
Saad Hariri. Photo d’archives Dalati et Nohra
Les tractations politiciennes en cours autour de la genèse du prochain gouvernement donnent le sentiment qu’en dépit de l’extrême urgence de la situation et des critiques acerbes formulées contre le pouvoir libanais pour s’être dérobé à ses responsabilités politiques dans le cataclysme du 4 août, tout se passe comme si rien n’avait changé dans le pays et que le spectre d’un effondrement total ne menaçait pas l’État et la société dans les tout prochains mois.
Ce constat montre, en soi, combien, malgré les cris lancés de toutes parts, une bonne partie de la classe dirigeante reste déconnectée des réalités ou alors continue d’espérer pouvoir échapper à telle ou telle réforme structurelle réclamée par la communauté internationale pour enclencher l’aide financière et économique en faveur du Liban. C’est, par exemple, le cas du camp présidentiel qui, rassemblé autour de sa locomotive, Gebran Bassil, se bat avec force et ferveur depuis des années pour empêcher que l’autorité de régulation projetée dans le domaine de l’électricité n’échappe à l’autorité du ministère de l’Énergie, alors que c’est l’une des toutes premières exigences des bailleurs de fonds. C’est aussi le cas d’autres protagonistes politiques, actuellement menés par le camp berryste, pour tenter de court-circuiter, ou au mieux de neutraliser une autre exigence, celle de l’audit projeté sur les comptes de la Banque du Liban.
Si la BDL était aujourd’hui une affaire gagnante, si l’électricité ne résumait pas à elle seule l’histoire de la déconfiture et de la faillite de l’État libanais, on aurait compris que des acteurs politiques souhaitent continuer à utiliser ces leviers d’influence pour en tirer une légitimité clientéliste. Mais dans l’état où ils sont !... À entendre cependant tous ces protagonistes rivaliser d’engagements pour ce qui est de leur intention de paver la voie à un gouvernement de réformes, on ne peut que se demander où donc se trouve l’erreur et pourquoi il ressort des tractations en cours que tout le monde ne s’écharpe que sur le nom du Premier ministre.
Le tandem chiite se dit pour un retour de Saad Hariri à la tête du gouvernement, alors que le président Michel Aoun et son alter ego, M. Bassil, n’en veulent pas. C’est aussi le cas des Forces libanaises de Samir Geagea, mais, semble-t-il, pour d’autres raisons. Quant aux joumblattistes, on ne comprend plus très bien ce qu’ils veulent ou ne veulent pas, pas plus que les groupes de la société civile d’ailleurs.
Tandem chiite contre Gebran Bassil ?
Osons un résumé de la situation : le président de la Chambre, Nabih Berry, en accord avec le Hezbollah, tente un forcing en faveur d’un gouvernement présidé par M. Hariri. M. Berry se rend à Baabda (vendredi dernier) pour en informer le chef de l’État et, indirectement, le leader du Courant patriotique libre. Les fuites dans la presse et les déclarations de responsables du tandem chiite, notamment le numéro deux du Hezbollah, Naïm Kassem, montrent pourtant que derrière la façade Saad Hariri, conçue ici comme une garantie de pacification de la rue sunnite, ni plus ni moins, on est toujours à la recherche d’un cabinet d’union nationale ou de quelque chose qui lui ressemble. Le but, évident, est, au pire, de diluer les responsabilités lorsqu’il sera question de prendre des mesures douloureuses pour les contribuables, les fonctionnaires, les retraités et autres catégories de la société ; et, au mieux, de les imputer toutes à… M. Hariri.
Mais au-delà, il y a l’incapacité totale, organique du Hezbollah, à sortir du schéma politique consensualiste établi par l’accord de Doha, en 2008, et qui a manifestement conduit à l’éclatement de la gouvernance au Liban. C’est cet éclatement qui est à l’origine de l’appel lancé par le président français Emmanuel Macron en faveur d’un nouveau pacte politique dans ce pays ; un appel à distinguer, bien sûr, des demandes répétées formulées à ce sujet par des personnalités politiques ou religieuses chiites, parce qu’à l’ombre du statut particulier et de l’arsenal du Hezbollah, elles ne peuvent apparaître aux yeux des autres parties que comme des tentatives revanchardes visant à consacrer une hégémonie.
