Rechercher
Rechercher

Société - L’après-4 août

« Beyrouth nous a tant donné, nous lui devons de rouvrir en retour »

À Gemmayzé et Mar Mikhaël, la vie reprend lentement. Plusieurs pubs, cafés et restaurants accueillent à nouveau la clientèle, mais l’affluence reste encore timide.

« Beyrouth nous a tant donné, nous lui devons de rouvrir en retour »

À la tombée de la nuit, trois habitués de Gemmayzé se retrouvent autour d’un café. Photo João Sousa

Un air triste plane toujours sur les quartiers de Gemmayzé et de Mar Mikhaël, lourdement dévastés par la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août. Près de deux mois après ce jour tragique, la vie reprend lentement et timidement dans ces quartiers qui n’ont pas encore fini de panser leurs plaies. Les travaux de reconstruction vont bon train, parce que l’instinct de survie l’emporte. Mais la lassitude est palpable.

À la rue Gouraud, une poignée de cafés ont rouvert leurs portes. Jean s’affaire derrière le comptoir. « Un café ? » lance-t-il d’un ton jovial. Derrière le masque noir, on devine un sourire. « J’ai rouvert il y a dix jours, poursuit-il en préparant la boisson chaude. Curieusement, ça se passe très bien. D’habitude j’ouvre de 8 heures à 16 heures. Mais là, je reste jusqu’à 19 heures, parce qu’il y a du monde. Ce sont les habitués des lieux qui reviennent, même ceux qui ont dû quitter la région parce que leurs appartements ont été endommagés. Ils sont là soit pour prendre un café, soit pour maintenir les relations. »

Deux clients sont installés dans cette boutique-café qui ne peut recevoir plus de douze personnes à la fois. Sina, photographe allemande qui travaille au sein d’une ONG, sirote un thé tout en tapotant sur le clavier de son ordinateur. Un sourire lui éclaire le visage. « Ici, nous sommes comme une petite famille, dit-elle. Nous nous connaissons tous. » « Il y a des amitiés qui se sont forgées dans ce café, renchérit Jean, qui ne rate pas un mot de la conversation. Le jour de l’explosion, on s’est enquis les uns des autres. »

Sina habite Gemmayzé depuis plus de deux ans. Son appartement a été durement touché. « Cela fait presque deux mois que je loge chez des amis, raconte-t-elle. Mais hier (lundi), je suis revenue chez moi. Cela fait du bien, même si je ne me sens plus en sécurité. Gemmayzé est ma salle de séjour et ce café est ma seconde maison. J’y viens tous les jours. »

Lire aussi

Rouvrir, même timidement, bars et cafés, « pour que Beyrouth ne meure pas »

Elle ajuste son masque et range son ordinateur dans un sac à dos. « La vie reprend, ajoute Sina. Les gens se retrouvent. Ils prennent des nouvelles les uns des autres et parlent de l’explosion. C’est une thérapie de rue qu’on fait. Nous sommes heureux de rencontrer des gens qui sont restés en vie. Tout le monde est frustré. Mais il y a aussi de l’espoir. »

« Nous allons tout reconstruire, malgré la classe politique corrompue », martèle Jean. Il se sert d’une banane. « Je suis tiraillé entre mon cœur et ma raison, dit-il. Je voudrais rester ici, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à l’émigration. J’ai vécu douze ans à Dubaï, je pourrais éventuellement y retourner. Mais quand on rentre au pays après douze ans d’émigration, c’est pour y rester. Ils (la classe politique) ont tout détruit. »

Ville fantôme

Quelques mètres plus loin, un autre café affiche complet. Tous les clients sans exception travaillent en silence. « Nous avons rouvert il y a dix jours, explique Moustapha, un employé des lieux. Le travail se passe plutôt bien en journée. Mais le soir, Gemmayzé ressemble à une ville fantôme, d’autant que les voitures y sont interdites à partir de 17 heures. »

Heureux de retrouver son travail, il confie qu’il a « des sentiments mitigés ». « Je suis inquiet, révèle-t-il. On ne sait jamais quand tout partira de nouveau en éclats. On peut tout perdre en quelques secondes, comme en ce 4 août. Dans ce secteur, on ne se sent plus en sécurité. » Puis il se ressaisit : « Mais il ne faut pas se plaindre. Les clients reviennent. Même ceux qui ont été blessés. Certains d’entre eux ont tenu à s’installer sur la table où ils se trouvaient le jour de l’explosion. C’est fabuleux. De mon côté cependant, j’ai perdu tout espoir en ce pays. »

Omar, le propriétaire des lieux, apparaît. Un plâtre lui couvre toujours le bras gauche, qui a subi de nombreuses fractures le jour de la tragédie. « La vie reprend doucement, constate-t-il. Il faut que d’autres magasins rouvrent aussi leurs portes, parce que la communauté locale tient à revenir. D’ailleurs, c’est elle qui m’a encouragé à reprendre. Évidemment, l’affluence n’est pas ce qu’elle était avant le 4 août, mais il faut tenir bon. »

