Comme si le Liban n’avait pas connu le 4 août une des plus terribles tragédies de son existence, les tractations pour la formation d’un nouveau gouvernement restent basées sur les mêmes critères de petits calculs politiciens d’avant le drame. Les différents protagonistes ont un œil sur leur cote d’(im)popularité et l’autre sur les positions internationales et régionales, tout en se présentant devant les Libanais comme n’étant pas désireux d’assumer des responsabilités publiques à l’heure actuelle. À entendre les principaux candidats à la présidence du Conseil, aucun d’eux ne souhaiterait être désigné par le Parlement, mais dans les coulisses, tous cherchent à sonder les milieux diplomatiques et politiques pour mesurer leurs chances potentielles.
Hier, dans un communiqué détaillé, le chef du courant du Futur, Saad Hariri, a officiellement annoncé son refus d’être désigné à la tête du gouvernement dans la période actuelle, demandant même aux médias de retirer son nom de la course. Cette initiative n’est pas sans rappeler le scénario qui s’était déroulé en décembre dernier, juste avant la désignation de Hassane Diab pour former le gouvernement. On se souvient en effet que Saad Hariri était alors sollicité par le tandem chiite, et en particulier par le président de la Chambre Nabih Berry, qui avait même promis de lui procurer « du yaourt d’oiseau » (dans le langage imagé du chef du Parlement, cela signifie une denrée très rare et précieuse) s’il accepte d’être désigné. Après avoir maintenu le suspense pendant plus de deux mois, Saad Hariri avait demandé un délai de quelques jours. Mais à la veille du rendez-vous des consultations parlementaires contraignantes organisées à Baabda fixées au jeudi 19 décembre, il avait annoncé par téléphone à Nabih Berry son intention de ne plus être dans la course. C’est qu’en attendant, il avait reçu un appel téléphonique du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, dans lequel ce dernier lui avait annoncé qu’il a consulté les autorités saoudiennes et que celles-ci avaient répondu qu’elles estimaient que Saad Hariri n’était pas le candidat qu’il fallait à cette période précise.
Aujourd’hui, même si les déclarations publiques donnent d’autres versions, le contexte est pratiquement le même. Officiellement, plusieurs parties politiques et médiatiques attribuent le refus de Saad Hariri de se présenter à la présidence du Conseil à ses positions à l’égard du président de la République et du chef du CPL. Mais dans les coulisses, d’autres parties affirment que ce n’est pas là la vraie raison. D’abord le président Michel Aoun et le chef du courant du Futur Saad Hariri ont conservé, en dépit de leurs divergences, des relations correctes, voire cordiales. Ensuite, même si les relations sont rompues actuellement entre Gebran Bassil et l’ancien Premier ministre, le chef du CPL a déclaré à tous ceux qui l’ont sondé que ce qui compte pour lui, c’est la formation d’un gouvernement efficace et productif. En tout cas, il ne s’opposera pas à la désignation de Saad Hariri et ne constituera pas une entrave à la formation du gouvernement, quitte à rester en retrait en cette période délicate.
En réalité, selon des sources politiques bien informées, le refus de Saad Hariri d’être désigné à la tête du gouvernement est dicté par d’autres motifs. D’abord, et contrairement à ce qui se dit, il ne bénéficie pas de l’aval de la communauté internationale. À aucun moment, dans ses entretiens avec les différentes parties libanaises, le secrétaire d’État adjoint américain David Hale n’a prononcé son nom en tant que candidat de l’administration américaine pour former le prochain gouvernement. Ensuite, la France, par la voix du président Emmanuel Macron et à travers des sources diplomatiques et politiques, n’a pas non plus cité son nom comme étant le candidat de ce pays pour la présidence du Conseil. La France s’est contentée de déclarer qu’elle souhaite pour le Liban un gouvernement capable de mettre en œuvre des réformes et crédible. Pour Paris, ce n’est donc pas le nom qui compte mais le programme. Plus claire encore que ces deux positions, celle de l’Arabie saoudite a été déterminante. Sollicités par plusieurs parties libanaises, les dirigeants saoudiens n’ont en effet montré aucun encouragement direct à Saad Hariri pour présider le prochain gouvernement. Tous ceux qui sont en contact avec eux révèlent que ce qui compterait pour ces derniers, ce serait que le Liban soit doté d’un gouvernement sans le Hezbollah, voire hostile à cette formation.
C’est d’ailleurs un peu dans ce contexte régional et international, en plus de considérations purement internes, qu’il faudrait interpréter l’absence d’enthousiasme, voire l’opposition du chef des Forces libanaises et, dans une moindre mesure, celle du chef du PSP Walid Joumblatt à la désignation de Saad Hariri à la tête du gouvernement.
Face à toutes ces positions peu encourageantes, l’ancien Premier ministre ne pouvait donc pas se placer dans la course en comptant uniquement sur l’appui indéfectible du président de la Chambre et du Hezbollah. Si Nabih Berry avait réussi à pousser Hassane Diab vers la démission le 10 août en convoquant une séance parlementaire le 13 destinée à voter une motion de défiance contre le gouvernement qu’il préside, il n’est pas pour autant le seul acteur dans la désignation du président du Conseil.
Selon des sources proches du courant du Futur, pour Saad Hariri, l’enjeu est crucial. Il ne peut pas se permettre de former un gouvernement qui n’ait pas la possibilité d’agir, en bénéficiant d’un climat régional et international favorable. Or, jusqu’à nouvel ordre, et en dépit de quelques signaux considérés comme positifs, le Liban est encore en plein dans le bras de fer qui se joue depuis des mois entre d’un côté les États-Unis et leurs alliés, et de l’autre l’Iran et ses alliés. Cela, sans parler des complications purement internes et de la position de la rue au sujet de sa désignation à la présidence du Conseil, qui n’a pas été encore annoncée.
Dans ce contexte, il semble de plus en plus clair que les tractations pour la formation d’un gouvernement piétinent, officiellement pour des raisons de politique intérieure. Mais le problème pourrait bien être ailleurs.
commentaires (7)
Drôle de situation dans laquelle Samir Geagea se trouve dans les secrets des saoudiens et transmet par téléphone à Saad Hariri ,qui détient le passeport saoudien ,la décisions de ses coreligionnaires de l'exclure du prochain cabinet .
Hitti arlette
17 h 42, le 27 août 2020