Le patriarche maronite Béchara Raï a fustigé pour le deuxième jour consécutif, à l'occasion de Noël, la classe politique au pouvoir, l'appelant à former un gouvernement d'experts non politisés sans plus tarder. Il a également estimé que, pour la population, le changement était devenu urgent, alors que le Liban ne cesse de sombrer depuis plus d'un an dans une grave crise politique, économique, financière et sociale. Les espoirs de la mise sur pied d'un cabinet avant la fin de l'année ont été douchés mercredi, alors que le gouvernement que doit diriger Saad Hariri est attendu depuis août, suite à la démission du Premier ministre sortant Hassane Diab dans la foulée de l'explosion meurtrière du 4 août au port de Beyrouth.
Selon un de ses conseillers, le chef de l’Église maronite est passé de l’espoir à la colère, mercredi, en apprenant l’échec de ses démarches des derniers jours pour obtenir qu’un nouveau cabinet soit formé avant Noël. Après l’entrée en force du patriarcat maronite dans le jeu des tractations, un accord semblait mardi se dessiner, notamment autour des ministères de l’Intérieur et de la Justice, dans une ambiance d'optimisme prudent. Mais l'entretien Aoun-Hariri de mercredi a anéanti ces espoirs. Le Premier ministre désigné a ainsi déclaré à sa sortie de Baabda qu'il y avait "encore des obstacles clairs" qui empêchent la formation du gouvernement. Il a exprimé l'espoir que le cabinet verra le jour après le Nouvel An.
"Il faut dire la vérité à la population"
"Nous pensions que les responsables allaient hâter la mise en place d'un gouvernement qui soit à la hauteur des défis, afin de ressusciter les institutions de l'État et qu'il prenne des décisions. Mais nous avons été surpris par les conditions et les contre-conditions ainsi que des standards nouvellement mis au jour, tout comme le fait de lier la formation du cabinet aux conflits régionaux et mondiaux. Nous sommes désormais sans pouvoir exécutif et l'effondrement s'amplifie. Les prérogatives, les critères et la répartition des portefeuilles sont importants, mais la population vient avant tout", a estimé le patriarche Raï.
"Si les raisons qui empêchent la formation du gouvernement sont d'ordre interne, il s'agirait d'une grande catastrophe, car cela serait la preuve d'un manque de responsabilité. Si les raisons sont d'ordre externe, la catastrophe serait encore plus grande car cela voudrait dire que l'allégeance (des responsables) n'est pas au Liban", a encore déploré Mgr Raï. "Dans les deux cas, la population sent que le changement est devenu urgent afin de mettre un terme à l'effondrement national".
"Nous avons souhaité tellement de fois que le président de la République et le Premier ministre forment une seule équipe au-dessus des divisions et qu'ils se libèrent, même temporairement, des pressions afin de former un gouvernement d'experts non politisés (...)", a martelé le patriarche. "Les conditions posées par certains ne sont pas valables en cette période et sont injustifiées lorsqu'il s'agit d'un gouvernement d'experts. Il faut dire la vérité à la population (...)", a conclu Béchara Raï.
Le chef de l'État Michel Aoun n'a pas assisté vendredi à la messe de Noël donnée par le patriarche, arguant de la pandémie du coronavirus, lors d'un entretien téléphonique avec Mgr Raï jeudi. Plusieurs responsables politiques et élus ont toutefois pris part à cette messe. Hier, lors de son homélie prononcée à la veille de Noël, le patriarche avait estimé que le processus de formation du gouvernement est revenu au point zéro.
"Notre pays est dans une impasse"
Le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Mgr Élias Audi, a lui aussi vertement critiqué la classe au pouvoir, l'appelant à former un gouvernement sans plus tarder. "Notre pays est dans une impasse, de l'aveu de tout le monde", a affirmé Mgr Audi. "Ses capacités financières sont saignées tous les jours, et les dangers sécuritaires planent, alors que la population meure au quotidien et lance des appels de détresse sans que personne ne réponde, parmi ceux qui sont au pouvoir. Jusqu'à quand continueront-ils d'ignorer cela ?", s'est interrogé le métropolite. "Pourquoi cette lenteur dans la prise de décisions essentielles, avec en priorité la formation du gouvernement ? Le temps n'est plus aux querelles et aux règlement de comptes. Il est temps de travailler avec acharnement pour sauver le pays (...)", a-t-il conclu.
Lors de sa désignation, le 22 octobre, Saad Hariri s'était pourtant engagé à former un cabinet de spécialistes indépendants. Mais ayant préalablement promis au tandem chiite Amal-Hezbollah de pouvoir nommer leurs ministrables, le CPL et le chef de l'État lui reprochent d'appliquer une politique des "deux poids deux mesures" et réclament donc de pouvoir également choisir leurs ministres. La volonté de former un gouvernement d'indépendants se base sur l'initiative française, qui avait été annoncée le 1er septembre lors de la visite du président français Emmanuel Macron à Beyrouth. En effet, la mise sur pied d'un cabinet "de mission" était la première étape d'une feuille de route reprenant les réformes cruciales attendues par la communauté internationale pour débloquer des fonds visant à sortir le Liban de la crise financière et économique aiguë qu'il traverse. M. Macron était attendu mardi dernier pour une troisième visite au Liban depuis août, mais il a dû annuler son séjour après avoir contracté le coronavirus. Son initiative est plus que jamais dans l'impasse, voir enterrée, selon certains observateurs.
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19 h 06, le 26 décembre 2020