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Société - La thaoura, un an après

Pendant un an, le Liban face à lui-même sur le Ring

Des mois durant, c’est sur cette voie emblématique de la capitale que vont se cristalliser tous les espoirs et les revers de la révolution.


Pendant un an, le Liban face à lui-même sur le Ring

Une manifestante face à un contre-révolutionnaire muni d’un bâton lors des affrontements sur le Ring, le 29 octobre 2019. Photo AFP

« Ring ring, sakarna el-Ring. » 17 octobre 2019. Tout a commencé comme ça. Par une poignée de jeunes débarquant à la nuit tombée sur cette voie symbolique. Personne n’y prête vraiment attention avant que des milliers de protestataires ne convergent vers le cœur de Beyrouth. Dans le tunnel, des pneus s’embrasent. Des centaines de mobylettes débarquent sur le pont qui relie l’est à l’ouest de la capitale. Les klaxons donnent le tempo aux slogans, « Le peuple veut la chute du régime » ou « Thaoura », et les téléphones portables capturent ce moment qui, en quelques minutes, sort le Liban d’une profonde léthargie. Comme le dernier instinct de survie d’un patient déjà au stade terminal. Tout est parti d’une volonté du gouvernement Hariri de taxer les appels WhatsApp, mais cela n’a plus vraiment d’importance. Le Liban bouillonnait en silence depuis trop longtemps pour ne pas exploser. Tripoli, Saïda, Nabatiyé, Tyr, mais aussi Taalabaya, Bhamdoun et Kahalé, Jounieh et Zouk, Jbeil et Ghazir, se joignent à l’embryon d’un mouvement de contestation national. À la télévision et sur les réseaux sociaux, les nouvelles se répandent comme une traînée de poudre. Les premières images d’un pays qui s’embrase inspirent alors des sentiments contradictoires. Pour la jeunesse, c’est un cri de liberté impossible à contenir. Chez leurs aînés, traumatisés par la guerre civile, se décèle déjà la crainte que la situation ne dégénère à nouveau.


Une femme travaille sur son ordinateur depuis le Ring. Photo Hussam Chbaro


Pendant des mois, c’est sur cette scène qu’on appelle le Ring que vont se cristalliser tous les espoirs et les revers de la thaoura. Parce qu’il est le lieu historique de la fracture confessionnelle, de cette ligne verte qui séparait Beyrouth-Ouest de Beyrouth-Est, où les combats faisaient rage pendant la guerre civile. Parce qu’il est devenu aussi celui de la fracture sociale, entre le Beyrouth des (très) riches et celui des pauvres. « Ça s’appelait le Ring parce que c’est ici que les combats étaient les plus virulents. C’est un endroit stratégique. Les révolutionnaires se sont postés à l’endroit même où s’arrêtait la ligne de démarcation entre l’Est et l’Ouest, et on peut encore voir certaines fenêtres d’où tiraient les snipers », raconte Mounir*, un ancien combattant des Forces libanaises. L’axe n’est pas choisi par hasard. Bloquer le Ring, c’est figer une bonne partie de la circulation dans la capitale, notamment entre les différentes institutions étatiques.

La voie va être pendant des mois une scène vierge où différents décors et acteurs vont se succéder. En un rien de temps, elle passera d’un carrefour où aucun piéton n’a jamais mis les pieds à un QG de révolutionnaires baba cool, jusqu’à devenir le théâtre d’un début de guérilla urbaine.


Une femme manifeste face aux forces de l’ordre dans le centre-ville de Beyrouth, le 27 avril 2020. Photo Joao Sousa


« Les tambours, les danses, c’est quoi ces idioties ? »

Dès les premiers jours, Sam, Ali, Samer, Mia et les autres décident d’occuper les lieux. On installe un bureau, un canapé, des tapis, des matelas et même un réfrigérateur, et on rebaptise le territoire conquis à la craie blanche sur le bitume « Ring Plaza ». Il sera même proposé à la location gratuitement sur Airbnb. Des volontaires se relaient pour distribuer nourriture et eau aux protestataires qui dorment parfois sur place. Des artistes se mêlent à des étudiants, des chômeurs, des journalistes, et les voisins du quartier comme les commerçants ne voient pas d’un très bon œil tout ce charivari.

