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Un savon et des bulles

Pour les cancres, il n’y a pas trente-six manières de répondre au savon carabiné que vient de passer, à la classe tout entière, un maître d’école sorti de ses gonds. Le plus lymphatique choisit de faire le dos rond, comme si de rien n’était. Pas moi, M’sieu, pleurniche un autre, chouchou de la direction, osant jouer les victimes innocentes, alors même qu’il traîne une belle réputation de chapardeur compulsif. Fausses accusations, s’indigne vertement le troisième, pourtant déjà sanctionné pour le même travers. Mais c’est toujours du caïd de la classe – vous savez, celui qui a toujours en poche un canif ou un lance-pierre – que la population écolière attend la riposte la plus insolente.


Or c’est là que Hassan Nasrallah surprenait son monde en réagissant avec un calme olympien, hier, à l’implacable réquisitoire prononcé, l’avant-veille, par Emmanuel Macron, contre les responsables libanais. Le chef du Hezbollah a rejeté avec hauteur, bien sûr, les accusations d’obstruction, et de reniement de la parole donnée, dont était l’objet le tandem chiite. Mais tout en prêtant de sombres arrière-pensées à ses rivaux politiques sunnites, dans le pilotage de l’ancien Premier ministre désigné Moustapha Adib, il s’est dit invariablement ouvert aux efforts de conciliation français. Cette retenue toute relative pourrait s’expliquer par la gêne certaine dont souffre la milice chiite depuis la meurtrière explosion du 4 août dans le port de Beyrouth et des rumeurs insistantes auxquelles a donné lieu l’incroyable pagaille sécuritaire régnant sur ce site : gêne qu’est venue accentuer l’explosion, il y a quelques jours, d’un arsenal du Hezbollah inconsidérément implanté dans un village du Liban-Sud…


Toujours est-il que le pensionnaire de l’Élysée a usé d’un ton exceptionnellement dur pour fustiger une classe dirigeante pratiquement assimilée à une association de malfaiteurs. Pour ces corrompus, ces traîtres à leurs engagements, Macron a dit n’éprouver que honte (à l’instar de nombreux Libanais qui ont rougi pour eux bien avant lui, il doit constater maintenant que ces personnages ignorent ce que signifie seulement le mot de honte !). Pour dénoncer les jeux assassins de la politique et de l’argent, il a relevé par ailleurs les dérives d’un secteur bancaire qui avait fait les beaux jours du Liban. Il n’a pas craint, non plus, de rappeler à son devoir de célérité un président libanais régulièrement lent à engager le processus constitutionnel visant à doter le pays d’un nouveau gouvernement. Mais c’est bien le tandem Amal-Hezbollah qui a essuyé le plus gros du courroux français, la milice pro-iranienne se trouvant accusée de recourir à l’intimidation, et même à la terreur, pour imposer ses volontés.


Ce qui tranche cependant avec toute cette fougue justicière et punitive, c’est le soin qu’a apporté le chef de l’État français à exonérer diplomatiquement l’Iran de toute ingérence dans les affaires libanaises, faute de preuves ; or ces preuves, c’est Nasrallah lui-même qui les a étalées plus d’une fois – qui le faisait à demi-mot hier encore, en claironnant l’assistance militaire et financière que lui prodigue Téhéran. Voilà donc une fiction nouvelle dans la fiction française d’une branche politique du Hezbollah distincte de son jumeau classé terroriste.


On peut tout aussi bien déplorer l’éventualité, évoquée par Macron, d’une renégociation du pacte national, pourtant impensable sous la menace du fusil milicien. Quant au délai de quatre à six semaines octroyé à l’establishment politique libanais pour engager les réformes exigées, il expire, comme à point nommé, à la date du scrutin présidentiel aux États-Unis. Voilà qui laisse fâcheusement croire qu’en dépit de toute la bonne volonté qui l’anime, l’initiative française a perdu la partie face au grand bazar irano-américain sur l’avenir de cette partie du monde.


Six semaines c’est bien long, à l’ombre d’un gouvernement démissionnaire apparemment promis à un nouveau bail. Et dont l’expédition des affaires courantes se limite à regarder galoper frauduleusement, impunément, vers la Syrie, des convois entiers de ces carburants subventionnés et déniés au consommateur libanais.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Pour les cancres, il n’y a pas trente-six manières de répondre au savon carabiné que vient de passer, à la classe tout entière, un maître d’école sorti de ses gonds. Le plus lymphatique choisit de faire le dos rond, comme si de rien n’était. Pas moi, M’sieu, pleurniche un autre, chouchou de la direction, osant jouer les victimes innocentes, alors même qu’il traîne une belle...