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Société - Don d’organes

« Je n’aurais jamais pensé que je pourrais un jour tenir mon enfant dans les bras »

Née avec un utérus infantile, Reham Shehada a reçu celui de sa mère. Deux ans plus tard, elle donnait naissance à sa première fille, Aya, aujourd’hui âgée de près de neuf mois.

« Je n’aurais jamais pensé que je pourrais un jour tenir mon enfant dans les bras »

Khalil et Reham tenant leur petite fille Aya. Photo DR

« Jusqu’à présent, plus de huit mois après la naissance de ma fille, je sens que je vis toujours un rêve. Étant née avec un utérus infantile (utérus qui ne s’est pas développé, le corps est de petit volume et le col de petite taille), je n’osais pas espérer être maman. La greffe utérine a changé ma vie. » Reham Shehada, 27 ans, de nationalité jordanienne, est la première femme de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) à avoir reçu une greffe de l’utérus, une procédure toujours au stade de la recherche à l’échelle mondiale et dont le Liban, représenté par le Bellevue Medical Center (BMC), fait partie. Un protocole avait été signé à cet effet en 2016 entre le BMC et l’Université de Gothenburg en Suède, où cette technique a été développée. Les travaux de recherche se poursuivront jusqu’en 2023.

Pour Reham, l’aventure en vue de la maternité a commencé en 2016, peu après ses noces. « J’ai mis du temps à accepter la demande de Khalil en mariage, parce que je ne voulais pas le priver de son droit d’être père, confie-t-elle à L’Orient-Le Jour. Il avait tellement insisté et m’a dit de faire confiance à Dieu, que j’ai fini par céder. D’ailleurs, je ne pensais pas au mariage, parce que je savais que j’étais infertile. »

La jeune femme passait ses journées derrière son écran d’ordinateur à mener des recherches dans l’espoir de trouver une solution à son problème. Jusqu’au jour où elle tombe sur une information relative aux solutions à l’infertilité chez la femme. « Il y était question de greffe utérine, poursuit-elle. Je suis immédiatement entrée en contact avec la gynécologue interviewée dans cet article, Randa Akouri. C’est une Libanaise installée en Suède. Elle a demandé à me rencontrer au Liban. Au terme de la consultation, elle m’a annoncé que je pouvais bénéficier d’une greffe utérine. Je me suis emballée. »

Des conditions strictes

Comme toute transplantation effectuée au Liban, cet acte devait être approuvé par le Comité national pour le don et la greffe des organes et des tissus (NOD Liban), conformément à une procédure développée à cet effet. « Celle-ci tarde à faire l’objet d’une décision du ministère de la Santé », déplore Farida Younan, coordinatrice nationale de NOD Liban. « Nous avons étudié ce projet et l’avons soumis au Comité consultatif national libanais d’éthique qui n’a toujours pas tranché, ajoute-t-elle. Pourtant cette technique est bonne et peut profiter aux femmes qui, pour différentes raisons, ont des difficultés à tomber enceintes. À NOD Liban, nous avons posé une série de conditions strictes qui doivent être impérativement remplies pour que ce don puisse avoir lieu. Ces normes sont également susceptibles de protéger les droits de l’enfant à naître. »

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Celles-ci sont relatives au profil de la donneuse et de la receveuse, à l’évaluation psychologique du couple et de la donneuse, aux examens à effectuer, aux risques encourus, aux critères médicaux, au volet éthique, etc. Conformément à ces conditions, peuvent faire don de l’utérus uniquement la mère et la sœur de la femme ou du mari, à condition d’avoir moins de 57 ans et d’être ménopausée depuis moins de cinq ans. La receveuse doit avoir entre 21 et 36 ans. Cet acte ne peut pas bénéficier à une femme qui a déjà eu des enfants et qui, pour une raison quelconque, a dû subir une hystérectomie, ni à un couple passé par un divorce.