L'éditorial de Issa GORAIEB

Comptes d’octobre

« Quand ils ont installé leur salon, ils se sont mis à fumer du haschich, à danser, c’était honteux ! C’est à ça que ressemble une révolution ? » lance Tony Awaïss, un retraité de 70 ans. Son balcon, au premier étage de l’immeuble situé à l’angle du carrefour, offre un point de vue imparable… et les inconvénients qui vont avec. Pendant plusieurs mois, il ne ferme pas l’œil de la nuit. « Ya jar, nzal (voisin, descends) », lui lancent les contestataires avant de l’insulter dès qu’il tourne les talons. Les check-points improvisés attisent parfois les tensions entre les révolutionnaires et des automobilistes excédés. L’ambiance enfantine suscite les moqueries. « C’était des fils à maman et papa qui étaient venus pour danser et s’adonner à tout un tas d’activités  », estime Lana*, une manifestante. « Nous, les vrais révolutionnaires, étions à Riad el-Solh, dans le centre-ville. Quand il y avait du grabuge sur le Ring, c’est nous qui venions à leur rescousse. » « Les chants, la danse, le yoga, ça n’a pas duré. Ce n’était pas cela le Ring », nuance Mia, 30 ans, une architecte mobilisée dès les premières heures. À l’instar des autres places de Beyrouth, le Ring a d’abord été l’endroit où tous les Liban ont pris la rue. Transcommunautaire et transclasses, la voie rassemble des révolutionnaires venus de tout le pays. « Il y avait des gens qui n’avaient pas 10 000 livres en poche et d’autres qui venaient de milieux aisés », se souvient Mia. Un groupe WhatsApp, avec comme logo une bague (ring), est créé pour permettre aux révolutionnaires qui ont élu domicile sur l’artère de se coordonner, d’éviter des dérapages ou les tentatives de récupération politique. « Nous avions toujours peur que des partisans (politiques) se mêlent à nous. Nous ne voulions être associés à personne », insiste la jeune femme. Mais à quelques centaines de mètres, flottent des drapeaux des Forces libanaises. Les jeunes du Ring comprennent bien vite qu’ils ont été infiltrés par les partis traditionnels. Le spectre de la récupération politique plane déjà sur la révolution. Et le kellon yaané kellon (tous veut dire tous) ne passe pas auprès de tout le monde. Une partie des chiites quitte la rue sur les ordres du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.


Des contre-révolutionnaires brandissent des drapeaux d’Amal et du Hezbollah devant un barrage formé par l’armée sur le Ring, le 25 novembre 2019. Anwar Amro/AFP


À quelques encablures du Ring, le quartier de Khandak el-Ghamik, fief du parti Amal, est en ébullition.

« J’étais contre le blocage des routes dès le départ », confie Hussein*, 43 ans, garagiste. « Et puis, les tambours, les danses, c’est quoi ces idioties ? Cela fait sept mois que je suis au chômage, j’ai pas le temps pour ça », ajoute Zaher, 41 ans. « Qu’est-ce que tu as contre les danseuses ? » lui rétorque Hussein, un sourire sur les lèvres, en fumant sa clope. Quelques rues plus loin, Abou Ali*, un septuagénaire, joue aux cartes avec son acolyte. « Personne n’ose d’habitude s’approcher de notre quartier. Comment croire qu’un Tripolitain ait pu se permette de quitter son travail et venir jusqu’ici pour manifester, alors que nous, on peut à peine s’acheter une man’ouché à 2 000 livres ? » dit-il, après avoir hésité à évoquer le sujet. L’ombre de la guerre civile guette, et les théories du complot ne sont jamais bien loin. « Quand les Américains disent que les révolutionnaires ont des revendications, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est un feu vert pour leur dire de descendre dans la rue », estime Abou Ali. Des hypothèses farfelues alimentées par les partis traditionnels eux-mêmes, qui discréditent la spontanéité et la crédibilité de la mobilisation.

