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Économie - Électricité

Le modèle d’EDZ : ce qu’il faut garder, ce qu’il faudrait changer

Une récente étude suggère aux autorités de peser l’ensemble des éléments à charge et à décharge concernant le fonctionnement de l’ancienne concession.

Le modèle d’EDZ : ce qu’il faut garder, ce qu’il faudrait changer

Les députés doivent décider aujour’dhui de prolonger ou non le contrat d’exploitation d’Électricité de Zahlé. Photo P.H.B.

Le Parlement se réunit aujourd’hui pour adopter plusieurs textes critiques en plein contexte de crise aiguë. Les députés devront notamment décider de donner ou non leur feu vert à une extension de deux ans du contrat d’exploitation – production et distribution – liant le fournisseur public Électricité du Liban (EDL) à la société Électricité de Zahlé (EDZ).

Autorisé par la loi n° 107 votée fin 2018, ce contrat a remplacé l’ancien régime de concession que détenait l’entreprise depuis 1923, alors arrivé à expiration. Mais si le sujet affecte en priorité les 70 000 foyers abonnés à Zahlé et 16 localités voisines, le modèle qu’elle incarne est très discuté dans un pays où le secteur de l’électricité doit être réformé.

D’autant plus que la société loue depuis 2015 à l’écossais Agrekko des unités de production produisant près de 60 mégawatts et s’est substitué aux propriétaires de générateurs privés pendant les heures de coupures imposées par EDL, dont les capacités sont trop limitées pour satisfaire la demande (un peu plus de 60 % selon plusieurs sources concordantes). « Décriée par le fournisseur d’État et le ministère de l’Énergie, cette initiative a été bien accueillie par les abonnés de la société, pour qui EDZ leur fournit du courant 24h/24, avec une double facture totale moins chère en comptant le courant produit par EDL qu’elle revend à ses abonnés, NDLR) », résume Marc Ayoub, qui travaille au sein de l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth.

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Avec Ali Ahmad (John F. Kennedy School of Government, Harvard University), Neil McCulloch (The Policy Practice) et Muzna al-Masri (Ebla Research Collective), Marc Ayoub est coauteur d’une nouvelle étude qui revient en détail sur les avantages du modèle d’EDZ, ainsi que les aménagements qui pourraient lui permettre de perdurer dans le cadre d’une décentralisation du secteur. L’étude, réalisée en partie avec des entretiens sur le terrain, a été publiée sous l’égide du programme Anti-Corruption Evidence (ACE) financé par l’agence gouvernementale britannique UKaid et est disponible en ligne.

Qualité de service et comptage net

« Avec Électricité de Jbeil, EDZ fait partie des anciennes concessions qui n’ont toujours pas rétrocédé les équipements à EDL. Sur les trois autres qui existaient, Aley et Bhamdoun ont été dissoutes après avoir transféré leurs actifs et la Qadicha existe encore en tant que société, son capital étant toutefois détenu à plus de 90 % par EDL », expose Marc Ayoub pour justifier le choix du sujet de l’étude. Parmi les autres raisons invoquées par les auteurs de l’étude figurent également l’importance de Zahlé et ses environs dans l’économie de la Békaa et sa position centrale sur les voies d’échanges commerciaux entre la Syrie et le Liban, ou encore le fait que ce dossier très médiatisé cristallise le débat entre les partisans et les opposants d’une décentralisation du secteur.

Parmi les points forts, les auteurs de l’étude soulignent que la popularité majoritairement sans réserve dont elle jouit dans les zones qu’elle gère est tout autant liée au fait qu’elle ait assumé un rôle de substitution des générateurs privés à un coût moindre pour l’usager qu’à la qualité de service qu’elle assure dans ses opérations de maintenance et de modernisation réseau. Une efficacité qui transparaît dans son taux de recouvrement les factures, qui affiche 100 %, tandis qu’EDL a confié en 2012 la gestion du réseau de distribution dans le reste du pays à des prestataires privés qui affichent d’importants retards dans certaines régions.

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Même constat au niveau des pertes techniques, qui surviennent sur le réseau de transport ou de distribution, qui atteint 5 % dans les zones gérées par EDZ selon l’étude. Pour EDL, ce taux atteint 16,5 % sur le réseau de distribution (les lignes de moyenne et basse tension) et de 4 % sur celui de transport (qui achemine l’électricité en haute tension des centrales vers les zones de consommation). En comptant les vols et les défauts de recouvrement, EDL affiche un taux de perte global de 37 %, selon l’étude.

