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Société - Crise

La santé cardiaque des plus défavorisés mise en danger par la pénurie de médicaments

Le directeur de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri annonçait hier des admissions multipliées par deux de malades cardiaques. Une situation que nombre d’hôpitaux privés n’ont pas constatée pour l’instant, alors qu’ils menacent de fermer des lits.

La santé cardiaque des plus défavorisés mise en danger par la pénurie de médicaments

Dans un hôpital privé du pays, en temps de Covid-19. Photo DR

« En raison de la pénurie de certains médicaments, les admissions dans l’unité de cardiologie ont doublé. » L’alerte lancée hier par le directeur de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Beyrouth, le docteur Firas Abiad, ne peut que susciter l’inquiétude, dans un contexte de crise économique et financière aiguë, à laquelle vient se greffer la seconde vague de pandémie de Covid-19. Et ce alors que les autorités parlent de lever les subventions sur les médicaments, et qu’une importante partie de la population a effectué des stocks pour plusieurs mois. Le Dr Abiad précise que le nombre d’admissions en urgence au sein de l’unité de soins cardiaques a doublé en raison principalement de « défaillances cardiaques ». « Et pour cause, ces patients sont dans l’incapacité de trouver les médicaments nécessaires, notamment le Furosemide, un diurétique bon marché », déplore-t-il. À L’Orient-Le Jour, le docteur Abiad précise que « la situation est problématique », que « les choses vont en empirant ». Il se défend en revanche de toute volonté d’inquiéter la population. « Il est de mon devoir de la prévenir », martèle-t-il. « Je n’arrête pas d’entendre les patients me dire qu’ils n’ont pas pris leur médicament parce qu’ils ne l’ont pas trouvé. Ils arrivent alors aux urgences avec de l’eau dans les poumons », gronde le praticien qui constate que cette situation, auparavant visible uniquement au sein des populations réfugiées, est « désormais palpable au sein de la population libanaise ». « Le pire, c’est qu’il s’agit de médicaments peu chers, qui ne coûtent parfois que quelques milliers de livres libanaises », dénonce-t-il, évoquant « un système en décrépitude (de distribution du médicament) » et « un manque de confiance ». Et ce qui est encore plus grave, c’est que parfois, les alternatives à un médicament n’existent pas non plus, « au risque d’entraîner la mort de certains malades ». « Nous ne trouvons ni des remplaçants de la même famille ni des génériques. Est-ce parce qu’ils sont si bon marché ? » demande-t-il, en référence au trafic de médicaments vers l’étranger vu les prix ridiculement bas.

La mise en garde de la Société libanaise de cardiologie

La pénurie du médicament n’est pas récente. Elle continue de s’aggraver malgré les appels répétés du corps médical, au risque de mettre en danger la santé de la population. Il y a deux mois déjà, la Société libanaise de cardiologie tirait la sonnette d’alarme. Dans un communiqué, son président, le docteur Mohammad Malek, mettait en garde contre la disparition de certains médicaments du marché, comme le Lasix, un diurétique des plus basiques et des moins chers, ou le Cordarone, régulateur du rythme cardiaque. Contacté par L’OLJ, il préfère s’en tenir à ce communiqué. Il estimait alors que « la situation était critique et risquait de devenir irréversible ».

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Il dénonçait les lacunes d’un système de distribution déficient et les relations compliquées entre ses différents partenaires, ministère de la Santé, importateurs, distributeurs, grossistes, pharmaciens, patients… Relations qui ont permis notamment le stockage et la contrebande, entraînant la pénurie. Il rappelait que dans le monde, « les maladies cardiaques représentent la première cause de mortalité », et mettait en garde contre l’augmentation du nombre de morts au Liban, pour les mêmes raisons. Sachant bien entendu que le Covid-19 et la crise économique ont également empêché les personnes présentant des atteintes chroniques de se soigner correctement. La publication du communiqué a suscité un tollé. Mais deux mois plus tard, les inquiétudes du praticien semblent fondées. Et la classe la plus défavorisée est en première ligne.