« J’avais très peur, surtout quand je voyais débarquer des camions pleins, des gars de Tripoli peut-être, avec de grosses barbes », raconte Tony Awaïss.


Des feux d’artifices lancés par les contre-révolutionnaires pro-Amal et Hezbollah contre les forces anti-émeute sur le Ring, le 14 décembre 2019. Anwar Amro/AFP


« On avait oublié ces gens... mais ils existent »

Le 29 octobre, des milliers de personnes ont les yeux rivés sur le discours retransmis en direct de Saad Hariri. Tout le monde retient son souffle... jusqu’à ce que le Premier ministre annonce la démission de son gouvernement. L’hymne national retentit dans les rues et est repris à pleins poumons par les manifestants. Feux d’artifice, klaxons et V de la victoire : la thaoura vient de remporter sa première bataille. Les visages s’illuminent, tout le monde s’embrasse. Quelques heures plus tôt sur le Ring, pourtant, on a évité le pire. « Tu reçois sur le groupe WhatsApp : hajamou (ils attaquent). Mais tu ne sais pas de qui il s’agit ni d’où ils arrivent, alors que tu es en plein dedans », se souvient Mia. Une horde de scooters en provenance de la banlieue sud et Khandak el-Ghamik surgit sur l’artère. Armés de bâtons et de couteaux, ceux qu’on qualifiera plus tard de « chemises noires » lancent des « Dieu, Nasrallah et toute la banlieue » ou des « Avec notre âme et notre sang, nous nous sacrifierons pour toi, Nabih ! ».

Commentaire

Vers un réalisme de combat

Pris de panique, les révolutionnaires se retranchent derrière les agents des Forces de sécurité intérieure et l’armée. Des femmes tentent de s’interposer pour former un barrage dans l’espoir de calmer les ardeurs. Le commando chiite frappe dans la masse sans distinction. « Je n’ai pas de quoi nourrir mon fils, et vous bloquez les rues », lâche en pleurs un homme qui vient de tabasser un contestataire avant de le prendre dans ses bras. Il ne reste plus rien du « Ring Plaza ». Les tentes installées sur la place des Martyrs et à Riad el-Solh brûlent sous les yeux des forces de l’ordre qui ne lèveront pas le petit doigt. Fin de partie. Et premier avertissement du Hezbollah et d’Amal. « Ils avaient commencé à insulter la religion (en s’en prenant à Hassan Nasrallah), c’est pour ça que je suis descendu avec les chabeb contre les révolutionnaires », se justifie Hicham*, âgé d’une vingtaine d’années et originaire de Khandak el-Ghamik. Gagnés par l’hubris du moment, les révolutionnaires s’imaginent pouvoir transgresser les tabous et sous-estiment les blocages. La suite des événements va progressivement leur dessiller les yeux. « Le Ring est devenu le lieu de la séparation des mentalités parce que des partis sont venus défendre le pouvoir. C’est ce qui a divisé l’intifada », se remémore Ramez al-Qadi, journaliste de la chaîne al-Jadeed qui a couvert les événements sur le terrain pendant toute cette période. « On avait oublié ces gens, mais ils existent, et on va malheureusement devoir faire avec », constate Rami*, un manifestant régulièrement présent sur le Ring. « Ces gens », « ces voyous », « ces chiites », d’un côté, « ces fils à maman », « ces sionistes » ou « ces islamistes de Tripoli », de l’autre : la rhétorique raconte la relation entre deux mondes qui ont manifesté ensemble durant les premiers jours, qui se ressemblent plus qu’ils ne le croient, mais qui ne se parlent pas. Ou en tout cas qui ne se parlent plus. C’est le début d’une partie de poker menteur à trois entre les révolutionnaires, les contre-révolutionnaires et les forces de l’ordre, qui va faire craindre le pire pendant des semaines. « Évidemment que tout cela m’a rappelé la guerre. Je traversais le Ring sous les tirs des snipers, il fallait être rapide et agile », se souvient Abou Ali. « Quand j’ai vu à la télévision les premiers heurts entre les gars de Khandak et les manifestants, j’ai eu des flash-back des images des combats. J’ai senti que rien n’avait changé, que personne n’avait rien appris », raconte Mounir, qui avait 17 ans lorsqu’il a pris les armes. Les révolutionnaires ont sous-estimé la force de l’histoire.


