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Nos Lecteurs ont la Parole

Elle s’appelle Beyrouth « l’oiseau de feu »...

Beyrouth, le 4 août 2020, la capitale libanaise ressemblait aux enfers, aucun mot ne peut décrire cette horreur, le Liban et le monde entier sont sous le choc. C’est l’apocalypse à Beyrouth. Le visage de ma ville natale est complètement défiguré après une double explosion qui a rasé le vieux port de la ville, âgé de plus de 2 500 ans, où transitaient 80 % des importations du pays. C’était une énorme explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées depuis 2013 dans le port de Beyrouth sans aucune mesure de précaution. Corps gisant au sol, immeubles éventrés, carcasses de voitures, les sirènes incessantes des ambulances : Beyrouth est déclarée ville « sinistrée ». Sans aucun doute, cette explosion est parmi les plus grosses explosions non nucléaires de l’histoire, faisant plus de 190 morts, 6 500 blessés et près de 300 000 sans-abri. Elle a engendré également un cratère de 43 m dans le port.

Les Libanais dévastés par cette explosion meurtrière dénoncent d’une seule voix la corruption et l’hypocrisie de leurs dirigeants. Le drame du 4 août, qui a touché ce pays multiconfessionnel et politiquement fragmenté, n’a fait que raviver la colère de son peuple contre toute la classe politique du pays jugée corrompue. Au lendemain de cette catastrophe, la rage est évidente dans les rues de la capitale. À chaque fois que les Libanais pensent avoir touché le fond, ils ont droit à encore pire. Cette explosion est venue balayer un pays déjà touché par une série de crises majeures allant de la crise économique et financière d’une ampleur jamais vue à celle d’une pandémie de Covid-19. Le pays voit les conditions de vie de ses habitants se dégrader rapidement.

Les autorités libanaises doivent définir d’urgence les zones détruites comme des zones à sécuriser afin de protéger les biens restants des personnes habitant ces lieux. Cela apparaît cruel envers les habitants qui dorment devant leurs maisons détruites, mais inévitable afin d’empêcher les vols. En 2006, lorsque la banlieue de Beyrouth a été bombardée par Israël, les personnes sans domicile ont été logées pendant un an gratuitement en attendant que leurs maisons soit reconstruites. Les autorités libanaises et étrangères doivent donc assumer leurs responsabilités envers les Beyrouthins sans domicile et leur trouver un logement provisoire. Les Libanais ont leur dignité et méritent le respect.

Lorsque le Liban était plongé dans la guerre civile, Nadia Tuéni disait sur Beyrouth : « Ville sept fois détruite, sept fois reconstruite. Puis encore détruite. De mémoire d’homme cette fois. Mais Phénix. Véritable métonymie du pays qui l’englobe. »

La ville de Beyrouth a été durement frappe depuis qu’elle a été fondée vers 5 000 av. J.-C. Sa place stratégique dans les échanges mondiaux à l’est de la Méditerranée et au Proche-Orient, entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe a servi de terrain de conflits entre les différentes nations. S’ajoute à cela un autre chapitre destructeur, la guerre civile libanaise. Malgré toutes ces tragédies vécues, elle reste la ville des rires, des martyrs, des larmes, la ville forte. Beyrouth ne renonce jamais et se relève après chaque tragédie. Aujourd’hui, après l’émotion, la population beyrouthine passe à l’action, elle panse ses plaies et celles de sa ville.

Selon un rapport de l’Unesco, près de 8 000 édifices, de toutes époques, ont été détruits ou endommagés. Parmi ceux-là, 640 sont des bâtiments historiques. La plupart de ces bâtiments touchés se trouvent dans les vieux quartiers de Gemmayzé, Mar Mikhaël, Achrafieh, Khandak el-Ghamik et Zokak el-Blat. Tragiquement, soixante de ces édifices risquent aujourd’hui de s’effondrer, a alerté l’Unesco. L’explosion a également eu « un impact sur les grands musées, tels que le musée national de Beyrouth, le musée Sursock et le Musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth, ainsi que sur les espaces culturels, les galeries et les sites religieux ». Suite à la demande de soutien émise par le ministère de la Culture, l’Unesco a annoncé l’engagement de la communauté internationale à accorder une aide d’urgence de 250 millions d’euros pour la reconstruction du patrimoine beyrouthin. De plus, l’institution onusienne coordonne la mobilisation des organisations culturelles pour prendre les mesures d’urgence nécessaires.

Le 12 août, et afin d’éviter que les promoteurs immobiliers profitent de la catastrophe pour chercher à acquérir des lots exceptionnels à bon compte, Nabih Berry, le président de la Chambre des députés, a fait adopter par les ministres des Finances et de la Culture les mesures nécessaires afin d’empêcher toute saisie, vente ou inscription au registre immobilier de tout bâtiment ou bien immobilier classé au patrimoine pour toute la période de reconstruction. Le ministère de la Culture demande « de toute urgence » de prévoir les travaux de consolidation et d’imperméabilisation afin d’éviter que les dégâts ne s’aggravent avec les pluies d’automne. Au final, en quinze ans de guerre civile, ces quartiers avaient moins subi d’avaries que pendant les quelques minutes de déflagration.

Cette explosion a provoqué, après les scènes de dévastation et de panique, un élan de solidarité important. De manière émouvante et incroyable, nombre de personnes étaient dans la rue, sans se connaître, et s’entraidaient pour sortir de la crise. De façon plus large, nous demandons aux autorités libanaises de rédiger un livre d’histoire commun à tous les Libanais sur leur pays à travers ses cinq sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce livre sera utile car il retracera l’histoire riche de cette terre complexe. Il faut que nous préservions ces sites en danger à cause des guerres, du mauvais entretien, du manque d’intérêt et de l’urbanisation rapide. Ces phénomènes menacent de destruction et de disparition notre richesse culturelle. Ces sites fournissent des indications précises sur l’histoire de notre pays et ils sont géographiquement diversifiés : deux sites sur la côte (Tyr, Byblos), deux sites dans la plaine (Baalbeck, Anjar) et un site dans la montagne (Cèdres et Qadicha). À cette liste s’ajoute Sidon, la troisième plus grande ville du Liban, dont le centre historique fait partie de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1996.

La préservation de notre patrimoine et de notre mémoire est une garantie pour l’avenir du Liban.


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Beyrouth, le 4 août 2020, la capitale libanaise ressemblait aux enfers, aucun mot ne peut décrire cette horreur, le Liban et le monde entier sont sous le choc. C’est l’apocalypse à Beyrouth. Le visage de ma ville natale est complètement défiguré après une double explosion qui a rasé le vieux port de la ville, âgé de plus de 2 500 ans, où transitaient 80 % des importations...

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