Les tractations entre les différentes parties prenantes devant tenter de débloquer le déclenchement du volet juricomptable de l’audit des comptes de la Banque du Liban (BDL) n’ont pas encore permis de savoir s’il sera effectivement mené à bien. C’est en tout cas ce constat qui se dessinait hier soir à l’issue d’une journée pourtant pressentie comme décisive pour l’avenir de cette opération, qui figure en tête de liste des réformes que le pays doit lancer pour convaincre les membres du Groupe international de soutien au Liban (GIS) et le Fonds monétaire international (FMI) de l’aider financièrement.
Alors que la BDL avait jusqu’au 3 novembre pour répondre à la demande d’informations complémentaires que lui a envoyée Alvarez & Marsal, le cabinet international mandaté pour s’occuper du volet juricomptable, son directeur James Daniell et le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni ont annoncé hier à l’issue d’une réunion à Beyrouth qu’une décision sera prise dans les 24 heures. L’auditeur a en effet dépêché une délégation au Liban pour la seconde fois depuis octobre afin de tenter de faciliter le déclenchement de l’audit juricomptable, qui doit permettre de retracer l’historique des transactions enregistrées par la BDL afin de détecter d’éventuelles fraudes.
Le secret bancaire n’est pas opposable
Réagissant aux appels du gouvernement sortant à fournir tous les documents et informations qui lui ont été demandés, le conseil central de la BDL a, lui, souligné dans un communiqué avoir remis au ministre des Finances tout ce qui était relatif à ses propres comptes. Il a également appelé le gouvernement à lui demander un relevé détaillé des autres comptes publics que l’auditeur a demandé à consulter afin de les relayer à ce dernier. « Cela permettrait à la BDL d’éviter de violer la loi sur le secret bancaire, qui est contraignante, et donc d’être soumise à des conséquences au niveau pénal », a précisé l’institution. La Banque centrale a enfin rappelé avoir fourni « tous les documents demandés » par KPMG et Olivier Wyman, les deux autres cabinets mandatés en même temps qu’Alvarez et Marsal et qui sont chargés d’autres aspects de l’audit.
Les arguments invoqués par la BDL ont une nouvelle fois été rejetés par la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm, qui les avait déjà adressés lundi dans un courrier à la présidence du Conseil des ministres. « Le gouvernement a décidé de lancer un audit juricomptable sur les comptes de la BDL et cette décision s’impose à cette dernière. Le secret bancaire (institué par la loi de 1956) ne couvre en principe ni les comptes de l’État ni ceux de la Banque centrale, qui sont publics par nature. Quant aux autres comptes qui seraient concernés par les demandes de la société, ils seront désignés par une référence codée, sans indiquer le nom du titulaire ou du bénéficiaire. La BDL ne se fonde donc sur aucun argument juridique valable pour refuser de les transmettre », a-t-elle déclaré à L’Orient-Le Jour.
La ministre a également jugé irrecevable le fait que la BDL considère qu’il lui faudrait attendre que le gouvernement lui demande des relevés de compte pour les transmettre à Alvarez & Marsal. « La BDL essaye de noyer le poisson pour gagner du temps en lançant la balle dans le camp du gouvernement. Or ce dernier s’est déjà formellement prononcé à trois reprises déjà : la première fois en décidant en mars de commander un audit des comptes de la BDL avec un volet juricomptable ; la deuxième fois en juillet, lorsque l’exécutif a choisi les trois sociétés qu’il souhaitait mandater à cette fin, dont Alvarez & Marsal pour le volet en question ; et enfin une troisième fois mardi, à travers la lettre envoyée par le Premier ministre sortant Hassane Diab au ministère des Finances pour enjoindre à la BDL de répondre aux demandes d’Alvarez & Marsal. » Il y a donc deux décisions d’un gouvernement de plein pouvoir et une demande expresse du Premier ministre – qui s’inscrit dans le cadre de l’exécution d’une décision prise en Conseil des ministres – qui ont déjà appelé la BDL à obtempérer. « Si son refus persiste, le gouverneur Riad Salamé sera alors sommé de justifier, avec des arguments solides, les raisons de cette obstruction », conclut la ministre.
