports économiques, des relations d’affaires, du trafic de marchandises et du tourisme, il n’est pas difficile de deviner, dans un tel contexte, les multiples perspectives qui pourraient s’ouvrir au niveau bilatéral dès les prochains mois, notamment à la faveur du réaménagement du port de Haïfa.
L’année 2021 décidera dans une large mesure du sort de ces nouveaux horizons qui ne sont pas sans rappeler la vision que Shimon Pérès avait de la coopération économique qu’il prônait entre Israël et les pays arabes et qu’il soutenait par des propositions concrètes de projets de développement multilatéraux, dont l’autoroute de la Méditerranée.
Mais le plus important dans l’établissement de ces relations publiques et officielles boostées durant les derniers mois de 2020 par l’administration Trump est la portée psychologique de ce tournant stratégique. Un « interdit » est en effet tombé sur ce plan, en ce sens que les contacts bilatéraux directs et publics constituent désormais pour les populations arabes un fait devenu totalement banal. L’année 2020 aura été également marquée par la chute de tabous sur la scène locale. La contestation populaire enclenchée en octobre 2019 n’aura pas pris, certes, la tournure d’une révolution, la « thaoura », dont rêvaient (prématurément) nombre de jeunes, et elle s’est certes essoufflée à la suite de l’explosion du 4 août et sous l’effet des conséquences de l’effroyable effondrement économique et financier. Il n’en reste pas moins qu’elle a abouti à un résultat fondamental : elle joue désormais le rôle de ce que les Américains appelleraient un « watch dog », ou une instance de contrôle des agissements et des pratiques de la classe politique. À cet égard, le tabou qui a été brisé se manifeste par la dénonciation systématique, et très souvent agressive, des dérives des dirigeants et des responsables de la chose publique.
Ce que la contestation a réussi à réaliser c’est que nul n’est épargné par ce contrôle populaire et médiatique, et le fait réellement nouveau dans ce cadre est que le principal tabou qui a été brisé porte sur la stigmatisation sans aucune complaisance de la ligne de conduite du Hezbollah et la condamnation sans détours, dans les médias et (surtout) les réseaux sociaux, de la prise du pays en otage pour soutenir la politique expansionniste iranienne.
La chute respective de ces différents tabous pourrait offrir l’an prochain de nouvelles perspectives d’action à différents niveaux. Il s’agit là à l’évidence d’une condition nécessaire mais nullement suffisante. Car encore faut-il que les voies suivies en vue d’un éventuel changement ne reflètent pas des choix chimériques totalement déconnectés des réalités sociétales du Liban profond.
commentaires (6)
Si j’ai bien compris, le danger de guerre entre le Liban et Israël ne viendrait plus du village libanais Maroun-er-Rass, mais plutôt de la présence militaire israélienne dans l’un des petits Etats du Golfe persique, à quelques encablures d’Ormüz. Bonne année 2021 !
Un Libanais
20 h 14, le 31 décembre 2020