Des manifestants sur le Ring, le 31 octobre 2019. Joseph EID/AFP


« Certains ont perdu un enfant ou un proche durant la guerre, et pour eux, c’était quelque chose de très sensible de nous voir arriver sur le Ring. On l’ignorait parce qu’on ne l’a pas vécu », admet Perla Joe Maalouli, 28 ans, pour qui le Ring a été une « seconde maison » durant les premiers mois de la mobilisation. Les contestataires ne cessent de scander « Selmiyé, selmiyé » (pacifique), mais le mal est fait : un sentiment d’insécurité flotte désormais dans l’air.

« Ils nous ont torturés pendant plus de quatre heures »

Le 3 novembre, sur le beat de Madi K, « le DJ de la révolution » qui enflamme Tripoli depuis des semaines, des dizaines de milliers de manifestants antipouvoir se rassemblent dans le centre-ville pour le « dimanche de l’unité ». Tous réclament la formation d’une nouvelle équipe ministérielle composée de technocrates au plus vite. Mais loin des vendeurs de drapeaux et d’épis de maïs, l’ambiance sur le Ring est électrique. Les révolutionnaires, leurs opposants et les forces de l’ordre se regardent en chiens de faïence. Accusés de n’avoir pas protégé les manifestants le mois dernier, les policiers antiémeute font barrage. « J’ai osé m’approcher pour la première fois de ce mur, de cette cloison qu’ils formaient. Tu sens la violence qui se dégage et qui n’est pas ton langage », raconte Perla Joe. Il suffit d’un mot ou d’un geste pour que les choses dérapent et que des agents se ruent et se mettent à cogner férocement dans les premières rangées. « Je me suis agenouillée devant l’un d’eux et je l’ai supplié de ne pas me frapper. Il s’est effondré en larmes », confie l’activiste. Les forces de l’ordre sont tantôt le bouclier, tantôt le bourreau des révolutionnaires. En un mois, des dizaines de protestataires vont être interpellés dans des circonstances floues par les services de sécurité et l’armée. Samer Mazeh, lui, a tenté de fuir le grabuge avant de se faire rattraper par des agents des moukhabarate (renseignements) en civil dans une rue de Gemmayzé. Ce 14 novembre, il est emmené, les yeux bandés, avec un autre manifestant, Ali Bassil, dans ce qu’il décrit vaguement comme un terrain abandonné.


Les révolutionnaires sur le « Ring Plaza », le 28 octobre 2019. Photo Michel Sayegh


« On nous a forcés à nous agenouiller sur sol et on a pointé des armes sur nos têtes, avant de nous envoyer dans un centre de la sécurité intérieure. Nous avons été roués de coups, torturés pendant plus de quatre heures. On m’a même menacé de viol », raconte Samer. Durant une nuit entière, les photos des deux « disparus du Ring » vont circuler et déchaîner les réseaux sociaux, accentuant la pression sur les autorités qui les relâchent le lendemain. Samer, qui a quitté le Liban pour le Brésil en janvier dernier, continue de recevoir aujourd’hui des menaces en ligne.

