«Poursuivez le menteur jusque dans ses derniers retranchements », souligne en substance le célèbre dicton populaire libanais. Emmanuel Macron a fait le pari audacieux de l’appliquer au cas particulier de la formation de Hassan Nasrallah. Le chef de l’Élysée a posé à cet égard, lors de sa conférence de presse de dimanche dernier, la bonne question : « Au fond, le Hezbollah est-il vraiment aussi un parti politique ou ne procède-t-il que d’une logique dictée par l’Iran et par les forces terroristes qui sont les siennes ? » Le président français a ajouté, fort à propos : « La question pour les représentants du Hezbollah au Parlement, en tant que force politique, est de clarifier leur jeu. Vous ne pouvez prétendre être une force politique d’un pays démocratique en terrorisant par les armes, et vous ne pouvez être autour de la table durablement si vous ne tenez pas vos engagements. »
Le chef de l’Élysée place ainsi le Hezbollah au pied du mur et le presse de faire son choix : être un parti libanais, dans toute l’acception du terme, en respectant ses engagements, ou être un simple instrument aux mains de la République islamique iranienne et donc de continuer à faire le jeu des pasdaran dans la région. En septembre 2018, Samir Geagea avait déjà fait un appel du pied au Hezbollah dans le même sens, l’invitant, dans un discours public devant ses partisans, à « revenir au Liban, dans tous les sens et à tous les niveaux » (entendre politiquement et « idéologiquement », pour agir sur le seul terrain libanais). Un appel qui était resté évidemment sans lendemain…
Nul responsable politique, étranger ou libanais, avant le président français dimanche, n’a adressé au Hezbollah un message aussi fort, aussi franc, aussi direct et cinglant. Emmanuel Macron a été très clair en soulignant sans ambages qu’il prenait le risque de jouer la carte de la « politisation » et de la « libanisation » du parti pro-iranien. Un obstacle majeur persiste toutefois : les calculs, les préoccupations et le projet politiques de ce parti sont loin d’être libanais. Sa démarche ainsi que sa perception des enjeux actuels ne s’inscrivent nullement dans un cadre local mais sont placées au service de l’expansionnisme régional des pasdaran. Pour le Hezbollah, le Liban n’est qu’un pion sur le vaste échiquier moyen-oriental des gardiens de la révolution iranienne. De ce fait, la série d’épreuves incommensurables endurées par les Libanais depuis plus d’un an, les coups de massue qu’ils ne cessent de recevoir de toutes parts ne sont que des dommages collatéraux devant le grand projet perse.
La doctrine du parti, élaborée au milieu des années 80, stipule explicitement que pour toute question d’ordre stratégique (telle que le sort de la carte libanaise, à titre d’exemple), la décision est du ressort exclusif du guide suprême de la révolution iranienne. Rien d’étonnant, par voie de conséquence, à ce que les dirigeants du Hezbollah n’aient pas respecté leur engagement pris à la Résidence des Pins. Ils ont d’ailleurs déjà adopté une attitude obstructionniste similaire par le passé lorsqu’ils ont renié leur signature apposée au document de Baabda, en 2012, quelques jours seulement après l’avoir avalisé au cours d’une réunion élargie des leaders du pays au palais présidentiel. Sans compter la violation de l’engagement pris lors de la conférence de Doha, en 2008, portant sur le non-torpillage du gouvernement d’union nationale formé après l’élection de Michel Sleiman à la magistrature suprême.
Emmanuel Macron n’ignore certainement pas de telles réalités. Il sait sans doute que le déclic du torpillage et la clé du déblocage se trouvent très malencontreusement entre les mains des pasdaran. Mais il l’a précisé dimanche, il ne désespère pas d’amener le Hezbollah à ne pas opter pour la politique du pire. En clair, pour le sabotage du modèle libanais, de la formule libanaise. Cela implique qu’en tant que président de l’une des grandes puissances mondiales, il détient des cartes qui devraient « convaincre » les mollahs iraniens, et par ricochet le directoire du Hezbollah, de jouer un rôle constructif sur la scène libanaise. Il s’agirait en quelque sorte de pouvoir leur faire des « propositions qu’ils ne peuvent pas refuser ».
L’autre voie envisageable, en théorie, serait d’amener le parti de Dieu à n’avoir d’autre choix que de s’engager dans une véritable révolution « culturelle », ou plutôt idéologique, en coupant le cordon ombilical avec le régime des mollahs à Téhéran et en abandonnant dans sa doctrine le principe de l’allégeance inconditionnelle au wali el-faqih, le guide suprême iranien. Mais il s’agirait là sans doute d’un pas de géant que la formation de Hassan Nasrallah ne semble pas encore prête à franchir pour opérer un « retour au Liban ». À moins que les pasdaran ne soient, eux, forcés de se livrer à leur propre remise en question en mettant un terme à leur projet expansionniste fondé sur l’exportation de la révolution islamique. C’est sans doute là que se trouve en définitive la véritable source de la solution.
commentaires (6)
Ni en 2008,ni en 2012, ni en 2020. Ils ne tiennent pas paroles, même écrites. Un élément aggravant la situation actuelle, c'est un président qui ne contrarie jamais leurs projets, pourtant, c'est son devoir qu'il vient, pour comble, de nous le rappeler depuis 2 jours: il restera jusqu'au dernier jour de son mandat, fidèle à ses prérogatives selon la Constitution.
Esber
18 h 34, le 29 septembre 2020