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Nos Lecteurs ont la Parole

Éloge au soldat de l’ombre

Je voudrais rendre hommage ici à un homme discret et à travers lui à tous ses confrères, soldats inconnus de notre profession.

Aux chirurgiens – par leur témérité et le panache de leurs gestes – les lauriers. Aux médecins – par leur présence continue et leur écoute – la reconnaissance éternelle. Aux pathologistes et radiologues – par leurs yeux de lynx et leur mutisme – l’attention fugace au détour d’une signature au bas d’un rapport.

Longtemps relégués aux sous-sols des hôpitaux, nimbés des vapeurs de formol et entourés d’organes confits dans des solutions nauséabondes, les pathologistes n’avaient pas bonne réputation. C’est par hasard que j’ai atterri pour quelques semaines dans l’antre du Dr Gédéon. C’était un homme d’une autre époque, d’une courtoisie extrême et d’une culture magistrale. Qualités qui à l’époque étaient difficilement appréciables par une génération élevée dans les abris. Dans un silence de cathédrale, du bout de son objectif, il arpentait, des heures durant, les microns de l’infiniment petit, traquant dans des paysages aux mille nuances de rose et bleu et n’ayant rien à envier aux toiles impressionnistes l’intrus qui lui permettrait d’affûter un diagnostic et donc un traitement.

Titulaire d’une chaire d’enseignement, l’amphithéâtre ne lui rendait pas justice. Mais dans le cocon de son bureau, il se révélait un excellent passeur pour peu qu’il eût reconnu une oreille attentive. Il ne ménageait alors ni son temps, ni sa science, ni même son humour qu’il balançait mine de rien au détour d’un exposé et qu’il fallait attraper au vol tellement le trait était fugace et inattendu.

La vie ne l’avait pas ménagé et les épreuves s’étaient enfilées dans un chapelet qu’il égrenait avec un stoïcisme à toute épreuve. Les derniers temps, il constatait avec un détachement clinique les pannes de ces organes qu’il avait étudiés dans leurs détails les plus infimes. L’explosion du 4 août qui a détruit, et son domicile et son quotidien bien huilé et si rassurant l’a finalement libéré d’un corps qui l’entravait. Il a retrouvé enfin la terre de son village de Aytoulé, et ceux qu’il aimait et qui l’avaient précédé.

Je voudrais rendre hommage à cet homme discret qui a fait beaucoup pour sa profession avant que les séries américaines ne la sortent de l’anonymat et ne la lustrent d’un certain prestige. Je voudrais rendre hommage à cet homme discret qui, à l’âge d’or de la médecine libanaise, mérite d’avoir son nom au panthéon des grands avec les Mohasseb, Saadé, Bitar, Ghossain, Riachi… et que l’on m’excuse si j’en oublie.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je voudrais rendre hommage ici à un homme discret et à travers lui à tous ses confrères, soldats inconnus de notre profession.Aux chirurgiens – par leur témérité et le panache de leurs gestes – les lauriers. Aux médecins – par leur présence continue et leur écoute – la reconnaissance éternelle. Aux pathologistes et radiologues – par leurs yeux de lynx et leur mutisme –...

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