Pour en revenir à la question gouvernementale, le chef du CPL tranche donc le problème dimanche en notifiant à M. Berry son rejet d’un retour de Saad Hariri à la tête du gouvernement. Des informations de presse font alors état de tentatives des milieux aounistes de trouver ici ou là de nouveaux Hassane Diab pour succéder à… M. Diab. Certes, le CPL est libre de formuler une préférence pour tel ou tel candidat à la présidence du Conseil, mais son attitude témoigne d’une tendance fâcheuse et récurrente à ne pas vouloir pour les autres ce qu’il veut pour lui-même. Ainsi, après avoir, avec l’aide du Hezbollah, bloqué la présidentielle pendant deux ans et demi pour imposer son point de vue selon lequel il faudrait, par conformité au pacte national, que le leader le plus populaire chez les chrétiens soit « élu » président de la République, il n’estime pas nécessaire d’appliquer le même critère à la communauté sunnite, sachant que ni la Constitution ni le pacte national ne disent rien à ce propos. À cela il faut ajouter le comportement de la présidence de la République qui, une nouvelle fois, contrevient aux règles constitutionnelles en retardant les consultations parlementaires contraignantes pour nommer un Premier ministre, s’adjugeant abusivement de ce fait les prérogatives de ce dernier pour ce qui est de la formation du gouvernement.
Ambiguïtés
Quant au rejet affiché par les FL d’une nomination de Saad Hariri à la tête du gouvernement, il n’est pas dépourvu d’ambiguïté. On sait que le parti de Samir Geagea s’est prononcé en faveur des demandes du mouvement de contestation et qu’il réclame un cabinet formé exclusivement d’experts indépendants pour mener à bien les réformes. Pourtant, à lire entre les lignes les déclarations et communiqués du parti et de ses responsables, on a le sentiment que les Forces libanaises ne s’opposeraient guère à toute formule de gouvernement ayant à sa tête M. Hariri. En d’autres termes, ce qui est clairement rejeté par Meerab, c’est un Hariri qui s’apparenterait à celui des trois premières années du mandat Aoun, le Hariri qui déclarait il y a encore un an et demi qu’il était lié au CPL de Gebran Bassil par un « mariage maronite ». En cela, on sait que la position des Forces libanaises est proche de celle des principaux bailleurs de fonds du Golfe, nommément l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Sur ce plan, l’intéressé entretient d’ailleurs lui-même une certaine ambiguïté, puisqu’à supposer même que le Hezbollah aille jusqu’à se rallier à sa condition d’un gouvernement d’experts sous sa présidence, il n’est pas sûr que Riyad et Abou Dhabi accepteraient de lui redonner un chèque en blanc sans une sérieuse remise en question de son modus vivendi avec le parti chiite (incluant une remise à la justice de « son » condamné par le Tribunal spécial pour le Liban, Salim Ayache). Alors à quoi bon ?
Il reste une semaine jusqu’au 1er septembre, date du centenaire du Grand Liban et de la seconde visite annoncée de M. Macron à Beyrouth pour constater l’état d’avancement des réformes… Si, au cours de cette semaine, les protagonistes politiques ne se rendent pas compte que la plateforme raisonnable et modérée présentée par la France est la seule actuellement disponible en vue de former un gouvernement ayant pour objectif d’entamer au plus tôt les réformes qui permettront de débloquer l’aide financière internationale, alors le Liban ira au-devant de périls de plus en plus graves.
Faudra-t-il que le paquet de pain passe à 15 000 livres pour que l’on commence à bouger ?
Gouvernement a rien faire. Élections Anticipées de vrais députés. Le Fahmi est inquiet de l’argent à prévoir. Les libanais sont prêts à ne pas être payé et fournir des papiers et des crayons aux électeurs pourvu qu’on ne voit plus cette crasse politique avec un système informatique fiable parrainé par l’ONU.
21 h 49, le 25 août 2020