Qu’attend donc le Hezbollah pour intervenir et tenter une médiation entre ses alliés qui s’entredéchirent ? Depuis que la formation du gouvernement semble avoir été gelée et que les conflits politiques s’enveniment entre les différentes parties, notamment celles qui sont censées être dans le même camp stratégique, cette question est sur toutes les lèvres.
Le Hezbollah, qui n’avait pas caché son appui à la désignation de Saad Hariri pour former le prochain gouvernement, contre la volonté du chef de l’État qui avait d’ailleurs prononcé un violent discours visant à responsabiliser les députés à la veille des consultations parlementaires obligatoires du 22 octobre qui avaient abouti au retour de Saad Hariri à la présidence du Conseil, ne mène jusqu’à présent aucune médiation. Comme s’il ne se sentait pas concerné par le processus de formation du gouvernement, alors que les différentes parties se lancent réciproquement des accusations de plus en plus violentes.
Le Hezbollah affiche aussi une indifférence totale face au conflit de plus en plus profond qui a éclaté récemment entre le président de la République et son camp d’un côté, le président de la Chambre et son camp de l’autre et qui se traduit par des déclarations enflammées à travers les médias affiliés à chaque partie. Au point que certains observateurs affirment que désormais les relations entre Aoun et Berry ont atteint un point de non-retour. Certes, le chef du CPL a essayé d’arrondir les angles, dans le cadre de l’entretien qu’il a accordé à L’Orient-Le Jour mardi, d’ailleurs repris par la chaîne NBN, mais le fossé reste profond entre les deux camps. Le président de la Chambre et son camp se sentent en effet directement visés par la campagne menée par le chef de l’État pour lutter contre la corruption, et en particulier par ce que Michel Aoun appelle « les obstacles posés face à la réalisation de l’audit juricomptable ».
À plus d’un niveau, les institutions publiques et les différentes parties politiques semblent donc en état de décomposition, sur fond de crise sociale et économique sans précédent. Toutefois, ce tableau particulièrement sombre ne semble pas affecter le Hezbollah ni le pousser à agir. Ni pour pousser à la formation du gouvernement ni pour instaurer un minimum de coopération entre Baabda et Aïn el-Tiné. D’autant que l’un des principaux griefs adressés par le CPL au Hezbollah consiste en ce qu’il appelle « l’édification de l’État », laquelle, à ses yeux, repose essentiellement sur la lutte contre la corruption, notamment au sein de certaines institutions.
Dans ce climat de crise aiguë, l’inertie du Hezbollah suscite les questions. Mais les sources proches du parti rejettent les accusations d’indifférence qui lui sont portées.
Pour ces mêmes sources, le Hezbollah estime que la formation du gouvernement, en dépit des accusations que se lancent réciproquement les différentes parties, est un problème qui dépasse le Liban. Cette question s’inscrit désormais dans l’équation régionale et internationale, la communauté internationale, États-Unis en tête, faisant pression pour que le Hezbollah soit écarté du gouvernement, en guise de premier pas vers l’affaiblissement de son influence dans le pays. Et le Hezbollah ainsi que l’axe dont il fait partie estiment qu’il n’y a pas de raison de céder à cette exigence, d’autant que cet axe n’est pas en train de perdre dans la région : la République islamique d’Iran a tenu bon face aux lourdes pressions exercées sur elle et finalement, c’est l’administration américaine qui change et le régime des mollahs qui reste. Au Yémen, Ansarallah (les houthis) sont sur le point de prendre la province stratégique de Ma’rib, alors que leurs missiles atteignent en profondeur le territoire saoudien. En Syrie, le régime est en place et plus personne ne parle de le renverser, les dernières frictions se limitant au nord de la Syrie que se disputent les Américains, les Turcs et les Russes. À Gaza, le Hamas et le Jihad islamique ont amélioré leurs capacités au point que les Israéliens ne peuvent plus mener une guerre contre ce territoire, poursuivent ces sources. En Irak, en dépit de toutes les tentatives pour l’affaiblir, al-Hachd al-Chaabi reste une composante essentielle du pays et ce sont les Américains qui sont en train de procéder au retrait de leurs soldats dans ce pays.
Enfin, au Liban, le Hezbollah reste une force considérable. S’il préfère ne pas intervenir dans les détails de la vie politique, c’est d’abord pour éviter tout enlisement interne dans des polémiques aussi inutiles qu’interminables. De plus, la priorité du Hezbollah au Liban est aujourd’hui d’aider son environnement, et la population en général, à tenir quelques mois (cinq ou six), avant que les effets de la nouvelle politique américaine dans la région commencent à se faire sentir. Le Hezbollah s’emploie donc à assurer à son assise populaire, et aux Libanais qui le souhaitent, les denrées alimentaires nécessaires, le mazout et l’essence, ainsi que les médicaments, à des prix préférentiels. Il compte ouvrir prochainement des coopératives pour mettre à la disposition des clients tous ces produits vendus à bas prix, ayant désormais accès aux réserves iraniennes mais aussi aux produits irakiens. Dans ce contexte, la politique n’est pas son premier souci, parce qu’il est convaincu qu’après l’entrée en fonctions de la nouvelle administration américaine, la tendance sera au dialogue dans la région. Ce qui aura forcément un impact sur la situation libanaise et devrait favoriser un déblocage politique au Liban. L’essentiel est donc de tenir jusque-là...
commentaires (13)
Excellent article. Merci pour cette analyse Mme Haddad .
nabil zorkot
22 h 50, le 17 décembre 2020