Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé mardi qu'il continuait de soutenir l'initiative française consistant en une formation d'un gouvernement au Liban dans les plus brefs délais afin de débloquer des aides internationales cruciales, réclamant toutefois un changement du ton et du mode opératoire. Deux jours après les propos extrêmement durs d’Emmanuel Macron à l’égard de la classe politique libanaise, Hassan Nasrallah a ainsi dit refuser que l'initiative de Paris "se transforme en mandat ou en tutelle", accusant le président français de se comporter comme "le gouverneur" du Liban.
"Nous saluons toujours l'initiative française (...) mais les intimidations du mois dernier ne doivent pas se poursuivre. Nous refusons que le président Emmanuel Macron se comporte comme le gouverneur du Liban", a déclaré Hassan Nasrallah. "Nous n'acceptons pas votre accusation de trahison (...) Nous rejetons et condamnons ce comportement condescendant", a-t-il ajouté, s'adressant au président français deux jours après le discours incendiaire de ce dernier, lors duquel il a accusé la classe politique libanaise de "trahison collective". M. Macron avait alors fait porter l'échec de la formation du gouvernement et de la récusation du Premier ministre désigné, Moustapha Adib, à l'ensemble de la classe politique et, nommément, au tandem chiite, composé du Hezbollah et du mouvement Amal.
"Nous avons accueilli favorablement l'initiative française, mais nous n'acceptons pas que celle-ci se transforme en mandat ou en tutelle", a encore dit le chef du parti chiite. S'il a dit être toujours "prêt au dialogue avec les Français et toutes les composantes politiques libanaises", il a dénoncé "l'intimidation" exercée au cours du mois passé. Le ton et l'approche doivent, selon lui, changer "sinon nous n'atteindrons aucun résultat".
La responsabilité du "club" des anciens PM
Revenant en détails, lors de son discours, sur les tractations gouvernementales, Hassan Nasrallah a reproché à M. Adib de n'avoir discuté avec aucun bloc parlementaire, "ni même avec le chef de l'Etat". Selon lui, l'initiative française "retirait au président une de ses plus importantes prérogatives".
Hassan Nasrallah a encore critiqué le fait que, malgré les concessions que son parti était prêt à faire, notamment en ce qui concerne la nomination de ministrables indépendants, les décisions concernant la formation du cabinet "étaient prises par le club" des anciens Premiers ministres sunnites (Saad Hariri, Tammam Salam, Fouad Siniora et Nagib Mikati, ndlr). "Ils ont laissé les blocs parlementaires, qui représentent les différentes confessions, de côté, et ont tenté d'imposer de nouvelles coutumes qui étaient contraires à la Constitution et au principe de la démocratie pourtant réclamé par le président français", a-t-il accusé. "Ce n'est pas un cabinet de mission, mais de fait accompli qu'on tentait de nous imposer. Il nous était demandé de livrer le pays aux clubs des anciens Premiers ministres, sans discuter et sans poser des questions, a-t-il lancé. Ceux qui ont voulu imposer leur gouvernement et marquer des points politiques qu'ils n'ont pas pu marquer ces dernières années sont ceux-là-mêmes qui ont fait échouer l'initiative", a-t-il poursuivi.
Et de lancer à l'adresse d'Emmanuel Macron : "Si vous voulez savoir qui a fait échouer votre initiative, cherchez du côté des Américains, avec leur politique de sanctions, et du côté du roi Salmane d'Arabie". Lors d'un discours incendiaire devant l’Assemblée générale des Nations unies mercredi dernier, ce dernier avait accusé le Hezbollah d’"exercer son hégémonie sur la prise de décision au Liban", et lui avait fait assumer la responsabilité de la tragédie du 4 août au port de Beyrouth.
"Nous avons peur pour le Liban"
Hassan Nasrallah a en outre relevé que l'initiative française ne précisait pas que le gouvernement devait être formé de quatorze ministres, avec une rotation des portefeuilles. Cette initiative française appelait à la mise sur pied d'un cabinet "de mission" restreint regroupant des spécialistes indépendants. Ce principe de l'attribution des ministères entre les différentes communautés avait été soulevé la première fois lors des consultations parlementaires non-contraignantes menées par Moustapha Adib.