Dans trois hôpitaux privés, un nombre ordinaire d’hospitalisations

« C’est en effet la classe très défavorisée qui souffre principalement de la pénurie de médicament, d’où la constatation du directeur de l’hôpital Hariri », commente pour L’OLJ le directeur médical de l’hôpital universitaire privé LAUMC-RH, le Dr Georges Ghanem. D’autant que « les médicaments qui manquent sont peu chers, mais essentiels pour soigner l’insuffisance cardiaque, l’hypertension, les troubles du rythme cardiaque notamment, qui sont très fréquents au Liban ». Sans compter que « les populations très pauvres n’ont pas les moyens de stocker les médicaments ». Par contre, le cardiologue note que « la classe moyenne parvient pour l’instant à contourner le manque de médicaments, en se procurant le nécessaire sur le marché ou à l’étranger, et en faisant des stocks ». C’est dans ce cadre qu’il ne constate « pas de hausse de l’hospitalisation d’urgence des patients cardiaques à l’hôpital LAUMC-RH ». Mais « une recrudescence des appels téléphoniques, des consultations cliniques, des passages aux urgences ». « Les patients craignent de se retrouver sans traitement médical. Ils sont perdus », constate le responsable. Il rappelle au passage, et en l’absence de statistiques, qu’une éventuelle hausse des maladies cardio-vasculaires pourrait être le résultat de la pandémie, vu la peur panique des gens de se rendre dans les hôpitaux, mais aussi parce que le mode de vie des Libanais a changé depuis le confinement. « Ils sont plus stressés, fument plus, boivent plus de café, mangent plus et plus mal, et font moins d’exercice physique, souligne-t-il. Nous pourrions donc fort bien assister à une augmentation du nombre d’hospitalisations pour problèmes cardiaques. »

Les patients ont continué à consulter

La situation est pareille à l’Hôtel-Dieu de France où les admissions au sein des unités de cardiologie de l’institution universitaire privée sont stables, comparées aux années précédentes à la même période. « Le flux des patients atteints d’infarctus ou présentant de l’eau dans les poumons est habituel en cette période de l’année », constate à L’OLJ le docteur Tony Abdel Massih, professeur associé de cardiologie et directeur de l’unité de l’insuffisance cardiaque. « Nous n’avons donc pas constaté de hausse des hospitalisations en cardiologie par manque de traitement », précise le cardiologue. Ce qui explique cette situation opposée à celle de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri, c’est que « le rythme des consultations médicales n’a pas baissé, sauf les trois premiers mois de la pandémie de Covid-19 ». « Les patients ont continué à consulter, même pour de simples check-up », affirme le praticien. Et « s’ils s’inquiètent de ne pouvoir se procurer leurs traitements, ils ont tous emmagasiné leurs médicaments pour au moins trois mois ».

Même son de cloche à l’hôpital Notre-Dame des Secours de Jbeil, où le directeur médical de l’institution universitaire privée, le docteur Ziad Khoury, constate, lui aussi, une stabilité des hospitalisations dans les unités de cardiologie. « Les patients ont certes peur de la levée des subventions sur les médicaments. Mais les alternatives existent, de même que les médicaments génériques, observe le responsable qui est par ailleurs chirurgien-orthopédiste. Donc, pour le moment, les hospitalisations en cardiologie n’ont ni doublé ni augmenté de manière importante. » « La pénurie du médicament ne se reflète pas sur le nombre d’hospitalisations », assure-t-il, se dépêchant d’insister sur le terme : « Pour l’instant. » Car nul ne sait de quoi sera fait demain, au Liban. Au même moment, tombait la menace des principaux hôpitaux privés de ne plus accueillir de patients dès la semaine prochaine, car ils sont incapables de fournir les traitements médicaux et chirurgicaux, en particulier en raison de la pénurie chronique dans leur stock…

« En raison de la pénurie de certains médicaments, les admissions dans l’unité de cardiologie ont doublé. » L’alerte lancée hier par le directeur de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Beyrouth, le docteur Firas Abiad, ne peut que susciter l’inquiétude, dans un contexte de crise économique et financière aiguë, à laquelle vient se greffer la seconde vague de...

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Le Liban est comme ce monsieur qui est tombé du dixième étage, et à chaque étage qu’il passe en tombant il se dit: jusque là ça va. Mais là, on arrive au rez de chaussée...

Gros Gnon

07 h 43, le 24 octobre 2020

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Commentaires (1)

  • Le Liban est comme ce monsieur qui est tombé du dixième étage, et à chaque étage qu’il passe en tombant il se dit: jusque là ça va. Mais là, on arrive au rez de chaussée...

    Gros Gnon

    07 h 43, le 24 octobre 2020

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