Mardi 11 août, une semaine jour pour jour après la double explosion au port de Beyrouth. La veille, le Premier ministre avait annoncé la démission de son gouvernement. Il y a encore peu, sa décision aurait fait l’effet d’une bombe joyeuse, reflétant le succès du mouvement de contestation contre le pouvoir en place. Mais l’annonce de Hassane Diab est passée presque inaperçue. Comme si l’explosion du 4 août avait changé la donne et les attentes, en bouleversant les esprits. « Nous ne nous arrêterons pas à la démission du gouvernement, c’est tout le système qui doit tomber », résume une manifestante au pied de la statue de l’Émigré, intacte face aux ruines du port. C’est à cet endroit que des centaines de personnes ont choisi d’organiser, hier à 17h, un rassemblement pour saluer la mémoire des 171 victimes et des milliers de blessés tombés mardi dernier dans les quartiers riverains du port.
Les noms des 171 personnes ont été lus un à un. « Je suis là aujourd’hui pour toutes nos victimes, dont le sang n’a pas encore séché », témoigne un médecin. L’hommage passe également par une demande de justice, incarnée par ces potences à l’effigie de ces « responsables » qui n’en finissent plus de prouver leur irresponsabilité. La justice comme une condition nécessaire au deuil collectif, seul remède pour panser l’absurdité sans fin d’un régime. « Contrairement à ce que dit Michel Aoun, c’est l’enquête locale qui diluerait la vérité, j’en suis certaine », estime une avocate, en référence au refus du chef de l’État de confier l’enquête sur les raisons exactes de l’explosion à une commission internationale.
D’avantage qu’un simple recueillement endeuillé, le rassemblement se voulait également poursuite du mouvement de protestation hérité du 17 octobre, ravivé dans le sillage du 4 août. Après avoir chanté l’hymne national et observé une minute de silence, les manifestants se sont dirigés vers la place des Martyrs, des bougies à la main. Une marche du port à la place des Martyrs, le temps de passer du recueillement à l’indignation. « Je suis descendue aujourd’hui pour la commémoration de l’explosion. Mais dans tous les cas je suis là chaque jour pour aider. Le départ du gouvernement ne veut rien dire. S’ils avaient vraiment compris, ils auraient remis leur démission le jour même de l’explosion. Maintenant nous réclamons une démission totale, du président et du Parlement », explique Rita, une étudiante en journalisme venue de Saïda.
Les manifestants ne cachent ni leurs cibles ni leurs objectifs. « Un gouvernement transitoire composé d’experts indépendants, une équipe d’exception pour préparer l’étape suivante et les élections législatives », résume une pancarte. Les ennemis du peuple sont clairement identifiés. « Beyrouth est libre, l’Iran dehors ! » s’exclame des manifestants, au milieu d’insultes à l’adresse du chef de l’État.
Comme chaque soir depuis samedi, la colère des manifestants s’est dirigée contre quelques symboles forts du régime en place, à l’image de cette poupée géante représentant Michel Aoun, pendu au bout d’une corde, brûlée devant l’une des entrées du Parlement. Et comme chaque soir depuis samedi, la manifestation s’est rapidement transformée en affrontement avec les forces de l’ordre, qui ont lancé des bombes lacrymogènes et tiré depuis les toits des immeubles de la rue Weygand sous les sifflements de la foule, afin de faire reculer les manifestants. Entre hommage et commémoration, le rassemblement se voulait finalement comme un soulèvement contre l’ordre ancien. « Notre Liban est mort la semaine dernière, aujourd’hui est le premier jour de notre nation », s’exclame une manifestante. De l’hommage à l’exigence de changements, voire d’une purge du système en place, il n’y a qu’un pas. Que chacun semble prêt à franchir sans hésitation.
commentaires (7)
Tant qu'il n'y aura pas qu'un seul Liban, qu'un citoyen ne sera pas un citoyen lambda comme son voisin libanais lambda et ce du nord au sud et d'est en ouest, tant qu'on n'aura pas retiré l'omniprésence de la religion dans tous les actes de la vie civile de chaque citoyen, tant que chaque citoyen se sentira obligé d'être le vassal et le lèche-c. d'un leader petit, moyen ou grand, quel qu'il soit, RIEN ne changera. Donc continuez tous à tirer des plans sur la comète.
JiJii
20 h 43, le 12 août 2020