Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) Gebran Bassil a critiqué avec virulence mardi l'initiative lancée la semaine dernière par l'ancien Premier ministre Saad Hariri, qui s'était porté candidat à la présidence du Conseil avec la volonté de former un cabinet de technocrates pour une durée de six mois, estimant que seul un spécialiste pourrait diriger un tel gouvernement.
Dans un discours au ton martial, prononcé à l’occasion de la 30e commémoration du 13 octobre 1990, date de l’assaut syrien contre le palais présidentiel de Baabda à la fin de la guerre civile libanaise, le chef du CPL a tiré à boulets rouges sur de nombreuses formations, autant parmi ses alliés que ses adversaires politiques, à commencer par Saad Hariri. "Nous ne savions pas que (Emmanuel) Macron avait nommé un haut commissaire pour superviser son initiative et vérifier l’engagement des différents groupes par rapport à cette initiative", a lancé Gebran Bassil, en référence à Saad Hariri qui mène actuellement une série de concertations avec les partis politiques, afin de s'assurer une couverture suffisante, à deux jours des consultations parlementaires contraignantes. "Celui qui veut diriger un gouvernement de technocrates doit lui-même être technocrate, ou bien il doit laisser sa place à quelqu’un qui l’est. Celui qui veut former un cabinet politique doit être lui-même le responsable politique le plus approprié à cette tâche et celui qui veut mêler les politiques et les experts doit savoir comment le faire, sans prendre de haut ses interlocuteurs et sans effets médiatiques", a-t-il ajouté.
Pour s'assurer d'une "légitimité chrétienne", M. Hariri aura besoin des voix du CPL, si les Forces libanaises, qui se sont prononcées ces derniers jours en faveur d'un cabinet intégralement composé de spécialistes, venaient à ne pas le désigner. Pour tenter de rallier les chefs de file autour de l'initiative Hariri, une délégation de députés du courant du Futur a entamé aujourd'hui ses entretiens avec les principales formations, dont les FL. Demain, elle sera reçue au centre Mirna Chalouhi, à Sin el-Fil, par le bloc parlementaire de Gebran Bassil, et s'entretiendra avec le chef du bloc du Hezbollah, Mohammad Raad. Le chef druze du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, avait également critiqué la veille Saad Hariri et dénoncé une "violation flagrante de la Constitution", en commentant la mission menée par le leader du Futur afin de dégager un consensus politique autour de sa personne dans la perspective de la formation d’un gouvernement de technocrates, avant même sa désignation. Il avait dans ce cadre annoncé qu’il "refuse" de recevoir la délégation chargée par M. Hariri tout en laissant la porte ouverte à une rectification du tir qui se traduirait par une visite à Clemenceau du leader du Futur afin d'aboutir à un compromis.
Amendement constitutionnel
"Chaque fois que nous devons former un gouvernement, des problèmes surviennent, font perdre du temps et aboutissent à un échec", a déploré Gebran Bassil, accusant notamment certains d’avoir voulu "enfreindre la Constitution en inventant de nouvelles prérogatives et coutumes" politiques, "la dernière en date étant la tentative menée par un parti libanais de mettre la main sur un ministère", dans une allusion au tandem chiite Amal-Hezbollah qui réclamait de nommer les ministres chiites, notamment pour le portefeuille des Finances, au sein du gouvernement que Moustapha Adib a tenté, en vain, de former. Le leader du CPL s’en est aussi pris aux anciens Premiers ministres sunnites (Saad Hariri, Tammam Salam, Fouad Siniora et Nagib Mikati, qui avaient parrainé l’initiative de Moustapha Adib, NDLR) qui, selon lui, voulaient nommer eux-mêmes tous les ministres, "alors qu’ils ne bénéficient d’aucune majorité". M. Bassil a par la suite mis ces deux camps sur un même pied d’égalité, les accusant d’être "prêts à torpiller l’opportunité de sauver le pays en voulant conserver leurs acquis et leurs positions au sein du pouvoir".
M. Bassil a, dans ce contexte, estimé que l’opportunité existe aujourd’hui, non seulement pour sauver le pays à travers l’initiative française (de former un cabinet de mission pour débloquer les aides internationales), mais aussi à travers un amendement constitutionnel qui empêcherait toute vacance au pouvoir exécutif. Il a ainsi annoncé que sa formation allait présenter une proposition d’amendement de la Constitution visant notamment à obliger le chef de l’État à lancer des consultations contraignantes en moins d’un mois, le Premier ministre désigné à former son cabinet en un mois maximum et le Parlement à voter la confiance au nouveau cabinet dans un délai d’un mois après sa formation.