L’ensemble du pays s’embrase, mais c’est à Beyrouth que les divisions se catalysent. En ce 25 novembre, la colère gronde dans la banlieue sud de la capitale et à Nabatiyé. Ce jour-là, les images d’une voiture heurtant une barre métallique au niveau d’un check-point à Jiyé, sur l’autoroute menant au Sud, avant de prendre feu, faisant deux morts, tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Différentes théories circulent, et la responsabilité de l’accident est tantôt imputée aux révolutionnaires, tantôt à l’armée. Dans la capitale, l’atmosphère se fait de plus en plus tendue en soirée. Les forces d’Amal et du Hezbollah envahissent une nouvelle fois le Ring pour attaquer les manifestants. « J’avais les mêmes revendications que les manifestants, mais je suis descendu contre eux parce que je suis contre les insultes, et ce quel que soit le zaïm », confie Zaher, de Khandak. Les blocs de pierre fusent et des bombes lacrymogènes sont lancées. On brûle des drapeaux israéliens en hurlant « Samir Geagea sioniste ! ». Ce à quoi répond l’autre camp : « Chabbiha, chabbiha! », « Ni à Hassan Nasrallah ni à Nabih Berry, Achrafieh est à Bachir Gemayel, et c’est tout ! » lance un homme au micro de la LBCI. Au milieu de la nuit, la confrontation prend une nouvelle tournure. Un convoi de « chemises noires » dévale dans les allées de la capitale à toute allure en scandant « Chiites, chiites », brandissant les drapeaux d’Amal et du Hezbollah. Sous les fenêtres des habitants apeurés, ils n’épargnent rien, de la rue Monnot à la place des Martyrs : voitures, vitrines, tentes… La scène dure des heures. Les forces de l’ordre s’interposent entre les jeunes révolutionnaires, auxquels se sont joints « les chabeb » des FL ou des Kataëb, et les jeunes chiites. Le pays retient son souffle. Mais ça n’ira pas plus loin. Le but est de faire peur, pas de déclencher une guerre civile. Cinq jours plus tard, une marche pleine d’émotion est organisée par des mères de famille des quartiers de Khandak el-Ghamik et de Tabaris, roses blanches à la main. Certains révolutionnaires mettent alors les pieds à Khandak pour la première fois de leur vie, ou presque.


Un homme blessé à la tête lors des manifestations en face de la mosquée al-Amine, le 27 avril 2020. Photo Joao Sousa


« Donnez-moi un briquet ! »

Six semaines se sont écoulées, mais on a l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. La révolution paraît déjà loin. La crise économique est partout. Naji Fliti, un tailleur de pierre de 40 ans, originaire de Ersal, n’a plus de quoi payer ses dettes à son entourage, ni même à la « dekkené » du coin. Alors, quand sa petite fille lui demande 1 000 livres pour s’acheter une man’ouché à l’école, il commet l’irréparable en se pendant. Il s’ajoute à une longue série de tentatives et de suicides à travers le pays. Pour Naji, Fatima, Dany et Mohammad, des bougies sont posées sur le Ring. Quinze jours plus tard, au même endroit, un jeune homme venu de Khandak el-Ghamik menace de s’immoler en s’aspergeant d’essence. La scène est filmée par un témoin. « Donnez-moi un briquet! » hurle un second, avant d’être tous deux sauvés par les révolutionnaires.

