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Nos Lecteurs ont la Parole

La démocratie des clans

Sous le ciel de Beyrouth, en flammes et en larmes, l’atmosphère qui a rendu son dernier souffle est d’un noir d’encre ; ciel apocalyptique où l’homme se perd dans l’infini, où son existence n’a ni sens ni finalité, où il est condamné à la solitude et à la souffrance, aux rêves agonisants et aux potentialités mortes…

Sous le ciel de Beyrouth, un monstre hallucinant lèche le ressac des instants et massacre l’ouate des rêves qui somnolaient tranquillement dans la coquille dorée au fond de l’océan bleu devenu aujourd’hui taché de sang. Il court en creusant de sombres parts craquelées pour y semer la haine.

Sous le ciel de Beyrouth, des larmes accrochées à la falaise de l’amour, toutes voiles déployées, se tendent difficilement pour réveiller les étoiles endormies, à travers un torrent de plaintes. Le vortex du néant aspire tout sur son passage, même le cœur écorché de sa ville protégée qui s’agrippe toujours aux cordes de l’espoir, aux cordes de l’attente, noyé dans un silence inouï.

Sous ton ciel, Beyrouth, le don se fait partage et l’amour s’intensifie…Tout au fond de tes racines langoureuses qui se morfondent désespérément jusqu’à l’infini, tu cherches une étoile dans ton ciel noir qui t’implore, qui t’adore, qui te conjure de le sauver. Du fond de ton labyrinthe ensanglanté, tu te vois enterrée dans une forteresse inébranlable; les échos de la vie te parviennent intensément effarants… Pour explorer l’immuable nébulosité de ton ciel, tapie sous tes dalles détruites et saccagées, tu ne fais que guetter dans l’ombre qui régit tes moindres recoins une intempestive découverte…

Sous le ciel de Beyrouth, déconnectée d’un monde avide, flottant dans l’apesanteur des rêves illimités, une étoile parvient à capter le baume idéal, du bout de ses doigts, du bout des fils du rêve. Pour elle, l’horizon n’est plus un seuil infranchissable ni une ultime illusion. Pour elle, le ciel peut être bleu même en pleine nuit. En deçà et au-delà des longueurs d’onde habituelles visibles à tous les humains, elle disperse généreusement des « rayons » invisibles dont chacun pourrait inéluctablement subir les effets et qui se frayent un chemin vers les cœurs des Libanais dans une tentative de renouvellement.

Sous le ciel de Beyrouth, une parcelle d’espoir frémit sous des paupières endolories et entre des lèvres gercées. Une goutte de rosée dépose un baiser sur la joue empourprée et ensanglantée de la capitale, lui prodiguant ainsi une tache lumineuse dans les ténèbres de la vie.

Sous le ciel de Beyrouth, cette part ténébreuse, qui s’abreuve insatiablement de la lumière puisée, dévoile une aurore virginale. L’étoile se referme sur l’œil de la ville, telle une paupière, pour le protéger de la poussière des cendres accumulées çà et là. Le ciel n’est plus ce couvercle oppressant qui emprisonne, il dépose ses armes sous l’emprise de cette étoile-phare lumineuse qui semble être l’alpha et l’oméga. Tout se confond, tout se mélange, tout s’anéantit illico pour ne former qu’une auréole scintillante au sein des minutes meurtries…

Sous le ciel de Beyrouth, les mains avancent sur la voie du renouveau, se dégagent du silence, de ce tunnel ténébreux où le trop-plein de secrets et de malheurs est enterré. Les yeux grandement ouverts sur la vérité, même dans l’irréparable, l’étoile confie la clé de son univers à son ciel. L’injustice l’avait réduite au mutisme et à la cécité, mais cette lumière angélique découlant du chapelet saint formé par les doigts entrecroisés des Libanais fait chavirer l’espace et entreprend de reconstruire les décombres.

Sous le ciel de Beyrouth, cherchant le reflet profond de l’être souffrant et de son devenir, l’étoile écoute patiemment les cris et les lamentations. La nuit ne peut la rattraper puisqu’elle est à l’abri des ténèbres, elle fait appel à d’autres étoiles éteintes qui se réveillent, se font écho dans le ciel incommensurable, se développent, s’enchaînent l’une l’autre et se superposent à travers des réflexions infiniment profondes… La parole, qui s’était accoutumée à se tapir depuis longtemps dans le mutisme, réalise que la vie est un silence continuellement aux aguets, mais l’espoir d’une délivrance n’en est pas exclu ; une existence écorchée vive, au sein de laquelle tout s’effondre tel un jeu de quilles ; une vie où l’on fouille les poches de la souffrance afin de tout dépenser, jusqu’au dernier sou.

Sous le ciel de Beyrouth, sous le joug des affres de la vie, les étoiles qui errent, qui hallucinent entre parole et silence, se retrouvent transposées au sein de la vérité : les mots se retournent et émergent d’une infinité successive de nuits criblées de gerçures.

Sous le ciel de Beyrouth, l’ultime étoile remet dans l’anatomie de son identité une autre vérité qu’elle a adoptée et en laquelle elle a tellement cru. Se regardant dans les miroirs secrets de son jardin, elle tente de retracer les lignes disparates de destinées inconnues et imprévisibles, dans la magie des fulgurances, à l’orée des mots qui la guident hors d’elle-même… Elle réalise que l’existence ne tient qu’à un fil et qu’il faut apprendre à survivre, ou plutôt apprendre à aimer pour survivre.

Sous le ciel de Beyrouth, l’air renouvelé est désormais constitué d’un nombre incroyable de molécules d’amour et d’infinies gouttelettes d’espérance qui, non seulement diffusent la lumière en nous, mais la réfléchissent sur notre précieuse terre libanaise…

Prof. de langue et littérature françaises à l’Université de Balamand et à l’Université Jinan

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Sous le ciel de Beyrouth, en flammes et en larmes, l’atmosphère qui a rendu son dernier souffle est d’un noir d’encre ; ciel apocalyptique où l’homme se perd dans l’infini, où son existence n’a ni sens ni finalité, où il est condamné à la solitude et à la souffrance, aux rêves agonisants et aux potentialités mortes…Sous le ciel de Beyrouth, un monstre hallucinant lèche le...
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