Enfin EDZ s’est également distinguée avec la mise en place du système de comptage net sur l’ensemble de son réseau. Ce système de facturation permet aux abonnés qui ont par exemple installé des panneaux solaires de déduire de leur facture d’électricité l’énergie produite par leurs installations et qu’is injectent sur le réseau. Les auteurs de l’étude soulignent qu’EDZ comptabilisait pas moins de 8 MW d’énergie voltaïque sur son réseau (10 MW selon EDZ), ce qui représente autour de 10 % de ses propres capacités de production.

Rentabilité et transparence

Si ces performances contribuent aussi bien à entretenir la rentabilité de la société, malgré un coût global moins élevé pour les abonnés que dans le reste du pays (cette différence serait de 36 % en 2019, selon une moyenne calculée par la direction d’EDZ), les auteurs de l’étude rappellent toutefois que le modèle tient la route parce qu’EDL lui vend son électricité à perte, le prix étant subventionné. L’étude évalue le coût moyen de production du fournisseur d’État à une fourchette comprise entre 13 et 22 (en comptant les barges qu’EDL loue à Karadeniz) pour un tarif moyen de vente dont la moyenne basse est de 9 cents aux abonnés, via une grille tarifaire progressive avec plusieurs paliers de consommation.

Or selon la législation en vigueur, EDL est contrainte de vendre le kilowattheure à EDZ à un niveau inférieur (88,1 livres, soit 6 cents de dollars en prenant la parité de 1 507,5 livres pour un dollar, contre 50 livres avant 2019), ce qui lui permet de maintenir une partie de ses marges malgré la dépréciation de la livre, au détriment des finances de l’établissement public. Si le contrat d’exploitation qui a démarré début 2019 impose à EDZ de facturer séparément le courant d’EDL de celui qu’elle produit – et dont les tarifs sont fixés par le ministère de l’Énergie –, alors que la société avait adopté depuis 2015 un tarif médian, cette modification ne change toutefois pas fondamentalement cette donne. Contactée, une source à EDZ rejette la responsabilité de ces déséquilibres sur la gestion du dossier par l’État qui n’a pas modifié la tarification subventionnée d’EDL depuis les années 1990. Elle ajoute que le contrat de l’établissement public avec EDZ lui assure des rentrées d’argent que lorsqu’il distribue directement le courant, à quantités équivalentes d’électricité distribuée.

Le second problème majeur souligné par l’étude concerne la méthode de génération privilégiée par EDZ, qui loue des générateurs diesel relativement polluants pour un coût de production qui reste relativement élevé (25 cents le kWh contre 28 cents pour les générateurs classiques). En 2015, la direction d’EDZ avait justifié ce choix en invoquant l’incertitude concernant son avenir à trois ans de l’expiration de la concession et par la situation géographique de ses sites, en montagne, ce qui limite les possibilités d’approvisionnement en carburant compte tenu de la situation des infrastructures du pays. Mais pour Marc Ayoub, ce choix limite les économies d’échelle qu’EDZ peut réaliser par rapport aux générateurs privés classiques, malgré son nombre important d’abonnés. La source à EDZ insiste sur le fait que le choix des générateurs diesel était le meilleur à court terme, vu que le pays n’a pas la possibilité pour le moment de déployer facilement des centrales à gaz, moins polluantes et plus rentables.

Enfin les auteurs taclent l’absence de transparence de la relation existant entre EDL et EDZ, évoquant, en se basant sur une partie des entretiens réalisés, des « mécanismes et pratiques qui auraient pu être utilisés par la société pour favoriser la recherche d’une rente » que l’exploitation normale de son parc ne lui permettrait pas de générer. Ils reprochent également le fait qu’EDL n’ait pas réalisé d’audit sur les deux ans de contrat d’exploitation. Selon une source proche du dossier, EDL n’a d’ailleurs pas signé le contrat en invoquant le fait que le ministère des Finances ne l’avait pas non plus fait dans le délai d’un mois prévu. La question est revenue sur le tapis en novembre et le ministère des Finances s’est déclaré incompétent. La source à EDZ affirme, elle, que sa société n’a jamais refusé de se soumettre à un audit et qu’elle a rempli toutes les obligations fixées par le contrat.

« En conclusion, les autorités doivent peser l’ensemble des éléments à charge et à décharge concernant le fonctionnement d’EDZ dans le contexte actuel pour en garder ce qui peut être maintenu dans le cadre d’une réforme du secteur axée sur sa décentralisation », ponctue Marc Ayoub. Il regrette que les députés aient décidé d’ajourner une nouvelle fois le débat de fond sur le sujet en se contentant d’approuver, jeudi dernier en commission, un projet de loi qui préconise une extension de deux ans avec obligation de remettre le marché public en jeu via un nouvel appel d’offres.



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