"Nous devons être au sein du futur gouvernement afin de protéger la résistance et ce qu'il reste du Liban, que ce soit à travers des ministres partisans ou pas", a-t-il toutefois affirmé. "Nous avons peur pour le Liban et pour son avenir", a-t-il ajouté, soulignant notamment ne pas vouloir d'un cabinet "qui accepte sans négocier les termes du Fonds monétaire international (...) ou qui augmente la TVA".
Dimanche, le chef de l'Etat français avait assuré que l'initiative française restait d'actualité et donné un nouveau délai "de quatre à six semaines" aux autorités libanaises pour la formation du futur cabinet. Un délai qui expire donc après la présidentielle américaine, le 3 novembre, alors que certains observateurs accusent le Hezbollah de retarder la formation du gouvernement jusqu'à cette échéance afin de voir l'impact qu'aurait ce scrutin sur la politique locale et régionale, dans un contexte de tensions accrues entre Washington et Téhéran.
La "politique de terreur" de Macron
Le dignitaire chiite a en outre répondu aux différentes accusations lancées par le chef de l'Etat français à l'encontre du Hezbollah. "Nous n'acceptons pas d'être traités de traîtres et nous condamnons ce genre de comportement", a lancé le dignitaire chiite, rejetant également toute accusation de corruption. "Si les Français ont des dossiers de corruption incriminant des ministres du Hezbollah, qu'ils les soumettent à la justice", a-t-il ajouté.
"Le président Macron nous accuse de vouloir terroriser les gens, mais c'est lui qui utilise une politique de terreur sur les chefs de partis au Liban afin que le gouvernement soit formé", a-t-il déclaré. Le Hezbollah, avait lancé M. Macron, "ne peut en même temps être une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie, et un parti respectable au Liban. C'est à lui de démontrer qu'il respecte les Libanais dans leur ensemble. Il a, ces derniers jours, clairement montré le contraire". Et de poursuivre : "Vous avez un système de terreur qui s'est mis en place et que le Hezbollah a imposé et je le dis avec d'autant plus de clarté que je leur ai dit", avait-il clairement dénoncé.
Aïn Qana : silence radio
Hassan Nasrallah a brièvement évoqué la situation le long de la frontière entre le Liban et Israël. Il a toutefois occulté de son discours la question de l'explosion mystérieuse de Aïn Qana, au Sud, du 22 septembre. Selon les médias, cette déflagration est survenue dans un bâtiment appartenant au Hezbollah, soit le domicile d'un responsable du parti, soit un dépôt d'armes. Au cours de la semaine écoulée, ni le parti chiite ni les autorités libanaises n'ont commenté cet incident.
Revenant par ailleurs sur les événements ayant secoué le Liban-Nord ces dernières semaines, le leader chiite a appelé "tous les Libanais" à se tenir aux côtés de l'armée et des familles des "martyrs" de la troupe. Il a souligné que ces événements ont eu lieu alors que l'organisation jihadiste Etat islamique a repris ses activités notamment en Syrie et en Irak, accusant les Etats-Unis d'avoir provoqué cette "renaissance" du mouvement extrémiste afin de justifier sa présence militaire dans la région. Depuis plusieurs semaines, une série d'incidents sécuritaires ont marqué l'actualité au Liban, notamment après l'assassinat à Kaftoun (au Liban-Nord), de trois agents municipaux. Suite à ce crime, les forces de sécurité et l'armée ont remonté la piste d'une cellule terroriste jihadiste active au Nord, dont ils ont, dans un premier temps, tué le chef, Khaled el-Tellaoui, et arrêté trois membres, avant de mener des affrontements contre d'autres éléments armés de ce groupe le week-end dernier, à Wadi Khaled. A l'issue de cette bataille, neuf terroristes ont été tués.
commentaires (39)
Ce doigt que tu nous montres?? . Eh bien oui... C'est bien ce que tu penses.
LE FRANCOPHONE
20 h 36, le 30 septembre 2020