On reprend les mêmes et on recommence. La formation du nouveau gouvernement n’en finit pas de buter sur les obstacles habituels et règlements de comptes entre les parties concernées. Et ce sont justement ces manœuvres qui auraient poussé le leader du courant du Futur Saad Hariri à annoncer son retrait de la course pour la présidence du Conseil, mettant ainsi le mandat du président et ses alliés au pied du mur.
Quinze jours après la démission de Hassane Diab, et à l’heure où les milieux proches de Baabda espéraient la tenue des consultations parlementaires contraignantes en fin de semaine en vue de nommer un chef du gouvernement avant l’arrivée à Beyrouth du président français Emmanuel Macron, Saad Hariri a jeté l’éponge.
À Baabda, on y a réagi en faisant savoir à L’Orient-Le Jour qu’avec le retrait d’un candidat potentiel à la présidence du Conseil, en l’occurrence Saad Hariri, les tractations politiques en vue d’un accord élargi autour du futur Premier ministre devraient redémarrer de nouveau. Une façon de doucher les espoirs quant à la possible tenue des consultations parlementaires en fin de semaine.
Mais c’est principalement sur le tandem chiite que les regards seront portés dans la prochaine phase. Et pour cause : le Hezbollah s’est à plusieurs reprises prononcé en faveur d’un retour de M. Hariri au Sérail. Il s’agissait pour le parti chiite de donner un signal positif au courant du Futur, notamment à la suite du verdict du Tribunal spécial pour le Liban. Mardi dernier, l’instance internationale avait déclaré Salim Ayache, membre du parti chiite, coupable dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005.
À la faveur de l’appui du Hezbollah, le président de la Chambre Nabih Berry avait initié une dynamique politique à même de faciliter la mise sur pied d’un cabinet dirigé par M. Hariri. Le chef du législatif pourrait donc œuvrer pour qu’un accord soit conclu autour d’une personnalité sunnite qui bénéficierait de l’aval du chef du Futur, comme le souligne notre correspondant politique Mounir Rabih, précisant que le candidat que pourrait soutenir le parti haririen se heurterait probablement au veto du Hezbollah, ce qui rendrait difficile la mission de Nabih Berry, et retarderait par la même occasion la genèse de la nouvelle équipe.
Quoi qu’il en soit, Saad Hariri a publié hier un communiqué dans lequel il annoncé son retrait de la course, tout en attaquant le tandem Baabda-CPL. « Sur la base de mes fermes convictions selon lesquelles le plus important en cette période est de préserver l’opportunité du Liban et des Libanais de reconstruire leur capitale (après la double explosion du port), de mettre en œuvre les réformes qui ont tardé et d’ouvrir la voie à une participation de nos amis au sein de la communauté internationale pour aider à affronter la crise et investir en vue d’un retour à la croissance, j’annonce que je ne suis pas candidat à la présidence du nouveau gouvernement », a déclaré l’ancien Premier ministre, ajoutant : « La seule porte de sortie passe par le respect par le chef de l’État de la Constitution, l’appel immédiat à des consultations parlementaires contraignantes et la sortie de l’hérésie de la formation du gouvernement avant la désignation d’un Premier ministre. » Et de poursuivre : « J’ai constaté avec les Libanais que certaines forces politiques restaient dans un état de puissant déni face à la réalité du Liban et des Libanais, et voient dans cette situation une nouvelle occasion de chantage dont le seul but est de rester accrochées au pouvoir jusqu’à ce que les rêves personnels présumés soient exaucés dans le cadre d’une éventuelle prise de pouvoir. » Une attaque implicite contre le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, accusé de faire des calculs présidentiels prématurés, et cherchant naturellement un éventuel soutien sunnite qu’assureraient le Futur et son chef.
La décision de M. Hariri est intervenue alors qu’il n’avait pas donné de signes quant à une volonté de diriger la future équipe. Les milieux gravitant dans son orbite faisaient état, en revanche, de certaines conditions qu’il imposait pour accepter cette mission. Il s’agit notamment de la formation d’un cabinet d’indépendants qui n’inclurait pas le Hezbollah, encore moins Gebran Bassil. Mais il semble que ces conditions se heurtent à une farouche opposition de la part du chef de l’État, apprend-on de sources concordantes. Celles-ci croient savoir aussi que le président de la République s’en tient à la formation d’un cabinet techno-politique, contrairement à la volonté du chef du courant du Futur. Ce différend, le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, a tenté de le régler lors de sa visite hier à la Maison du Centre. L’occasion pour lui d’informer M. Hariri de la position du locataire de Baabda, ajoutent les mêmes sources. Elles font savoir que c’est à ce stade que Saad Hariri aurait pris sa décision. Mais selon notre correspondante Hoda Chedid, le général Ibrahim poursuivra sa mission afin de trouver un substitut à M. Hariri, sachant que les noms de Samir Jisr, député de Tripoli, et Raya el-Hassan, ancienne ministre de l’Intérieur, circulent déjà dans des cercles politiques.
Et maintenant… ?
Interrogé par L’Orient-Le Jour, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora estime lui aussi que c’est à cause de l’opposition de Michel Aoun aux conditions de Saad Hariri que ce dernier a claqué la porte. Stigmatisant le fait que le camp présidentiel « n’a toujours pas pris conscience de l’ampleur de la crise dans laquelle le pays est plongé », il laisse entendre que le courant du Futur pourrait nommer pour la présidence du Conseil Nawaf Salam, ex-ambassadeur du Liban à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice. Un point de vue qu’un proche de M. Hariri qui a requis l’anonymat ne partage pas. « Je pense que nous ne devons appuyer personne. Il faut se ranger officiellement dans le camp de l’opposition », dit-il, faisant savoir que lors de l’une des réunions du groupe parlementaire haririen, l’ex-Premier ministre a ouvertement confirmé les conditions qu’il impose pour former la nouvelle équipe. « Le camp présidentiel veut un gouvernement Diab bis. Nous avons donc préféré rester dans les rangs des opposants », ajoute-t-il.
Du côté de Aïn el-Tiné, on n’exclut pas la possibilité de voir Nabih Berry appuyer la candidature d’une personnalité avalisée par Saad Hariri, soulignant que le Hezbollah est libre de prendre la position qu’il veut à ce sujet. Le retrait de M. Hariri est intervenu quelques jours après des propos de Nabih Berry dans lesquels il avait annoncé qu’il ne mènera pas davantage d’efforts concernant le gouvernement. Rien n’a changé après la décision de M. Hariri. « M. Berry est le chef d’un groupe parlementaire. Il a le droit de nommer un candidat. Mais il revient au président de la République de convoquer à des consultations parlementaires, au lieu de continuer à commettre des infractions à la Constitution », affirme un proche du président de la Chambre.
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18 h 44, le 26 août 2020