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Malgré la fatigue et la démobilisation, la flamme ne s’est pas éteinte

Cette période noire instille le doute dans les rangs. Après trois mois de contestation, la thaoura est dans l’impasse. Adoubé par le tandem chiite, le nom de Hassane Diab circule et fait débat : faut-il lui laisser sa chance ? L’absence de leader, qui a fait la force de la contestation à ses débuts, devient l’une de ses failles, exploitées par les zaïms pour discréditer le mouvement. La crise agrandit le fossé économique et social entre les Libanais. L’inaction des politiques alimente les frustrations, et les scènes de violence entre révolutionnaires, contre-révolutionnaires et forces de l’ordre dans le centre-ville deviennent quasi quotidiennes. Exit les lampions, les chansons patriotiques et l’euphorie d’octobre. La « semaine de la colère » marque le début de l’année 2020 qui s’ouvre, de nouveau, sur des jets de pierres et de grenades lacrymogènes, pneus en feu, canons à eau… Les blessés se comptent par centaines.

Trois mois ont passé. Puis le confinement général du pays, décidé début mars dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, met sur pause la contestation. La population est fébrile, épuisée, et aucun changement ne pointe à l’horizon. On espère que la fin de l’hibernation forcée relance le mouvement de contestation. Dans le centre-ville, on agite à nouveau les drapeaux libanais à coups de slogans révolutionnaires, mais les rangs des manifestants sont clairsemés. Les fourgons blindés des forces de sécurité stationnés aux abords des routes alentour se tiennent prêts à intervenir. Ce 6 juin, l’atmosphère dans la capitale est différente. Partout dans la ville, des affrontements à caractère sectaire éclatent. Ils s’articulent principalement autour de trois fronts : entre le Ring et Khandak el-Ghamik, entre les quartiers de Barbour et de Tarik Jdidé, et entre Chiyah et Aïn el-Remmané. En une fraction de seconde, la dernière image renvoie les Libanais 44 ans en arrière : c’est sur ce même croisement que l’étincelle de trop a plongé le pays dans une guerre civile longue de 15 ans. Triste ironie du sort, la date coïncide également avec l’invasion israélienne de 1982. Le passé, encore, étouffe le présent. D’autres manifestations suivront, mais elles resteront sporadiques.

Octobre 2020. Le Ring n’a que peu de traces du passage de tous les acteurs de la révolution. Le va-et-vient incessant des voitures y reprend son cours, un asphalte neuf recouvre les marques de brûlé et de nombreux tags sont effacés. Sur un panneau de signalement qui surplombe le carrefour, seul reste un graffiti aux couleurs nationales. Pourtant, l’air est lourd. Les stigmates de la double explosion du port de Beyrouth le 4 août sont visibles. Ce sera le coup de grâce d’une année chaotique. Quatre jours après le drame, des milliers de Libanais survoltés descendent dans les rues dévastées de la capitale, malgré les tirs de gaz lacrymogène, malgré les tirs tout court, crier leur haine contre les « criminels » qui mènent le Liban à sa perte. À quelques dizaines de mètres de là, les jeunes de Khandak se rassemblent pour former une barrière de sécurité afin de s’assurer que les manifestants ne s’approchent pas de leur quartier. Ils ont souffert eux aussi, pourtant, de la double explosion.

*Les prénoms ont été changés à la demande des témoins.

« Ring ring, sakarna el-Ring. » 17 octobre 2019. Tout a commencé comme ça. Par une poignée de jeunes débarquant à la nuit tombée sur cette voie symbolique. Personne n’y prête vraiment attention avant que des milliers de protestataires ne convergent vers le cœur de Beyrouth. Dans le tunnel, des pneus s’embrasent. Des centaines de mobylettes débarquent sur le pont qui relie...

commentaires (5)

Quelle honte !!!!!

Eleni Caridopoulou

18 h 33, le 17 octobre 2020

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Commentaires (5)

  • Quelle honte !!!!!