Virulente attaque contre les FL
Dans son discours, c’est à coup d’allusions que Gebran Bassil s’en est pris à son principal rival chrétien, les Forces libanaises, les accusant, sans les nommer, de vouloir "anéantir" son parti. "Nous nous préoccupons des Libanais et leur seul souci est de nous briser et de nous anéantir. Telle est l’équation qui se maintient depuis 1990", a-t-il dit, en référence à la guerre dite d’élimination que le fondateur du CPL, Michel Aoun, avait lancé cette année-là contre les FL alors qu’il était commandant en chef de l’armée. M. Bassil a mis en garde contre une répétition des mêmes erreurs, jugeant inacceptable que "quelqu’un s’acharne contre une société entière sans avoir rien appris" de ses erreurs passées. "Une telle personne est criminelle, sauf qu’un criminel tue un innocent. Quel qualificatif peut-on dès lors donner à un individu qui assassine toute une société à cause de ses caprices et de ses complexes psychologiques ?" s’est-il interrogé, avant de mettre en garde contre des manifestations douteuses de sécurité. "Parce que, a-t-il dit, nous avons constaté après le 17 octobre (2019) une certaine anarchie suspecte au plan de la sécurité. Celle-ci s’est manifestée tantôt par la présence de chambres d’opérations, tantôt par des coupures de routes, voire un déploiement et des défilés paramilitaires, pour arriver à l’incident de Mirna Chalouhi", a-t-il dit. Il faisait allusion au défilé organisé par des partisans FL à Gemmayzé pour la commémoration de l’assassinat de l’ancien président, Bachir Gemayel, le 14 septembre, ainsi qu’aux accrochages entre des partisans FL et CPL devant le siège du parti aouniste le soir-même. M. Bassil a mis en garde contre "une mainmise par la force sur la société chrétienne", reprochant à Samir Geagea, toujours sans le nommer, un "double langage qui ne passe plus".
La contestation et Washington
Le dirigeant aouniste est en outre longuement revenu sur les "attaques économiques et financières" que subit le Liban, qui traverse la pire crise de son histoire moderne. "L’année dernière, nous avions mis en garde contre un 13 octobre économique et beaucoup ont cru que cela nous ferait disparaître, mais ce n’est pas le cas", a-t-il souligné. Il a ajouté que "ni les menaces ni les sanctions" ne feront plier le parti, en allusion aux sanctions américaines ayant frappé au cours des derniers mois des alliés du Hezbollah.
"Le danger aujourd’hui est financier et économique et menace l’existence même du Liban", a déclaré le chef du CPL. "Nous devons faire face à une menace parmi les plus difficiles, une attaque contre notre peuple dans son pain quotidien, dans son emploi, dans ses dépôts et ses épargnes pour éduquer ses enfants", a-t-il dénoncé. "Il s’agit d’une confrontation totale, à travers les médias, l’argent, la politique et la guerre psychologique", a-t-il poursuivi, parlant dans ce cadre de "lavage de cerveau à travers des révolutions en partie artificielles et financées par l’étranger", en référence au mouvement de contestation lancé le 17 octobre et dont il était une des cibles principales. Gebran Bassil a aussi déploré "un phénomène de dérapage sécuritaire" qui a commencé après le 17 octobre 2019 et le début du soulèvement populaire. Et de souligner les risques que posent selon lui "les contestations chaotiques qui sèment le chaos dans les esprits". Et de préciser : "Je ne vise pas par là la mobilisation sincère que nous avons toujours soutenue, mais qui, malheureusement, ne s’est pas aidée et ne nous a pas aidés dans la guerre contre la corruption." Il a dans ce cadre appelé à "redynamiser la contestation mais sur des bases saines, visant à faire pression sur la justice pour qu’elle rende des jugements équitables, ainsi que sur les forces politiques pour qu’elles lancent des réformes".
Assurant que son parti a "le programme, la vision, la volonté et la capacité de mener des réformes", M. Bassil a souligné la nécessité de "changer la politique monétaire menée depuis 1990 et basée sur la stabilisation du taux de la livre et la hausse des taux d’intérêt" qui, selon lui, profite aux grands déposants. Il a proposé en retour "une baisse des taux d’intérêt, un financement de l’activité de prêts pour l’économie et une restructuration du secteur bancaire". Et de lancer, sans préciser à qui il faisait référence : "Nous ne pouvons accepter une personne qui, après trente ans, dit qu’elle veut conserver la même politique et les mêmes personnes et s’attend en même temps à des résultats différents de ce qui s’est passé, à savoir le pillage de notre argent et nos dépôts qui ont été envoyés à l’étranger." Et de finir sur un dicton : "Seuls les idiots font les choses deux fois de la même façon et s’attendent à des résultats différents."
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Quand on a rien à dire vaut mieux se taire
El Saad M
20 h 13, le 15 octobre 2020