Une mère comblée

Reham a reçu l’utérus de sa mère. « Elle a vite accepté, se souvient la jeune femme. Par contre, ce sont mon père et ma belle-famille qui ont protesté au départ, d’autant que la procédure est longue surtout pour ma mère et qu’elle n’est pas dénuée de risques. »

En fait, le prélèvement de l’utérus est un acte chirurgical très délicat, nécessitant de la dextérité et plusieurs heures de travail. « La dissection des vaisseaux et des ligaments de l’utérus est très importante », explique le Dr Ghassan Maalouf, directeur médical et vice-président des affaires médicales au BMC. « Il est important de ne pas les endommager pour maintenir l’irrigation artérielle et veineuse », poursuit-il, soulignant que la donneuse encourt un risque d’hémorragie et d’embolie pulmonaire. « Nous suivons des protocoles qui permettent de limiter les complications, assure-t-il. Le plus gros risque reste le rejet de l’organe transplanté. »

Après s’être assurée auprès d’un cheikh que la religion ne s’opposait pas à une telle procédure, Reham s’est fait congeler les ovules en mars 2018. Deux mois plus tard, elle recevait la greffe. L’opération a été effectuée au BMC par une équipe libanaise formée à la procédure suédoise et menée par le Dr Joseph Abboud, président honoraire du département de gynécologie obstétrique, sous la supervision d’experts suédois dirigés par Mats Brännström, gynécologue obstétricien, et Randa Akouri, gynécologue.

« C’était une période difficile, mais je m’approchais de mon rêve, confie Reham. Je devais attendre neuf mois pour que l’utérus se stabilise et qu’on s’assure qu’il n’y a pas de rejet avant de pratiquer l’insémination artificielle. Finalement, j’ai attendu onze mois en raison d’une petite anémie, au cours desquels je me rendais chaque mois au Liban pour des examens routiniers. »

Une seconde grossesse

Reham était consciente que la fécondation in vitro (FIV) pouvait ne pas réussir dès le premier essai. Elle était prête à répéter la tentative. Quelle ne fut grande sa surprise lorsqu’une semaine plus tard, la grossesse a été confirmée. « J’étais folle de joie, dit-elle. Mon rêve allait finalement se réaliser. Pendant sept ans, je vivais dans le désespoir. Je cachais ma condition à mes proches et j’évitais le regard de mes amies qui se demandaient pourquoi je n’avais pas mes règles. Je refusais aussi tous les prétendants. Si Khalil n’avait pas insisté, je n’aurais jamais pensé à me marier. »

La grossesse s’est bien passée et le 13 janvier, treize jours avant la date prévue de la césarienne (obligatoire, afin de ne pas endommager l’utérus), Reham accouche d’une petite fille qu’elle a prénommée Aya. « Je suis une maman comblée, confie-t-elle. Je n’arrive toujours pas à croire ce qui se passe avec moi. Je prépare une seconde grossesse. Le 12 octobre, je me rendrai au Liban à cet effet. J’espère que la FIV réussira dès la première fois et qu’il n’y aura pas de complications, d’autant que je ne peux pas garder l’utérus plus de cinq ans. »

Une seconde transplantation a été effectuée au BMC sur une patiente qui a reçu l’utérus de sa belle-sœur. « Cette nouvelle technique est importante, d’autant plus qu’elle donne de l’espoir à 100 000 femmes du Moyen-Orient qui ont un problème d’infertilité, insiste le Dr Maalouf. C’est une grande réussite pour le Liban, le seul pays de la région MENA à la pratiquer. »

« Je n’aurais jamais pensé que je pourrais un jour tenir mon enfant dans mes bras. J’invite les femmes qui se trouvent dans ma situation à ne pas perdre espoir », conclut Reham.

« Jusqu’à présent, plus de huit mois après la naissance de ma fille, je sens que je vis toujours un rêve. Étant née avec un utérus infantile (utérus qui ne s’est pas développé, le corps est de petit volume et le col de petite taille), je n’osais pas espérer être maman. La greffe utérine a changé ma vie. » Reham Shehada, 27 ans, de nationalité jordanienne, est la...

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