Elle souligne que cet audit a été lancé « parce que la BDL a des pertes énormes inscrites à son bilan », ce qui constitue une des principales causes de la crise financière que traverse le secteur bancaire du pays. « Il faut savoir d’où proviennent ces pertes, et donc où a disparu l’épargne des Libanais (…) Toute obstruction ou tentative de placer le débat sur un autre terrain pour faire échouer l’audit engage clairement la responsabilité du gouverneur », a-t-elle ajouté.
Cinq cas de figure
Mandaté le 1er septembre dernier en même temps que KPMG et Oliver Wyman, Alvares & Marsal a effectué deux demandes préliminaires d’informations à la BDL afin de préparer le lancement de l’audit juricomptable à proprement parler. Selon des documents ayant fuité la semaine dernière par le magazine américain Forbes, la Banque centrale n’aurait répondu favorablement qu’à 43 % des près de 130 requêtes adressées.
Il y a cinq cas de figure possibles à ce stade. Dans un scénario idéal, la BDL se résout à envoyer toutes les informations demandées par Alvarez & Marsal pour que ce dernier puisse démarrer l’audit, ce qu’il devra faire en 12 semaines, soit 10 pour le rapport préliminaire et 2 de plus pour sa version définitive. Le cabinet encaissera alors la totalité des 2,1 millions de dollars fixés pour la prestation, sans compter les frais, plafonnés à 220 000 dollars.
Moins positive mais plus encourageante que d’autres, une deuxième alternative verrait la BDL transmettre une partie suffisamment importante des documents demandés pour que le cabinet puisse, bon an mal an, parvenir à élaborer un rapport suffisamment consistant.
Dans un troisième cas de figure, plus incertain, Alvarez & Marsal peut décider d’attendre les résultats des tractations effectuées dans les coulisses de la classe politique libanaise entre les voix qui appellent à ce que l’audit de la BDL, volet juricomptable inclus, soit mené à terme, et ceux qui sont plus méfiants voire hostiles à cette perspective. Dans une variante de ce scénario, la question pourrait être tranchée par le nouveau gouvernement que Saad Hariri doit former. Mais il n’existe actuellement aucune certitude que ce dernier aura la volonté politique de faire aboutir l’opération.
Enfin, si la BDL refuse de transmettre tout document supplémentaire, Alvarez & Marsal pourra soit jeter l’éponge, en empochant les 150 000 dollars prévus par le contrat (qu’il déduira sur l’acompte de 840 000 en principe déjà versé par l’État et qu’il devra donc rétrocéder), soit élaborer un rapport avec le peu d’information dont il dispose pour prétendre à la totalité de la rémunération fixée. Cette dernière possibilité, très dommageable pour la réputation du cabinet, a été exclue par la totalité des sources que nous avons contactées dans le cadre de ce dossier.
Mme Najm, pourquoi ce gouverneur de la BDL n’est pas démis de ses fonctions et poursuivi pour obstruction à la bonne marche du sauvetage et donc de la justice. Depuis quand et dans quel autre pays un employé de l’état peut s’octroyer le droit et décider lui même quels documents fournir ou pas alors que l’état par le biais des ministères concernés lui assène l’ordre de fournir toutes les pièces demandées pour que l’audit puisse mener à bien la mission pour laquelle il a été mandaté et payé ... Comment une chose pareille peut arriver dans un pays soit disant démocratique sans qu’aucune sanction ne soit prononcée à son égard? Qui est derrière lui pour lui donner les ordres? Toutes ces questions restent sans réponse. POURQUOI?
12 h 32, le 05 novembre 2020