Omar habite Gemmayzé. Son appartement et le studio de yoga de son épouse ont également été soufflés. Mais il a tenu à tout reconstruire. « Ce n’est pas facile, alors que les défis sont nombreux, confie-t-il. Mais nous devons le faire pour insuffler une nouvelle vie à ce quartier. Beyrouth et Gemmayzé nous ont tant donné. Nous leur devons cela en retour. Surtout Gemmayzé, qui attire toutes les strates sociales et culturelles. Je ne veux pas perdre ce sentiment, ni ce moment. »

À Gemmayzé et Mar Mikhaël, les travaux de reconstruction se poursuivent. Photo João Sousa

« Nous ne pouvons plus pardonner »

Dans la rue, de petits restaurants ont rouvert. Les serveurs dressent les tables, rangent les chaises, dans l’attente d’un client qui tarde à se pointer. « Le travail va très mal, regrette Ahmad. Des journées entières passent sans que personne ne vienne. »

Plus loin, installée sur une chaise devant la devanture soufflée de sa boutique, Mireille bavarde avec une copine tout en supervisant les travaux. « La vie reprend bon gré mal gré, lance-t-elle, un sourire amer se dessinant sur le coin des lèvres. Il ne faut pas baisser les bras. » Elle ajuste son masque, fixe du regard le magasin et reprend : « C’était un magasin de produits artisanaux. Tout ce qui pouvait se casser a été soufflé. Les produits en tissu sont restés intacts. J’ai été chanceuse dans le malheur. Je ne peux pas me plaindre. »

Puis elle se lève d’un bond pour donner des instructions aux ouvriers. Son amie Liliane profite de ce bref moment pour s’assurer que l’explosion n’a pas fait de victimes de notre côté. Mireille revient. Elle se rassied. « Je n’ai plus le moral, dit-elle. Je reconstruis parce que je dois le faire. Je ne veux pas baisser les bras. La vie doit continuer. Mais je ne suis pas contente. Nous n’avons plus d’avenir. L’État corrompu nous étouffe. »

Quid des aides ? « Plusieurs ONG sont passées, répond-elle. On a recensé les dégâts, pris des informations, mais nous n’avons reçu aucune aide. Pour ne rien vous cacher, une seule ONG nous a un peu aidés. Les autres se sont fait de l’argent à nos dépens. »

Mireille ne tarit pas sur la corruption des responsables, ni sur la crise économique et financière. « Combien de fois devons-nous repartir de zéro ? Tout au long de la guerre, ils détruisaient et nous reconstruisions. Nous n’en pouvons plus. Et si nous avons le courage et la volonté de le faire, nous n’avons pas accès à notre argent pour le faire. Nous ne pouvons plus pardonner. »

Du côté de Mar Mikhaël, certaines rues sont toujours fermées à la circulation. Les pubs, cafés et restaurants ont rouvert, mais la vie n’a pas encore repris. « Le travail va très mal, déplore Ala’. Nous faisons quelques livraisons par jour. Mais personne ne vient sur place. »

Devant l’entrée d’un restaurant, Maha s’est servie d’un jus et d’une cigarette, en attendant le début de son shift. « L’affluence est timide, dit-elle. C’est normal, parce que la majorité de notre clientèle est locale et n’est pas encore revenue. Mais aussi parce que les gens sont encore sous le choc. Le soir, dans les pubs, le volume de la musique a baissé. On continue de faire son deuil et de panser ses plaies, tout en essayant de revivre. »

Un air triste plane toujours sur les quartiers de Gemmayzé et de Mar Mikhaël, lourdement dévastés par la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août. Près de deux mois après ce jour tragique, la vie reprend lentement et timidement dans ces quartiers qui n’ont pas encore fini de panser leurs plaies. Les travaux de reconstruction vont bon train, parce que l’instinct de survie...

commentaires (1)

Tous ont passé voir les dégâts, et les noter sur papier pour certains :Croix Rouge, Forces de Sécurité 2 fois, équipes de l'Armée. Mais en fait on ne sait pas comment ça se passe pour récupérer si possible, ce qu'on dépense pour reconstruire. On attend peut-être pour ne rien obtenir. Aucune de ces institutions n'a pu donner suite ou date à son constat des dégâts.

Esber

19 h 49, le 30 septembre 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Tous ont passé voir les dégâts, et les noter sur papier pour certains :Croix Rouge, Forces de Sécurité 2 fois, équipes de l'Armée. Mais en fait on ne sait pas comment ça se passe pour récupérer si possible, ce qu'on dépense pour reconstruire. On attend peut-être pour ne rien obtenir. Aucune de ces institutions n'a pu donner suite ou date à son constat des dégâts.

    Esber

    19 h 49, le 30 septembre 2020

Retour en haut