    Eleni Caridopoulou

    18 h 33, le 17 octobre 2020

  • SI LA CONTESTATION RESTE TELLE QUELLE ET NE SE TRANSFORME PAS EN REVOLUTION ORGANISEE AVEC DES RESPONSABLES ET UN COMITE, POUR SE DEBARRASSER DES MAFIEUX ET DES MERCENAIRES, CE SERAIT DE LA BLAGUE ET DE LA PERTE DE TEMPS ET FERAIT PLUS DE DOMMAGES ET DE CATASTROPHES QUE LES MAFIEUX ET LES MERCENAIRES AU PAYS EN FAILLITE ET AGONISANT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 05, le 17 octobre 2020

  • Les photos criant de vérité parlent d’elles mêmes. D’un côté des libanais qui portent le drapeau libanais et crient leur douleur et se battent pour leurs droits et en face des voyous qui portent des affiches à la gloire de leur on ne sait quel personage qui n’a rien à voir avec la cause qu’on défend pour leur barrer la route avec leurs bâtons et leurs fusils. Entre les deux , ces forces de l’ordre molles avec certains et sauvages avec les autres. tout est dit et on n’a même pas besoin de lire le contenu. VIVE LA RÉVOLUTION NOUS SOMMES TOUS DERRIÈRE VOUS. NE LAISSEZ PAS DES BREBIS GALEUSES S’INFILTRER DANS VOS RANGS BEAUCOUP DE FAUX REBELLES GÂCHENT LA FÊTE ET DÉTOURNENT L’ATTENTION DU VRAI BUT POUR DE FAUSSES RAISONS. L’ARMÉE A L’OBLIGATION ET LE DEVOIR DE PROTÉGER LES CITOYENS EN FORMANT UN CORDON DE SÉCURITÉ POUR ÉVITER L’INTRUSION DE TOUS LES VOYOUS. APRÈS TOUT CE SONT LES LIBANAIS QUI PAIENT LEURS SALAIRES MISÉRABLES ET NON LES POLITICIENS VÉREUX .

    Sissi zayyat

    11 h 27, le 17 octobre 2020

  • EN AVANT CITOYENS POINT DE REPIT SANS AVOIR DEGAGER LES MAFIEUX ET FAIT LES CHANGEMENTS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 35, le 17 octobre 2020

  • COMMENTER QUOI? LES AGENTS DE SECURITE DE BERRY QUI TIRE A BALLES REELLES OU EN CAOUTCHOU SUR LES YEUX DES MANIFESTANTS SANS QUE L'ARMEE S'INTERPOSE? LES MILICES DE HEZBALALH QUI ATTAQUENT IMPUNEMENTS LES REVOLUTIONNAIRES? UN PRESIDENT DE PLUS EN PLUS VIEUX ET DECOURAGE QUI NE SAIT PLUS DIRE NON A SON BEAU FILS , UN SACRE PERSONNAGE QUI A VOULU S'ACCAPPARER L'ENSEMBLE DES CHRETIENS DU LIBAN ET QUI EST LE PLUS HAII DES LIBANAIS AUJOURDH'UI UNE MASSE DE POLITICIENS VERREUX AIDES PAR UN PRESIDENT DE LA BDL QUI LES A LAISSER FAIRE POUR S' ENRICGHI HONTEUSEEMNT LUI MEME D'APRES BEAUCOUP DE SOURCES? LA VERITE M MACRON A DIT AVOIR HONTE DE NOS POLITICIENS, LES LIBANAIS VEULENT EN FAIT QUE TOUS LEURS BIENS SOIENT SAISIS ET QU'ILS REVIENNENT TOUS A CE QU'ILS ETAIENT EN 2005 EN REMBOURSANT CHAQUE CENTINE SUPPLEMENTAIRE ACQUIS DEPUIS CETTE DATE. LE BATON EST LA SEULE CHOSE QUI RESTE CONTRE EUX ET SI VOUS LES FRANCAIS ET LES AMERICAINS NE LE LEVERONT PAS, NOUS LES LIBANAIS NOUS LE FERONS CAR NOUS CROYONS A CETTE REVOLUTION ET A SON SUCCES

    LA VERITE

    03 h 15, le 17 octobre 2020

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