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Culture - Disparition

Lady Cochrane, en son palais intérieur

Lady Cochrane, en son palais intérieur

Lady Cochrane vivait dans un palais d’une finesse extraordinaire dont elle était, elle, le plus fin bijou. Photo DR

Il fallait adresser quelque chose d’essentiel à une femme qui a vécu dans l’essentiel. Yvonne Sursock-Cochrane est partie discrètement, le 31 août, des suites de blessures provoquées par l’explosion du 4 août. Projetée sur le sol, grièvement blessée aux jambes, ce sont des hémorragies impossibles à opérer qui ont eu raison de son grand âge. Celle qui a défendu les belles demeures de Beyrouth et du Liban, qui a réveillé les Libanais à la beauté de leur culture architecturale, est partie. On la connaît bien dans ce rôle apprécié. On sait moins sans doute que Lady Cochrane nous a laissé sur le tard, en 1998, un recueil de poème, autrefois (Dar an-Nahar), que son ami Ghassan Tuéni a préfacé.

Elle y avait déjà pressenti l’agonie du Liban : « Douceur d’un jour d’automne/ Flottant sur l’abîme/ D’une contrée mourante/ Déchiquetée par des hommes/ Inconscients de leurs crimes/ Population aveugle futée et ignorante/ Saccageant le passé / Assassinant l’avenir. »



Elle parlait sans doute, navrée, des vieilles demeures qui disparaissaient l’une après l’autre sous les pelleteuses des entrepreneurs. Mais elle savait aussi que ces disparitions étaient l’image de ce qui se passait spirituellement dans « une contrée mourante ». Que ce qui se perdait irréparablement, ce n’était pas seulement les pierres, les lambris, les arcades et le marbre, mais le « palais intérieur » que chacun de nous porte en lui et qui, sous l’effet de l’insouciance et du manque d’entretien, se délabre. Voilà le grand dommage humain que nous avons laissé se produire, celui d’une culture du paraître au détriment de l’être.

Le palais intérieur de Lady Cochrane était comme tout palais doit l’être, un lieu d’accueil et de partage. Le trait dominant de sa poésie est sa tranquillité, son pacifisme. Certes, la nostalgie est là, très forte, très présente, quand elle évoque, et elle le fait souvent, « les cendres délaissées de bonheurs perdus ». Mais elle se manifeste dans un lieu de source, un lieu où l’eau manque… et ne manque pas. Un lieu où, comme dans les oasis, l’eau est précieuse et rare.

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« Le Liban renaîtra de vos rêves semés »

Celle qui a habité le plus beau palais de Beyrouth vivait surtout dans la cellule du cœur, la cellule que chacun porte en soi, et où il donne rendez-vous à sa vie et à Dieu. Celle où il partage avec l’autre le pain et le sel de la frugalité de l’âme à laquelle « il aurait suffi d’une rose » ; une cellule pleine de souffrance retenue ; une cellule où les questions demeurent sans réponses, mais rayonnent d’une paix inaltérable.

« Je m’en irai dans un fracas de rêves éteints./ Et parmi l’indifférence de tous les miens/ Seigneur ouvrez bien grandes/ Les portes de la mort/ …Que votre souffle rédempteur/ Me pousse avec douceur/ Aux sources inépuisables de l’amour éternel. »

Dans certains de ses vers remontant à 1975 se retrouvent des accents inoubliables qui la rapprochent de Fouad Gabriel Naffah :

« Les rêves ensevelis sous vos paupières closes/ Renaîtront peut-être au souffle des saisons/ Dans le parfum des fleurs nouvellement écloses/ Et le murmure des brises dans les frondaisons. »

Le recueil autrefois commence par le fac-similé d’une page écrite par Yvonne Sursock-Cochrane en hommage « à tous ces jeunes qui ont donné leur vie pour le Liban ». Elle y affirme : « Le Liban renaîtra de vos rêves semés/ À même la terre où vous vous êtes couchés/ Et la moisson sera telle que vous l’aurez voulue/ Ô tendres mais inflexibles enfants de l’absolu. »

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Tranquillité, pacifisme, tenue et retenue. La poésie d’Yvonne Sursock-Cochrane est à son image. Même quand elle est audacieuse, même quand le désir ou le regret – qui est un désir conjugué au passé – s’y montrent, s’y confessent, elle reste retenue. Comme toute confession, elle a lieu à voix basse. Ainsi se demande-t-elle « si l’eau de la mer garde trace de l’étreinte ».

Lady Cochrane vivait dans un palais d’une finesse extraordinaire dont elle était, elle, le plus fin bijou. Car la beauté des personnes transcende de loin celle des choses. Son départ est l’un des signes que laisse derrière elle une catastrophe qui a sonné la mort d’un Liban construit sur les sables mouvants de la vénalité.


Il fallait adresser quelque chose d’essentiel à une femme qui a vécu dans l’essentiel. Yvonne Sursock-Cochrane est partie discrètement, le 31 août, des suites de blessures provoquées par l’explosion du 4 août. Projetée sur le sol, grièvement blessée aux jambes, ce sont des hémorragies impossibles à opérer qui ont eu raison de son grand âge. Celle qui a défendu les belles...

commentaires (1)

Une lady dans le dernier rempart orthodoxe vient de disparaître . Les Sursock et trois autres familles intrues mais imposées par les ottomans sur cette belle colline de Rmeil , certaines ont laissé de mauvais souvenirs et d’autres comme Lady Cochrane, en son palais intérieur était unique en son genre .

Antoine Sabbagha

16 h 54, le 03 septembre 2020

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Commentaires (1)

  • Une lady dans le dernier rempart orthodoxe vient de disparaître . Les Sursock et trois autres familles intrues mais imposées par les ottomans sur cette belle colline de Rmeil , certaines ont laissé de mauvais souvenirs et d’autres comme Lady Cochrane, en son palais intérieur était unique en son genre .

    Antoine Sabbagha

    16 h 54, le 03 septembre 2020

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