
Le patriarche maronite, Béchara Raï, le 24 décembre lors de son homélie de Noël. Photo fournie par notre correspondante Hoda Chedid
Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a vilipendé jeudi, sans les nommer, les responsables politiques libanais alors que le Liban ne cesse de s'enfoncer dans une grave crise et que les espoirs de la naissance avant les fêtes de fin d'année d'un nouveau gouvernement attendu depuis août ont été douchés hier par le Premier ministre désigné, Saad Hariri, à l'issue d'un énième entretien avec le président de la République, Michel Aoun. Le patriarche Raï a dit regretter ces nouveaux développements, reconnaissant par là que le processus de formation du cabinet était "revenu au point zéro".
"C'est le premier Noël pour les proches des victimes depuis l'explosion du 4 août au port de Beyrouth, et ceux des victimes tuées par les armes illégales. Nous leur disons que nous partageons leur peine et prions pour eux, alors que l'enquête judiciaire tourne en rond", a déploré le chef de l'Eglise maronite, lors de son homélie prononcée à la veille de Noël. "Le peuple veut la vérité. Il veut que l'enquête aille en profondeur. Qu'allons-nous dire à plus de 200 victimes et plus de 6.500 blessés et 300.000 sans-abris ? Comment dédommager un pays dont le port a été anéanti, et sa capitale a moitié détruite ? Où allons-nous trouver les 15 milliards de dollars pour la reconstruction ? Et avec tout cela, nous n'avons pas de gouvernement, sans autre raison que les intentions malicieuses et destructrices. Il n'y a aucune excuse pour le retard dans la formation du gouvernement", a-t-il regretté.
"Etat ennemi"
Selon un de ses conseillers, le chef de l’Église maronite est passé de l’espoir à la colère, hier, en apprenant l’échec de ses démarches des derniers jours pour obtenir qu’un nouveau cabinet soit formé avant Noël. Interrogée par L’OLJ au sujet de la réaction du patriarche à la déclaration faite par le Premier ministre désigné à la fin de l’entretien qu’il venait d’avoir avec le chef de l’État pour le second jour consécutif, une source informée proche de Bkerké a affirmé hier à L’OLJ que le patriarche "a été très contrarié et profondément déçu d’entendre la déclaration de M. Hariri, surtout qu’on l’avait laissé croire que les choses avançaient dans le bon sens". Après l’entrée en force du patriarcat maronite dans le jeu des tractations, un accord semblait mardi se dessiner, notamment autour du ministère de l’Intérieur et celui de la Justice, dans une ambiance d'optimisme prudent. Mais l'entretien Aoun-Hariri de mercredi a anéanti ces espoirs. Le Premier ministre désigné a ainsi déclaré à sa sortie de Baabda qu'il y avait "encore des obstacles clairs" qui empêchent la formation du gouvernement. Il a dit espérer que le cabinet verra le jour après le Nouvel An.
"Cette crise existentielle n'aurait pas eu lieu sans la mauvaise gestion de cette classe politique qui dure depuis des années. Cette classe n'a pas compris que la politique est l'art de gérer les affaires d'un pays et d'une population. Elle en a fait un art au service de ses intérêts, dans le but de paralyser la vie publique et les échéances constitutionnelles et d'humilier la population (...)", s'est emporté le chef de l'Eglise maronite. "Face à cette réalité, nous ne pouvons que constater que cette classe politique dirige un Etat ennemi avec une population ennemie", a estimé le cardinal Raï, en référence à l'hostilité d'une grande frange du peuple à la classe dirigeante, surtout depuis le déclenchement de la révolte populaire du 17 octobre 2019.
"Point zéro"
"Nos responsabilités historiques nous ont poussé à entreprendre une initiative qui vise à inciter les responsables à former un gouvernement rapidement afin d'éviter l'effondrement total", a rappelé le patriarche Raï. "Dès les premiers instants, nous étions conscients des difficultés internes et externes, ainsi que d'autres difficultés occultes et provoquées pour bloquer le processus. Mais nous misions sur la conscience", des dirigeants, a-t-il affirmé. "Le principe était que personne ne monopolise les rouages du gouvernement, en violation de l'égalité entre les communautés. Le peuple, et nous-mêmes, réclamons un gouvernement d'experts immunisé face à la politisation et qui puisse mener un chantier de réformes pour ramener le Liban au sein de la communauté internationale", a souligné Mgr Raï. "Nous regrettons toutes les promesses qui nous ont été faites, car le processus de formation du gouvernement est revenu au point zéro", a reconnu le chef de l'Eglise maronite.
"Responsables, libérez le Liban des dossiers et des conflits régionaux, de vos calculs et de vos intérêts futurs et personnels", a encore plaidé Béchara Raï. "Il aurait été souhaitable que les responsables disent la vérité à la population, au sujet des raisons qui empêchent la formation du gouvernement. Le peuple a le droit de connaître la réalité dans laquelle il vit et son avenir. Certains dirigeants ont le courage de reconnaître leurs échecs. Que les autres aient le courage de réussir et d'être francs avec le peuple", a insisté le prélat maronite. "Malgré tout ce qui s'est passé, nous poursuivons nos efforts avec toute la force que nous avons et grâce à nos croyances et à la confiance du peuple. Nos efforts ne visent pas seulement à obtenir la formation d'un gouvernement, mais aussi à sauver le Liban, et nous allons le sauver", a-t-il conclu.
Lors de sa désignation, le 22 octobre, Saad Hariri s'était pourtant engagé à former un cabinet de spécialistes indépendants. Mais ayant préalablement promis au tandem chiite Amal-Hezbollah de pouvoir nommer leurs ministrables, le CPL et le chef de l'État lui reprochent d'appliquer une politique des "deux poids deux mesures" et réclament donc de pouvoir également choisir leurs candidats. La volonté de former un gouvernement d'indépendants se base sur l'initiative française, qui avait été annoncée le 1er septembre lors de la visite du président français Emmanuel Macron à Beyrouth. En effet, la mise sur pied d'un cabinet "de mission" était la première étape d'une feuille de route reprenant les réformes cruciales attendues par la communauté internationale pour débloquer des fonds visant à sortir le Liban de la crise financière et économique aiguë qu'il traverse. M. Macron était attendu mardi pour une troisième visite au Liban depuis août, mais il a dû annuler son séjour après avoir contracté le coronavirus. Son initiative est plus que jamais dans une impasse, voir enterrée, selon certains observateurs.
Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a vilipendé jeudi, sans les nommer, les responsables politiques libanais alors que le Liban ne cesse de s'enfoncer dans une grave crise et que les espoirs de la naissance avant les fêtes de fin d'année d'un nouveau gouvernement attendu depuis août ont été douchés hier par le Premier ministre désigné, Saad Hariri, à l'issue d'un énième...
commentaires (15)
"tutelle internationale est de mise" L'ONU peut facilement réssusciter une de ses composantes, justement le Conseil de Tutelle. (https://www.un.org/fr/sections/about-un/trusteeship-council/index.html) Evidement le Conseil de Sécurité fera ses vetos, et se comportera comme nos politiciens. Mais si Mr. A. Guterres essaies il pourrait peut-être réussir.
Achikbache Dia
12 h 48, le 26 décembre 2020